C’est en effet un des intérêts fondamentaux du commerce international de mettre à la disposition des consommateurs des produits introuvables dans le pays ou à des prix très élevés. Le commerce international favorise donc l’achat de biens ou de services plus variés et moins chers, produits et importés de l’étranger. C’est comme nous l’avons vu une des conséquences des avantages absolus. De plus, de manière plus durable, plus dynamique, l’insertion dans le commerce international pousse les entreprises qui exportent, mais également les entreprises domestiques sous la menace des importations concurrentes, à faire des efforts de compétitivité-prix. Enfin, comme vous l’avez vu en classe de première, l’existence d’économies d’échelle renforce cette baisse des prix : la spécialisation induit une hausse de la production qui permet d’amortir les coûts fixes sur une plus grande quantité produite ce qui fait baisser le coût moyen.
Cela se traduit par une pression à la baisse des prix des produits qui pourraient faire l’objet d’une concurrence internationale (il ne s’agit plus ici de remplacer des produits locaux par des produits importés ayant des prix plus faibles). Le consommateur voit ainsi son pouvoir d’achat augmenter non seulement en achetant des produits importés moins chers mais en achetant des produits locaux moins chers aussi. Notons que le gain qu’il réalise peut être transféré dans l’achat d’autres produits. Son bien-être matériel augmente donc.
Cette pression à la baisse des prix a été mesurée par l’INSEE : les prix des biens importés ont tendance à plus baisser que les prix des biens fabriqués et vendus localement. Ainsi, de 2010 à 2016, en milieu d’année, les prix des biens importés ont baissé de 5 % environ alors que ceux fabriqués et vendus en France ont augmenté d’environ 2 %. Cette pression à la baisse des prix des produits importés peut avoir une influence sur les prix proposés par les entreprises situées sur le territoire national : afin de ne pas perdre leurs clients, ces dernières limitent les hausses de prix. Cette pression est plus ou moins forte selon les secteurs d’activité. Cette pression est bien plus forte dans l’automobile que dans la distribution d’eau, de gaz et de l’électricité ou les transports. C’est le degré d’ouverture de ces secteurs d’activité qui explique bien sûr en grande partie cette influence : forte ouverture dans l’industrie automobile et faible ouverture dans la distribution d’eau, de gaz et de l’électricité ou les transports.
Une étude de la Banque de France a montré, par ailleurs, récemment que les importations des produits en provenance de pays à bas salaires avaient « exercé des pressions à la baisse sur l’inflation en France de 0,17 point de pourcentage par an en moyenne » de 1994 à 2014. Cela aurait permis une économie de 30 milliards d’euros ce qui n’est pas négligeable surtout pour les ménages aux revenus les plus bas. Cependant, cet effet positif de la baisse des prix sur le pouvoir d’achat des consommateurs français ne doit pas masquer les effets plus ambigus de l’ouverture de l’économie nationale sur le niveau et la répartition des revenus en France. Intéressons-nous donc au lien entre ouverture au commerce international et évolution des revenus et de leurs inégalités. Pour cela, nous allons dépasser le seul cas de la France et tenter d’étudier les inégalités de revenu dans l’ensemble du monde.
Depuis la fin du XIXe siècle, les inégalités mondiales de revenu, c’est-à-dire entre individus du monde entier, monde entier vu comme un tout, ont eu tendance à augmenter. On estime que les causes sont multiples : d’abord la croissance économique au XIXe et XXe siècles ne concerne pas tous les pays en même temps. Ceux qui sont partis les premiers voient leurs revenus augmenter rapidement par rapport aux revenus dans les autres pays. De plus, au sein d’un pays qui enclenche une dynamique de croissance et développement, ce processus creuse, dans un premier temps, les écarts de revenu entre les travailleurs dans les secteurs moteurs et les agents toujours occupés dans les secteurs traditionnels. La célèbre courbe de Kuznets décrit ce phénomène. Par ailleurs, le progrès technique favoriserait sur le long terme les emplois les plus qualifiés (notamment dans les pays développés) au détriment des moins qualifiés (dans tous les pays) ; le commerce international aurait le même effet, favorisant là encore les salariés les plus qualifiés plus présents dans les pays qualifiés ; enfin, les politiques de redistribution des revenus seraient insuffisantes (notamment dans les pays les moins développés).
Mais, depuis 1990, période d’approfondissement de la mondialisation jusqu’à la crise financière, ces inégalités mondiales auraient tendance à se réduire. Cette réduction proviendrait notamment et essentiellement du développement foudroyant de la Chine qui comptait, au début des années 1990, une part importante des pauvres de l’ensemble du monde. La croissance économique de ce pays, liée notamment, on l’a vu, à son insertion réussie dans le commerce international, a permis de réduire la pauvreté dans le pays en augmentant les revenus des plus pauvres. Ce phénomène aurait tendance à se reproduire d’ailleurs dans d’autres pays du monde particulièrement les pays émergents. Cela expliquerait l’évolution récente des inégalités de revenu mondiales représentée de manière pratique et synthétique, par une courbe appelée « courbe de l’éléphant », construite par Christoph Lakner et Branko Milanovic en 2015. Pour bien comprendre ce graphique, vous devez lire de manière attentive les axes et comprendre leur signification. L’axe des abscisses représente l’ensemble des individus dans le monde classés par revenus croissants (à partir des 1 % des individus ayant les revenus les plus faibles jusqu’au 1 % ayant les revenus les plus élevés) et représentés ici sous forme de déciles [à partir donc des percentiles] de revenu.
On obtient les différents fractiles de personnes : les 1% ayant dans le monde les revenus les plus faibles, les 1% suivant, etc. jusqu’aux 1 % ayant dans le monde les revenus les plus élevés. L’axe des ordonnées est plus simple à comprendre : il s’agit tout simplement de la croissance des revenus réels entre 1988 et 2008.
Ainsi, le revenu réel du fractile 50-60 (c’est-à-dire des 10 % des individus ayant un revenu moyen compris entre D5 et la partie un peu supérieure des « classes moyennes mondiales ») a augmenté d’environ 75 % entre 1988 et 2008.
On voit ainsi que l’augmentation du revenu réel de 1988 à 2008 a surtout été forte dans les pays émergents et notamment en Chine ce qui a accru le revenu des « classes moyennes » (en matière de revenu) au niveau mondial. Cette période a été aussi favorable aux 10 % des individus dans le monde qui ont les revenus les plus élevés et, parmi eux aux individus ayant les revenus les plus élevés : le top 1 % par exemple). Par contre, les plus pauvres dans le monde et les « classes moyennes » des pays développés ont vu leur revenu augmenté bien plus faiblement. Vous le voyez, pour cette période de forte mondialisation, l’évolution des inégalités mondiales de revenu ne suit pas une tendance simple mais plutôt favorable aux plus « riches » en matière de revenu et à de nombreux habitants dans les pays émergents et en développement situés entre le 1er décile de revenu mondial et le 7ème décile.
Ces évolutions se comprennent en détaillant deux facteurs d’évolution des inégalités mondiales de revenu : d’une part les différences d’évolution du revenu moyen entre pays (inégalités internationales) et d’autre part les différences d’évolution des revenus (décomposés selon les déciles ou les centiles notamment) à l’intérieur de chaque pays (inégalités internes ou infranationales). C’est ce que nous allons voir maintenant.
Comme on l’a vu et rappelé, une insertion réussie dans le commerce international permet la croissance économique et une hausse des revenus. Lorsque cela concerne non pas des pays déjà développés mais des pays plutôt pauvres ou à revenus intermédiaires, les revenus des individus de ces pays augmentent plus vite que ceux des individus vivant dans des pays développés, et ayant donc des revenus relativement élevés. Ainsi, au niveau mondial, les inégalités de revenu se réduisent. C’est ce qui s’est passé notamment depuis les années 1980-1990 avec la Chine : les paysans pauvres ont pu travailler dans des entreprises industrielles qui offraient des revenus plus élevés. Le revenu moyen de la population chinoise a ainsi fortement augmenté, bien plus vite, en tout cas, que celui des pays déjà développés.
Cette évolution a permis de réduire fortement la pauvreté en Chine et elle a permis aussi de réduire les inégalités entre individus du monde. En effet, la Chine comptait au début des années 1980 environ 1 milliard d’habitants, sur à peu près 4,5 milliards d’habitants dans le monde. Étant donné donc, l’importance de la population chinoise, la hausse du niveau de vie des habitants chinois réduit de manière automatique les inégalités entre les individus dans le monde. Il en est de même en Inde même si c’est à un niveau moindre. Rappelons que l’Inde comptait environ 700 millions d’habitants au début des années 1980 (environ 1,3 milliard aujourd’hui). L’augmentation accélérée du niveau de vie moyen en Inde a eu donc aussi un impact au niveau mondial.
Cependant, si l’on s’intéresse à l’évolution des inégalités de revenu à l’intérieur des pays qui participent fortement au commerce international, cette réduction des inégalités de revenu est à nuancer.
En effet, de nombreux économistes ont constaté qu’il y avait une augmentation assez générale des inégalités de revenu au sein des pays, notamment parmi ceux participant au commerce international. Le document suivant montre clairement l’augmentation des inégalités de revenu puisque que, presque dans tous les pays, la part dans le revenu national du revenu des 10 % des ménages ayant les revenus les plus élevés s’accroît au détriment de celle des autres ménages :
Document : Part de revenu des 10 % les plus aisés dans le monde, 1980-2016 : les inégalités augmentent presque partout mais à des rythmes différents.
En Chine, les 10 % les plus aisés percevaient environ 28 % des revenus distribués en 1980 contre de 40 % en 2016. Il y a donc une concentration des revenus distribués en Chine au sein des 10 % des plus aisés. Ce qui est vrai pour la Chine est vrai aussi, vous pouvez le voir, pour les États-Unis et le Canada, autre zone d’échanges internationaux importants : cette part est passée de 35 % environ à 45 %.
Existe-t-il un lien entre la concentration des revenus parmi les 10 % les mieux rémunérés et le commerce international ? Le rôle du commerce international est, en fait, difficile à distinguer de celui du progrès technique, qui semble plus important (voir chapitre 1). En effet, l’insertion dans le commerce mondial ne nécessite-t-elle pas d’innover ? Quoi qu’il en soit, la concurrence internationale impose des efforts de compétitivité dans les pays développés, ce qui passe par une pression à la baisse sur les salaires des moins qualifiés notamment ceux qui sont directement en compétition avec des salariés du monde entier et sont plus facilement délocalisables. La spécialisation dans des produits à haute valeur ajoutée entraîne un besoin d’emplois qualifiés, ce qui est une force qui pousse plutôt à la hausse des salaires des salariés déjà les mieux rémunérés. Ce phénomène est accentué du point de vue géographique : ce sont les grandes métropoles qui attirent les entreprises et les emplois les plus qualifiés du fait des économies externes positives (importance du marché avec des rendements croissants pour les entreprises et accès facilité à l’emploi, circulation des informations, etc.) au détriment des territoires qui n’en bénéficient pas et donc des travailleurs locaux qui voient leurs revenus baisser. Ainsi, dans les pays développés, le commerce international semble participer à la hausse des inégalités de revenus. Et si la redistribution des revenus opérée par l’Etat réduit nettement les écarts de revenus primaires, elle n’enraye pas la montée des inégalités. Si l’on s’intéresse à la Chine, la spécialisation internationale dans l’industrie a induit un transfert des emplois de l’agriculture vers l’industrie. Or, les écarts de revenu entre ruraux et urbains ont augmenté du milieu des années 1980 jusqu’aux années 2000-2010. Sans doute que les salariés de l’industrie ont plus bénéficié de l’ouverture internationale que les travailleurs ruraux. De plus, chefs d’entreprise, ingénieurs, etc. ont pu bénéficier de la hausse de leur activité internationale et voir leurs revenus bien plus augmenter que celui du reste de la population d’où une tendance à l’augmentation des inégalités. Enfin, le développement de la sphère financière internationale a pu tirer à la hausse les salaires de salariés très qualifiés (traders par exemple) dans les banques et les diverses institutions financières et cela quel que soit le pays. Ils font partie des 10 % de la population mondiale ayant bénéficié de la mondialisation.
Ainsi, nous pouvons voir le rôle ambivalent du commerce international dans la réduction des inégalités de revenu dans le monde. De ce point de vue, le jugement sur l’intérêt de la mondialisation est en débat. On retrouve une très ancienne discussion sur les avantages et les inconvénients respectifs du libre-échange et du protectionnisme, débats qui s’amplifient depuis les années 2010 notamment avec les tensions commerciales et les entorses au libre-échange croissantes entre les Etats-Unis, la Chine et l’Union Européenne.
En théorie, le libre-échange est source d’avantages pour les producteurs comme pour les consommateurs. Nous allons résumer ici ce que nous avons appris depuis le début du chapitre. Pour les producteurs, il s’agit évidemment d’une possibilité d’élargir sa clientèle : en vendant plus, les possibilités de profit sont accrues d’autant qu’en produisant plus des possibilités d’économies d’échelle apparaissent. De même, les producteurs peuvent acheter des biens intermédiaires à des prix plus faibles provenant de l’étranger, y compris une FMN au sein de son propre groupe en exploitant les dotations factorielles ou technologiques différentes selon les pays. Enfin, sous la pression de la concurrence internationale, les producteurs sont incités à innover davantage sous peine de disparaître.
Du côté des consommateurs, l’intérêt du libre-échange est de pouvoir acheter des biens ou des services non produits dans le pays et aussi de pouvoir acheter des biens et des services à des prix plus faibles que ceux vendus sur le marché national. Le gain de pouvoir d’achat peut d’ailleurs être utilisé en achetant d’autres biens et services permettant ainsi le développement de productions nouvelles et la création d’emploi qui va avec.
Si l’on raisonne maintenant globalement au niveau mondial, le libre-échange favorise la spécialisation des pays dans les activités où ils sont le plus efficace ou relativement le plus efficace. La productivité au niveau mondial est plus élevée favorisant une hausse de la production et des revenus.
Un des dangers du libre-échange pour les pays développés est, nous l’avons vu, de renforcer la pression qui pèse sur les emplois et les salaires soumis à la concurrence internationale. Il y a donc un risque de voir les emplois disparaitre ou les salaires stagner voire baisser. Il serait donc défavorable, dans les pays développés en tout cas, aux salariés les moins qualifiés travaillant dans des secteurs ouverts à la concurrence internationale. Plus largement, l’exploitation par les firmes des chaînes de valeur mondiale peut se traduire par des délocalisations et des pertes d’emplois non qualifiés ce qui pose le problème difficile de la formation des chômeurs pour pouvoir trouver d’autres postes.
Pour les pays en développement ou émergents, le risque est inverse : celui de voir les emplois les plus qualifiés et les mieux rémunérés se concentrer dans les pays développés. De manière plus large, c’est la spécialisation internationale elle-même dérivant du libre-échange qui peut être à long terme néfaste. Que penser d’une spécialisation dans les produits primaires, que ce soient des produits agricoles ou des minerais ? Peut-on penser que ces activités soient source de croissance à long terme par rapport à des activités innovantes, localisées essentiellement, dans les pays développés? Souvent, les prix des produits de base sont très instables, volatils ce qui nuit à la rentabilité des entreprises et au développement à long terme de leurs activités. Par exemple, de nombreux pays africains se sont spécialisés dans ce type de production (cacao, café) sans connaitre une croissance économique durable et une amélioration significative du bien-être de leur population.
Face à ces problèmes d’exclusion des salariés les moins formés dans les pays développés et aux risques de mauvaise spécialisation dans les pays en développement, le protectionnisme est-il une solution ?
Face aux risques liés au libre-échange, le protectionnisme a pour objectif de protéger l’économie nationale de la concurrence internationale mais, précisons-le tout de suite, sans forcément interdire tout échange international. Il ne faut pas, en effet, assimiler protectionnisme et autarcie, qui est une situation d’isolement total vis-à-vis de l’extérieur dans un objectif d’auto-suffisance. Le protectionnisme vise simplement à limiter les risques associés au libre-échange et à réguler ces échanges, et cela en utilisant des moyens très divers. C’est ce que nous allons commencer à étudier.
Traditionnellement, on distingue deux grands types de barrière protectionniste : les barrières tarifaires et les barrières non tarifaires.
Les barrières tarifaires jouent sur les prix des produits importés en imposant des tarifs douaniers, avec un montant à payer (soit un montant forfaitaire soit un % du prix) sur les produits importés. La hausse des prix qui résulte de ces droits devraient ainsi limiter les importations puisqu’elles deviennent moins compétitives. Vous voyez d’ailleurs clairement dans ce cas qu’il ne s’agit pas d’interdire les importations mais de protéger des producteurs et des emplois nationaux pas assez compétitifs face à la concurrence étrangère. Également assimilées à une forme de protectionnisme tarifaire, les subventions à l’exportation fonctionnent comme des droits de douane négatifs. Les subventions que les Etats versent aux entreprises nationales pour les rendre plus compétitives que leurs concurrents étrangers sont assimilées par l’OMC à une forme de dumping commercial qu’il convient d’interdire. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, les Etats-Unis et l’Union Européenne ont été condamnés par l’OMC à verser des amendes pour avoir subventionné leur fleuron aéronautique respectif, Airbus et Boeing.
Les barrières non tarifaires, à l’opposé, ne jouent pas sur les prix (en tout cas pas directement) mais sur les quantités importées. On distingue parfois les barrières « dures » des barrières « douces ». Les barrières dites « dures » sont représentées essentiellement par les quotas d’importation imposés sur des produits (c’est-à-dire une limitation des quantités de produits pouvant entrer sur le territoire national à partir d’un pays étranger) provenant de tel ou tel pays. Sachez que les quotas d’importation sont, en principe, interdits pour les pays parties prenantes de l’OMC (au sein du GATT, l’ancêtre de l’OMC, ces quotas ont été peu à peu démantelés depuis 1947). À l’inverse, d’autres barrières non tarifaires dites « douces » se sont développées : comme elles sont interdites par les institutions internationales, ces nouvelles formes de protectionnisme apparaissent cachées, si l’on peut dire ! Elles jouent aussi sur les quantités importées. Ce sont essentiellement des normes techniques, sanitaires, environnementales qui sous couvert de protection du consommateur peuvent protéger en fait les producteurs locaux. On peut ajouter les procédures administratives (temps de passage en douane, documents à fournir, etc.) qui peuvent être utilisées comme forme de protectionnisme déguisé. Souvent, on ajoute à ce protectionnisme classique une forme « nouvelle » de protectionnisme : l'action sur les taux de change en sous-évaluant volontairement la monnaie nationale pour favoriser les exportations et défavoriser les importations.
Le protectionnisme peut avoir un objectif défensif en protégeant des producteurs locaux de la concurrence internationale pour éviter des faillites et des pertes d’emplois trop rapides. Il s’agit d’aider les salariés et employeurs à changer d’activité en les protégeant de la concurrence internationale pendant une période donnée. Par exemple, les accords multifibres (1974), qui établissaient des quotas d’importation dans les pays développés de produits textiles et d’habillement en provenance de PED (ou plutôt des quotas d’exportation par pays d’origine), ont eu pour objectif de restreindre de manière temporaire les importations dans les pays développés le temps que les entreprises de textile et d’habillement s’adaptent. Durant cette période, les salariés auraient dû avoir le temps de se former, d’acquérir de nouvelles qualifications voire de changer d’activité. Ce sont donc des raisons économiques mais aussi sociales qui justifient la protection des industries vieillissantes.
Il peut s’agir aussi d’une politique plus offensive : protéger des entreprises qui se lancent dans une nouvelle activité déjà développée dans d’autres pays. Ces derniers ont pris une avance en termes de savoir-faire, de compétences techniques et donc de compétitivité. Les barrières protectionnistes doivent permettre aux entreprises locales naissantes de produire plus et donc de réaliser des économies d’échelle, d’améliorer leur processus de production et la compétence et les savoir-faire des salariés. Une fois la compétitivité-coût améliorée et considérée comme suffisante, ces entreprises pourront faire face à la concurrence internationale : la protection pourra disparaître. Il s’agit donc d’une protection temporaire et limitée qui ne met pas en cause l’intérêt de la concurrence d’autant qu’elle permet d’éviter la perpétuation d’un monopole de grandes entreprises déjà présentes sur le marché national ou mondial. Quoi qu’il en soit, pour le pays qui utilise cette stratégie (préconisée par l’économiste allemand Friedrich List dès 1841), il s’agit d’éviter des spécialisations qui ne sont pas source de croissance économique à long terme : on parle de protection des industries naissantes ou des industries dans l’enfance. Un exemple bien connu de ce type de protectionnisme concerne l’industrie aéronautique. En effet, avant qu’Airbus ne produise et ne vendent dans le monde entier des avions, l’industrie aéronautique était largement dominée par des constructeurs américains et notamment Boeing. L’Union européenne a fortement subventionnée l’entreprise pour qu’elle puisse développer ses avions et parvenir à concurrencer Boeing, la Chine faisant la même chose aujourd’hui avec Comac. Ces subventions peuvent bien sûr attirer des plaintes des entreprises concurrentes auprès de l’OMC et engendrer des tensions commerciales et politiques entre les pays.
Cependant, beaucoup d’économistes pensent que le protectionnisme n’est pas sans risques ou sans inconvénients. Le premier inconvénient concerne bien sûr les consommateurs qui peuvent voir les prix des biens et services augmenter. Il se peut ainsi qu’en protégeant certaines entreprises et certains secteurs d’activité de nombreux agents économiques soient lésés. Les avantages perçus par la protection douanière sont très visibles et matériellement relativement importants car cette protection ne concerne que peu d’entreprises et de salariés bien identifiés. Mais les inconvénients sont individuellement peu perceptibles car ils concernent des millions de consommateurs mal identifiés. Politiquement il est plus simple de défendre ce type de protection que la situation de libre-échange. Par exemple, des économistes ont calculé que les mesures prises par l’administration Trump en 2018 se traduisant par une hausse des droits de douane sur l’acier et l’aluminium et sur des produits chinois ont provoqué une hausse 0,5 point de l’inflation réduisant d’autant le pouvoir d’achat des consommateurs américains. Mais évidemment cette hausse ne peut être directement ressentie par les consommateurs. Il y a donc un risque que des lobbys industriels, agricoles ou autres appuyés par l’ « opinion publique » demandent des protections qui soient acceptées par le pouvoir politique : les gains politiques sont évidents (on défend l’emploi, la production nationale, on lutte contre des pratiques répréhensibles d’autres pays, etc.), les coûts de cette protection étant difficiles à mettre en avant, un mouvement des consommateurs lésés étant peu probable.
Un autre danger de la protection est que les entreprises protégées, dans le cadre notamment d’une politique de protection des industries naissantes, risquent d’affirmer années après années qu’elles ont toujours besoin de soutien. Or, ce soutien peut empêcher des efforts de productivité, d’innovation et de compétitivité. Ce manque de dynamisme économique peut ainsi nuire à plus long terme à la croissance économique. Dès lors, il ne s’agit plus soutenir des industries « naissantes ». Par exemple, les pays développés ont maintenu les Accords Multifibres jusqu’en décembre 2004 alors qu’ils devaient initialement disparaître dès 1981. Les pays développés finissent par céder à la pression exercée par l’OMC et les PED lésés par ces restrictions d’exportation vers les pays les plus riches de la planète.
Enfin, un dernier danger est celui de la « guerre commerciale » ou plus exactement de conflits commerciaux. C’est en réaction au soutien européen à Airbus que l’administration Trump a augmenté les droits de douane de 10 % sur les Airbus importés aux États-Unis en 2020 mais aussi sur le whisky ou sur les fromages. Aujourd’hui, les conflits commerciaux opposent notamment les États-Unis et la Chine, cette dernière étant notamment accusée d’aider ses entreprises avec un taux de change trop faible et des subventions importantes, et de ne pas faire respecter les droits de propriété intellectuelle (entre autres reproches). Bien sûr, la Chine a riposté en augmentant les droits de douane sur de nombreux produits : 70 % des importations en Chine de produits américains ont été l’objet de représailles chinoises. Du fait de ce conflit, les droits de douane moyens touchant les produits chinois importés aux Etats-Unis ont été pratiquement multipliés par 7 en deux ans et dans l’autre sens par presque 3 pour les produits américains importés depuis la Chine. Apparaissent ici nettement les risques du protectionnisme : augmenter les prix pour tous les consommateurs des pays en conflit diminuant leur bien-être. De plus, en taxant des importations de biens intermédiaires, ce sont les entreprises nationales utilisant ces produits qui sont pénalisées : leur coût de production augmente si bien qu’elles doivent accroître le prix de vente de leurs produits comme l’a fait Coca-Cola pour le prix de ses canettes (en aluminium). Au bout de la chaîne, ce sont donc les consommateurs américains qui payent la taxe douanière.