ATTENTION :

ce cours correspond au programme de 2013, il n'est pas conforme au programme de terminale de SES en vigueur depuis 2019.

3. Comment expliquer le développement des Firmes multinationales ?

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Les entreprises sont un des acteurs essentiels du développement des échanges internationaux. En participant à ces échanges, elles sont devenues pour certaines des " firmes multinationales " (on parle aussi d'entreprises ou de firmes transnationales). C'est ce processus que nous allons étudier ici. Nous verrons ensuite comment ces firmes multinationales agissent sur les marchés internationaux, quelles stratégies elles y développent et quelles en sont les conséquences sur les politiques économiques et sociales menées par les États nationaux.

Les entreprises sont un des acteurs essentiels du développement des échanges internationaux. En participant à ces échanges, elles sont devenues pour certaines des " firmes multinationales " (on parle aussi d'entreprises ou de firmes transnationales). C'est ce processus que nous allons étudier ici. Nous verrons ensuite comment ces firmes multinationales agissent sur les marchés internationaux, quelles stratégies elles y développent et quelles en sont les conséquences sur les politiques économiques et sociales menées par les États nationaux.

3.1. Les entreprises multinationales participent largement à la mondialisation des échanges

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Les firmes sont progressivement devenues transnationales en produisant des biens et services sur plusieurs zones géographiques et en commercialisant leurs productions mondialement. Ceci a aussi engendré une nouvelle organisation de la production mondiale appelée " division ou décomposition internationale des processus productifs ". Ce faisant, ces entreprises multinationales contribuent de facto à développer les flux d'échanges internationaux.

Les firmes sont progressivement devenues transnationales en produisant des biens et services sur plusieurs zones géographiques et en commercialisant leurs productions mondialement. Ceci a aussi engendré une nouvelle organisation de la production mondiale appelée " division ou décomposition internationale des processus productifs ". Ce faisant, ces entreprises multinationales contribuent de facto à développer les flux d'échanges internationaux.

3.1.1. Les firmes multinationales se sont multipliées grâce aux investissements directs étrangers.

Une firme multinationale est une entreprise qui répartit sa production sur plusieurs pays. Elle ne se contente donc pas simplement de diffuser et vendre ses biens et services à l'international : elle participe largement à une nouvelle allocation des productions mondiales par le biais de ses investissements directs à l'étranger. Une entreprise qui se contente d'exporter des marchandises (même en grande quantité) ne peut donc être considérée comme une firme transnationale.Une FMN, en produisant et en vendant simultanément sur plusieurs territoires, acquiert une dimension de firme globale : elle a le monde comme champ d'activité. Il est dès lors parfois difficile d'attribuer à ces firmes une nationalité, économiquement parlant. Il n'en reste pas moins que l'histoire ou la culture de ces entreprises s'ancrent encore largement dans un territoire. Ainsi, si Danone est effectivement une firme multinationale, elle reste toujours attachée à la France dans l'imaginaire collectif.

L'instrument privilégié de l'internationalisation des firmes reste les IDE : Les Investissements Directs à l’Étranger sont les sommes d'argent investies (ou reçues) par un pays vers (ou en provenance de) l'étranger, dans le but soit de créer ou développer une firme nouvelle localement, soit de prendre partiellement ou totalement le contrôle d'une firme locale existante par une prise de participation au capital via des mécanismes financiers de fusions acquisitions parfois complexes. Parfois, on reprend la distinction entre investissement de greenfield (développement de firmes nouvelles, sans aucune structure initiale au départ) et de brownfield (rachat d’entités existantes sur un territoire étranger). Dans le cas d’investissement de Brownfield, on considère généralement que le seuil de 10% de prise de capital d'une entreprise permet de définir un IDE (voir chapitre 4 pour plus de détail).

Une firme multinationale ou transnationale est dès lors en général constituée d'une maison mère et de filiales dont le capital est détenu, en totalité ou en partie, par la maison mère (on parle aussi de Holding). Mais les firmes multinationales se développent aussi en nouant des accords avec d’autres firmes sous la forme de contrats de licence ou de joint venture : il existe des formes de partenariat entre plusieurs FMN, comme la mise en commun d’une usine automobile, qui fabrique pour deux marques différentes. (voir aussi le paragraphe 3.1.2 et la notion de firme réseau). Il faut ajouter à ces entreprises reliées financièrement un ensemble d'entreprises sous-traitantes, juridiquement indépendantes mais économiquement dépendantes.

Depuis une quinzaine d'années, les IDE ont littéralement explosé, surtout en faveur des pays développés qui en sont les premiers bénéficiaires. Le nombre de FMN s’est donc très largement développé: on considère aujourd’hui qu’il y a au moins 80 000 FMN disposant de près de 900 000 filiales. L'Union européenne est, de manière générale, le principal destinataire de l'investissement direct à l'étranger en recevant près de la moitié du flux total. Au sein de l’UEM, la France est l’un des principaux récipiendaires d’IDE entrants avec l’Allemagne. Il faut encore noter que parmi les pays destinataires autres que les pays industrialisés, les flux se concentrent sur quelques pays seulement : essentiellement les pays asiatiques où la croissance économique est rapide (Chine, Hong Kong et Singapour principalement) et certains pays latino-américains dans une moindre mesure (Brésil notamment). Les pays africains sont complètement à l'écart de ces flux d'I.D.E. On voit donc ici que les firmes transnationales génèrent l'internationalisation des économies, en développant notamment une segmentation des productions.

3.1.2. Les entreprises multinationales renforcent la DIT en développant une décomposition internationale des processus productifs.

Les firmes multinationales vont avoir une stratégie de localisation de la production en fonction des caractéristiques propres de chaque espace national de manière à maximiser leurs profits. La division du processus de production entre des pays différents exploite lesdifférences de conditions de production entre les pays : dans certains pays, les matières premières sont peu chères, dans d'autres ce sont les impôts ou le coût du travail. Les firmes transnationales vont chercher à profiter de tous ces avantages à la fois pour maximiser leur rentabilité.

  • Le processus de production est alors divisé, réparti, entre les pays en fonction des avantages propres à chaque espace national de manière à ce que, au total, l'entreprise fabrique son produit de manière avantageuse, en gardant la maîtrise de l'ensemble du processus. C'est ce que l'on appelle la DIPP (décomposition internationale du processus productif). Cette DIPP peut s'apparenter à une segmentation très fine des étapes de production dans certains cas ce qui peut donner lieu à une exportation préalable de composants intermédiaires réimportés sous forme de produits finals. Ainsi, les souris d'ordinateurs ne comportant pas d'innovation particulière sont fabriquées en Asie du Sud Est, ce qui n'est pas le cas du processeur d’un ordinateur, qui nécessite une compétence importante. Plus le produit est complexe et plus il comporte de composants et de sous-ensembles qui peuvent être fabriqués de façon autonome les uns des autres. Une voiture automobile, par exemple, comporte plus de 5000 pièces. Ces composants sont progressivement réunis et sont associés lors de l'assemblage final. Ainsi, dans le secteur automobile, il est courant de décomposer sur plusieurs territoires la conception et le design, la réalisation du moteur, du châssis, la tôlerie et finalement l'assemblage final. On considère généralement que plus de 10 pays sont nécessaires pour produire une automobile comme le montre l’exemple historique de la Pontiac «Le Mans» repris par R. Reich dans L'économie mondialisée (1999). Déjà à l’époque, la production de ce véhicule faisait intervenir neuf pays aux différents stades de la production et de la commercialisation :
    • 30% de la valeur du véhicule revenait à la Corée pour le montage,
    • 17% de la valeur du véhicule revenait au Japon pour les composants et les technologies avancées,
    • 7.5% de la valeur du véhicule revenait à l'Allemagne pour la conception,
    • 4% de la valeur du véhicule revenait à Taiwan et Singapour pour les pièces mineures,
    • 2.5% de la valeur du véhicule revenait à la Grande Bretagne pour la publicité et la communication,
    • 1.5% de la valeur du véhicule revenait à l'Irlande et à la Barbade pour le traitement des données,
    • 37% de la valeur du véhicule revenait aux États-Unis.
  • Traditionnellement, la DIPP est supposée refléter une logique d'extension de la division internationale du travail (DIT) à l'ensemble des pays selon la hiérarchisation mondiale des avantages comparatifs. La D.I.T. attribue aux pays développés la fabrication des biens manufacturés et des services; et aux pays pauvres la fourniture des produits primaires en général (produits agricoles, matières premières). Ceci s'explique en particulier par les différentiels de coût du travail et de productivité. Au fur et à mesure du développement destechniques mais aussi des pays, la division internationale du travail se transforme. Ainsi certains pays du sud se sont mis à fabriquer les produits manufacturés courants. Les nouveaux pays industrialisés, asiatiques surtout, produisent aujourd'hui des produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée, y compris des produits haut de gamme. Les pays développés fabriquent surtout désormais les produits technologiques et les services dont la production nécessite de hautes qualifications. Les FMN participent pleinement de cette D.I.T, puisqu'elles arbitrent entre les lieux possibles de leurs productions. Toutefois, les firmes transnationales opèrent de manière sélective en observant, outre les possibilités d'implantation du fait de la baisse des coûts de transport, de la diffusion des technologies de l'information et des avantages en termes de coûts salariaux et/ou de maîtrise technologique, une position géographique favorable (par rapport aux grands courants d'échange), des infrastructures de communication de qualité et un potentiel de marché important. Il y a donc une dynamique: les implantations des filiales des FMN ne sont pas figées et on assiste régulièrement à des réaffectations de production, parce que les avantages comparatifs évoluent, et parce que la nature du produit fabriqué change.

Les FMN tentent donc par leur choix de localisation de s'accaparer les bénéfices des avantages comparatifs ou stratégiques internationaux. Ce faisant, elles accélèrent les échanges mondiaux.

3.1.3. Le développement des entreprises multinationales engendre une accélération des échanges internationaux.

Les FMN accroissent les flux d'échanges internationaux, principalement parce qu'elles pratiquent un commerce international intra-firme (ou commerce intra-firme) : on vient de le voir, elles s'échangent des produits en cours de fabrication entre filiales de la même transnationale. Ceci augmente considérablement les flux d'import export entre nation. Pour autant, ce développement du commerce international sort en grande partie de la logique marchande : les prix pratiqués au sein des FMN ne correspondent pas toujours à un arbitrage de marché, mais découlent des stratégies des entreprises pour optimiser la rentabilité du siège ou d'une filiale particulière de manière un peu artificielle.

L'existence des entreprises transnationales génère donc du commerce intra firme : celui ci représente l'ensemble des échanges de biens internes à une FMN entre la maison mère et ses filiales ou entre ses filiales. Ainsi, du fait de la décomposition des processus productifs, une même firme peut importer de ses filiales des produits semi finis pour les assembler sur un territoire avant de les exporter à une de ses filiales de commercialisation dans le monde. Un produit intermédiaire peut donc passer plusieurs fois les frontières. Des estimations indiquent que le commerce intra firme strict représente désormais entre 30 et 40% du total des échanges. Pour la Chine, on estime même que 50% de ses exportations mondiales sont en réalité le fait d'un commerce intra-firme. On voit donc clairement que l'activité des firmes transnationales " gonfle " le volume du commerce mondial.

Ce commerce intra-firme ne correspond pas strictement à une logique de marché : la tarification des échanges ne repose pas sur des prix nés d'une mise en concurrence par le marché mais sur un arbitrage comptable interne à la firme. En effet, rien n'oblige la firme àrespecter une tarification conforme ne serait-ce qu'au coût de production : le prix d'échange résulte de calculs d'optimisation au niveau de la firme globale. Ces firmes auraient ainsi la possibilité d'annuler en particulier l'effet des charges fiscales. Par exemple, si l'imposition sur les sociétés en France est comparativement plus importante que celle d'un autre pays avec qui une FTN pratique un commerce intra-firme, cette FTN peut minimiser la valeur, donc le prix, des productions fabriquées en France et exportées, et augmenter conjointement la valeur des productions importées en France. L'intérêt serait de réaliser son profit dans l'autre pays plutôt qu'en France (grâce au prix des importations et exportations), pour bénéficier de l'impôt sur les bénéfices le plus faible. Du fait de ces manipulations possibles, on ne sait pas très bien quelle signification donner aux flux résultant de ces échanges intra-firme : leurs valeurs ne peuvent pas être considérées comme extrêmement significatives. Voir aussi le paragraphe 3.2.2 et la logique des prix de transfert pour approfondir cet aspect.

A cela s’ajoute les échanges avec les partenaires commerciaux: un tiers au moins des échanges mondiaux lierait les FMN à leurs sous-traitants. Si on ajoute aux échanges intra-firme les échanges où l'un au moins des co-contractants est une firme transnationale, ce sont 92% des échanges mondiaux qui sont concernés. On voit que la mondialisation ne saurait se passer des firmes transnationales ! On observe également le développement de réseaux d'entreprises : les firmes transnationales, au lieu de continuer à augmenter le nombre de leurs filiales en rachetant ou en créant des entreprises à l'étranger, se contentent de conclure des contrats commerciaux avec des entreprises partenaires à l'étranger, contrats prévoyant par exemple la fourniture de tel ou tel produit avec des caractéristiques bien précises dictées par la firme transnationale comme le fait Nike avec des sous-traitant dans diverses régions du monde. On parle alors couramment de firme–réseau. L'avantage est la souplesse qui en résulte pour la transnationale : un contrat commercial peut être rompu ou non reconduit extrêmement facilement alors qu'une participation dans le capital d'une entreprise est beaucoup plus difficile à liquider. Il est même possible de donner une fabrication en sous-traitance à l’un de ses principaux concurrents, comme le fait Apple avec Samsung! Ces échanges entre partenaires pour la confection d’un produit se traduisent naturellement par un développement du commerce international.

Les entreprises transnationales participent ainsi à la mondialisation des échanges en accentuant la division internationale du travail par la DIPP, dans le but de bénéficier des avantages comparatifs propres aux pays d'implantation. Leur développement s'observe statistiquement par la progression très rapide depuis vingt ans des IDE. Ceci conduit naturellement à accélérer les échanges internationaux, notamment parce que l'on observe un commerce intra-firme de plus en plus développé.

3.2. Les stratégies de localisation des FMN dépendent d’avantages propres à la firme, mais aussi des conditions offertes par les pays qui les accueillent.

3.2.1. L'internationalisation des entreprises leur permet d'augmenter leur compétitivité.

La compétitivité, c'est la capacité à résister à la concurrence. Cette compétitivité se construit sur deux plans : la compétitivité prix (les entreprises cherchent alors à agir sur leurs prix de manière à avoir un prix inférieur à celui de leurs concurrents, espérant ainsi que les consommateurs achèteront leur production de préférence à celle de leurs concurrents) et la compétitivité structurelle ou hors prix (ou même compétitivité produit), les entreprises cherchent alors à agir sur les caractéristiques du produit, caractéristiques capables de le faire vendre malgré un prix relativement plus élevé que celui des concurrents. Ces caractéristiques, cela peut être par exemple l'image de marque, la fiabilité, le réseau de service après-vente, etc. La compétitivité structurelle peut dépendre aussi de la qualité de la main d'œuvre, de la qualité des infrastructures collectives [Pour plus de détails sur la compétitivité, voir la notion].

L'internationalisation permet d'augmenter la compétitivité prix en profitant des différences internationales des coûts des facteurs de production et en permettant de contourner les barrières protectionnistes. Les FMN gagnent en compétitivité prix dès lors qu’elles savent parfaitement affecter des segments de production entre différents territoires, selon le principe de la DIPP. Les firmes productrices peuvent arbitrer aussi selon les coûts de production locaux, les coûts de transport de manière à avoir un coût final unitaire le plus bas possible. Cette quête du coût de fabrication le plus bas est un souci permanent pour les FMN, qui sont soumises à la concurrence internationale. Ainsi, après avoir été fabriquée au Japon au départ, la Wii de Nintendo est aujourd’hui fabriquée en Chine (sur les lignes dédiées de Foxconn). La FTN peut également améliorer sa compétitivité prix en contournant des barrières protectionnistes : une barrière protectionniste, c'est soit des droits de douane, soit des contraintes pour les produits entrants dans le pays ; dans les deux cas, elle coûte cher et donc augmente le prix du produit. En fabriquant le produit dans le pays, on évite ces coûts, donc on améliore la compétitivité prix du produit.

L'internationalisation permet aussi d'augmenter la compétitivité structurelle en poussant les FTN à différencier leurs produits. La différenciation des produits permet à l'entreprise d'apparaître comme la seule fabriquant ce produit, de détenir donc un monopole, limité certes (à un produit très précis et sur une période probablement courte) mais un monopole quand même, qui permet donc à l'entreprise d'engranger des profits substantiels: on parle de situation de «concurrence monopolistique». La stratégie de différenciation des produits impose des investissements en recherche développement importants : il faut innover, autant sur le plan des caractéristiques techniques des produits que sur les méthodes de commercialisation et de présentation des produits. La différenciation des produits s'accompagne, sur le plan technique, de la nécessité d'une grande souplesse des outils de production et des circuits de distribution, de manière à être le plus réactif possible aux transformations du marché (effets de mode, par exemple). Elle répond aux désirs des consommateurs de se différencier des autres consommateurs. Elle permet d'apporter une réponse aux impératifs de la compétitivité en déplaçant le problème : si l'on fabrique un produit différent de ceux fabriqués par les autres producteurs, on échappe (souvent très momentanément) aux impératifs de la compétitivité. Cette différenciation permet aussi de mieux prendre en compte les spécificités culturelles des consommateurs : ainsi par exemple, alors que dans beaucoup de pays européens, on consomme des œufs à coquille complètement blanche, l'introduction de ces œufs en France s'est révélé un échec commercial. En effet, les Français sont attachés à une coquille d'œuf colorée, gage de qualité et de naturel, pensons-nous… Une entreprise qui veut produire pour un marché mondial ne peut pas ne pas tenir compte de ces spécificités.

Le choix stratégique entre compétitivité prix et compétitivité hors prix dépend d'abord de la nature du produit : quand on produit des chaussettes, par exemple, le prix est un argument de vente essentiel ; quand on vend des machines-outils pour la production industrielle, la fiabilité est essentielle pour le client ; quand on vend des chaînes hi-fi, on doit choisir entre une stratégie relativement bas de gamme fondée sur des prix compétitifs ou une stratégie haut de gamme fondée sur la qualité et les innovations technologiques. La localisation de la production est une conséquence de cette décision stratégique.

3.2.2. Les Firmes multinationales ont la capacité à délocaliser rapidement des entreprises ou des segments de production pour accroître leur compétitivité

Les FMN participent largement au processus de délocalisation des productions, avec des conséquences évidentes sur l’emploi. Il ne faut cependant pas faire des délocalisations un mouvement très importants : au sens strict, les délocalisations restent peu nombreuses. Les motivations à délocaliser sont multiples.

On l’a vu, les firmes transnationales vont avoir une stratégie de localisation de la production en fonction des caractéristiques propres de chaque espace national de manière à maximiser leurs profits. La division du processus de production entre des pays différents exploite les différences de conditions de production entre les pays : dans certains pays, les matières premières sont peu chères, dans d'autres ce sont les impôts ou le coût du travail. Les firmes transnationales vont chercher à profiter de tous ces avantages à la fois. Comment ? En investissant (par des IDE) dans les pays où les conditions de production les intéressent et en délocalisant des productions. Les éléments qui vont entrer en ligne de compte dans la décision peuvent être multiples : les coûts de production (coût du travail, coût du capital) peuvent être moindres dans le pays d'implantation, mais ce peut être aussi les frais d'accès au marché ou l’importance du marché lui-même. Elle divise donc le processus productif et localise sa production là où cela lui coûtera globalement le moins cher, tout en bénéficiant des avantages de chacun des pays.Un cas de figure de plus en plus fréquent est la délocalisation par externalisation des activités: elle concerne d’abord les fonctions périphériques de l’entreprise comme les services informatiques ou la gestion des impayés. Ainsi, vous avez tous entendus parler des centres d’appels téléphoniques externalisés vers les pays du Maghreb, proposant les services de gestion après-vente des grandes marques françaises de téléphonie, d’assurance ou de services bancaires. La délocalisation se développe aussi désormais par modularisation. On divise le produit en modules indépendants jusqu’à l’assemblage final, ce qui favorise l’externalisation de la division internationale du travail. Les motivations des délocalisations sont variées. Depuis les années 2000, le flux des délocalisations vers les pays émergents et notamment la Chine progresse nettement, mais la mesure des pertes d’emploi reste très difficile. Les délocalisations ont en effet des conséquences composites sur l’emploi: les menaces de délocalisation permettent ainsi en premier lieu aux entreprises multinationales de limiter les revendications en termes de salaires et de conditions de travail. Par exemple en France, la remise en cause de la loi sur les « 35 heures » : au cours de l'été 2004, le chantage à la délocalisation (déménagement du site en République Tchèque) a permis à une filiale de l'entreprise allemande Bosch à Vénissieux (Rhône) de négocier un accord pour allonger d'une heure par semaine la durée du travail sans augmentation des salaires. Les destructions d’emploi n’affectent ensuite pas de la même manière les salariés, selon leur niveau de qualification. Un travailleur peu qualifié, déjà désavantagé sur le plan du salaire, sera de plus menacé sur le plan de l'emploi, avec peu de perspective de sortir du chômage s'il a été licencié à la suite d’une délocalisation. Dans les PDEM, les travailleurs routiniers (selon le terme de R. Reich) affectés à des tâches répétitives sont donc les 1ers perdants de la délocalisation. Avec des risques sur la cohésion sociale car les délocalisations favorisent en parallèle la carrière des «manipulateurs de symbole», qui par leur mobilité internationale «gèrent» et accompagnent le mouvement des délocalisations. Il s’agit bien sûr des cadres qui ont la capacité à s’expatrier et à bénéficier ainsi des délocalisations… On voit donc que les délocalisations peuvent accentuer les inégalités sociales déjà existantes.

Cependant, les délocalisations doivent être étudiées dans les deux sens : des entreprises étrangères s'implantent en France créant ainsi des richesses et des emplois. Les délocalisations permettent un transfert d'activité et de technologie vers des pays en développement, ces derniers ouvrant des marchés aux entreprises des pays développés qui peuvent accroître leur activité et leurs emplois. Il ne faut pas non plus oublier qu’il existe des «relocalisations»: les délocalisations sont parfois des échecs et l’entreprise peut décider de revenir sur un site initial de production, comme l’ont fait les entreprises Atoll (lunettes) ou Rossignol (ski) en France. Au final, l'effet sur l'emploi des délocalisations est très discuté ; les pertes d'emplois sont limitées, si l'on prend en compte les emplois créés grâce à la demande supplémentaire générée par les délocalisations d’après la plupart des études disponibles.

3.2.3. L'internationalisation pratiquée par les FMN aboutit donc aussi à mettre en concurrence les pays.

Certains se demandent si les États ont encore du pouvoir face aux FMN : le poids économique de ces entreprises est parfois énorme, leurs décisions stratégiques semblentune quelconque activité de contrôle. Les FMN ne prennent effectivement pas en compte les politiques économiques nationales, ou jouent sur des différentiels de fiscalité pour imposer leurs vues aux États.

Les politiques économiques ont, en effet, un cadre national, bien souvent incompatible avec l’existence des FMN. Non seulement elles ne peuvent pas s'imposer aux firmes transnationales mais elles sont parfois contrecarrées directement par les décisions des firmes transnationales : par exemple, quand un Etat décide de lutter contre le chômage dans une région spécialement touchée et qu'une firme transnationale décide la délocalisation d'une de ses unités de production située dans cette région, que peut faire l’État ? Et on peut ajouter que, parfois, les États se concurrencent mutuellement pour attirer les FTN chez eux plutôt que chez le voisin. Le " chacun pour soi " semble souvent primer, au détriment d'une solidarité, pourtant parfois affichée. Enfin, les exigences de compétitivité et de flexibilité sont parfois présentées comme des nécessités auxquelles les États doivent se plier, en les imposant à la nation toute entière (par la modification de la législation du travail ou l'abaissement des charges sociales, par exemple). Les pays du nord de l'Europe, dans lesquels le poids de la fiscalité est très lourd, montrent sans doute que les choses ne sont pas si simples et qu'il y aurait matière à discussion.

Pour payer moins d'impôts, les multinationales jouent sur la concurrence fiscale. En théorie, l'impôt sur les sociétés doit être acquitté dans le pays où l'entreprise opère et réalise ses bénéfices. Rien de plus normal, en effet, que les entreprises contribuent aux dépenses collectives là où elles polluent, utilisent les routes et bénéficient des efforts réalisés pour former la main-d’œuvre, la maintenir en bonne santé, etc. Les groupes d'entreprises sont de ce fait soumis à l'ensemble des taux d'imposition propres à chacun des pays où ils réalisent des profits. Le taux d'imposition moyen d'un groupe dépend donc logiquement de la répartition de ses activités entre les pays. Or, pour de nombreuses multinationales, ce n'est plus vraiment le cas. C’est la logique du prix de transfert: Le prix de transfert correspond à « tout flux intragroupe et transfrontalier (achat et vente de biens, de services, redevances, intérêts, garantie, honoraires, cession ou concession de biens incorporels tels que les marques, brevets, savoir-faire), refacturation de coûts…». Les entreprises multinationales disposent d'une marge de manœuvre importante dans la détermination de leurs prix de transfert : ces prix n'étant pas des prix de marché et n'obéissant donc pas à la loi de l'offre et de la demande, permettent à une entreprise de jouer sur la localisation de ses profits, et à l'occasion de tirer profit des différences de fiscalité d'une région ou d'un pays à un autre. Prenons par exemple, la Renault Dacia Logan produite en Roumanie et commercialisée en France. Au niveau du résultat avant impôt du groupe Renault, le prix de cession du véhicule entre l'usine roumaine et le réseau de distribution français (le fameux prix de transfert) n'a aucun impact. Au niveau fiscal, la situation est tout autre, car la modification du prix de transfert change la répartition des bénéfices entre la Roumanie, où ils seront imposés au taux de 16%, et la France, où ils seront imposés au taux de 34%. Renault a donc tout intérêt à définir un prix de cession interne suffisamment élevé pour que sa filiale roumaine fasse l'essentiel des bénéfices! Ce qui leur permet d'optimiser leur imposition sans grand risque, au détriment des États.

Les FMN ont donc pleinement participé au développement du commerce international. En multipliant les IDE, ces firmes ont de fait augmenté le montant des échanges intra-firmes. Cette nouvelle forme de commerce est le résultat de stratégies internes aux firmes, et de la volonté de s’arroger les gains des avantages comparatifs locaux. Les FMN en devenant des acteurs incontournables de l’économie mondiale peuvent même remettre en cause la souveraineté des États, en les mettant en concurrence lors des choix de localisation des unités de production.