La croissance économique depuis le XIXe siècle a permis, dans les pays aujourd’hui développés, une impressionnante hausse du niveau de vie de la population comme vous l’avez vu en classe de 2nde. En effet, la croissance économique, qui correspond à une augmentation des quantités de biens et services disponibles pour la population, a favorisé un plus large accès à ces biens et services : le niveau de vie moyen de la population augmente. Dans nos sociétés complexes dans lesquelles la division du travail social est grande, la production réalisée n’est évidemment pas directement appropriée par l’individu producteur. Cet individu, en produisant, obtient un revenu qu’il pourra utiliser pour acheter une multitude d’autres biens et services produits par d’autres individus.
Vous comprenez donc pourquoi la croissance économique est recherchée.
Il s’agit donc de comprendre d’où vient la croissance économique, notamment à long terme, quels facteurs sont en cause. Il s’agira aussi d’expliquer les variations dans le rythme de la croissance économique car, vous le savez, la croissance connait des phases d’accélération et des phases de ralentissement. Tout cela fera l’objet de la première partie. Nous verrons notamment qu’à partir du XIXe siècle, en dehors de la croissance des facteurs de production, la révolution industrielle et le progrès technique expliquent l’essentiel du dynamisme de la production. Il ne faut cependant pas minimiser le rôle des institutions favorables à la production et au progrès technique.
Dans une seconde partie, nous verrons que, si la croissance économique permet la hausse du niveau de vie moyen, elle peut s’accompagner de divers problèmes sociaux et notamment d’inégalités économiques : les revenus des plus riches pouvant plus augmenter que ceux des plus pauvres, en tout cas durant certaines périodes. Il faudra préciser et comprendre ces évolution. Enfin, vous le savez, la croissance nécessite l’exploitation souvent excessive de ressources naturelles et peut être à l’origine de pollution. Nous tenterons de décrire et d’expliquer ces phénomènes avant de voir comment le progrès technique peut limiter les effets pervers de la croissance économique.
L’analyse économique de base qui a permis de déterminer et de mesurer les sources de la croissance est partie d’un constat simple : pour produire, il faut des travailleurs et des machines ! Les sources de la croissance économique seront donc les deux facteurs de production que sont le travail (nombre de travailleurs et heures de travail effectuées) et le capital (machines, locaux, etc.). Cette analyse ne met donc en avant que les facteurs d’ « offre » et non de « demande », supposée s’ajuster sans problèmes : les revenus dégagés de la production permettent l’achat de biens et services de consommation ou l’accumulation du capital par les entreprises (l’investissement), sans fuite ni perte. Précisons les choses car cette analyse permet de comprendre et surtout de mesurer certains facteurs fondamentaux de la croissance économique.
La croissance économique s’explique donc facilement tout d’abord par l’augmentation du facteur travail. La croissance de la population est donc un facteur positif de croissance : les capacités de production, en termes de travail, augmentent. Toutefois, bien sûr, il faut que cette croissance de la population corresponde à une population en âge de travailler et qui se porte sur le marché du travail : des facteurs sociologiques et institutionnels jouent donc aussi leur rôle. À côté de l’augmentation de la population, celle du taux d’emploi, c’est-à-dire de la part des actifs ayant un emploi dans la population totale, qui synthétise ces facteurs institutionnels et sociologique permet de mesurer l’augmentation du facteur travail. Prenons l’exemple de la France après la seconde guerre mondiale pour détailler tout cela. Durant les Trente glorieuses, en gros les 30 années après la seconde guerre mondiale, le baby-boom a pu apparaître comme un facteur positif de la croissance économique. Toutefois, cela s’est fait avec un décalage d’un vingtaine d’années, le temps que ces enfants soient en âge de travailler d’autant que les femmes ne travaillaient que très peu et donc se retiraient du marché du travail pour accoucher et s’occuper des enfants. Un autre facteur explique aussi la croissance de la population et de la population active, en tout cas jusqu’au milieu des années 1970 : l’immigration. En effet, il a été fait appel à l’immigration de travail pour pouvoir accroître les capacités de production dans l’agriculture ou l’industrie. De plus, après une baisse de leur taux d’activité du début du XXe siècle jusqu’au début des années 1960, les femmes, dans un processus général d’égalisation des conditions et d’émancipation vis-à-vis des hommes, se sont de plus en plus portées sur le marché du travail notamment comme salariées et ont donc à nouveau de plus en plus participé à l’accroissement des capacités de production. Deux changements ont, par contre, eu un rôle négatif sur l’évolution des capacités de production. Le premier est l’allongement de la scolarité qui fait qu’à un âge donné, 18 ans par exemple, de plus en plus de jeunes ont continué leurs études et ont réduit les capacités de production, à court terme tout du moins (nous verrons plus tard les aspects dynamiques positifs de cette évolution en termes d’amélioration du capital humain et de productivité). Le second facteur est lié aux changements de comportement de la population mais aussi institutionnels, à l’évolution de certaines règles comme l’âge légal de départ à la retraite. Si celui-ci baisse comme dans les années 1980, la proportion de personnes âgées en activité baissera ; notons, vous le savez, qu’avec les différentes réformes des retraites, l’inverse se produit depuis quelques années. Vous le voyez des évolutions contradictoires et changeantes d’une période à une autre peuvent avoir des effets positifs ou négatifs sur la croissance du facteur travail … et nous n’avons pas évoqué l’évolution du temps de travail qui a été relativement élevé jusqu’au milieu des années pour diminuer ensuite (quatrième puis cinquième semaine de congé payé, passage aux 35 heures par semaine, etc.).
La croissance économique dépend aussi de l’accumulation de l’autre facteur de production : le capital. Si le capital accumulé augmente, cela signifie que les entreprises ont plus de capacité de production. L’investissement est donc source de croissance par le capital accumulé qui peut être utilisé pour produire plus. Pour les économistes néoclassiques, cet investissement dépend des capacités de financement des entreprises et donc de leur capacité de d’autofinancement. Il dépend aussi des moyens de financement qui leur sont accordées par les banques et les marchés financiers et donc d’une épargne préalable recyclée par le système de financement. Reprenons l’exemple de la France. Durant les Trente glorieuses, l’effort d’investissement a été très important. Mesuré par le taux d’investissement (FBCF/∑ Valeurs ajoutées), il a fluctué entre 22 et 25 %, contre des fluctuations de 16 à 20 % depuis lors pour les seules sociétés non financières (sans tenir comptes donc des banques ou des compagnies d’assurance). Le développement d’activités industrielles propres à cette période a nécessité d’une part un exode agricole important mais aussi des investissements massifs dans de nombreuses branches d’activité (automobile, équipement ménager, production d’électricité, etc.). D’une manière générale, l’accumulation est un facteur qui semble important lors des phase de démarrage d’une croissance économique accélérée. Ainsi, en Chine, depuis les années 1980, le taux d’investissement a pu être de plus de 30 % et actuellement, en 2017, il serait d’environ 43 % d’après l’OCDE ! Plus de 40 % de la richesse créée, donc des revenus distribués, est utilisée pour acheter des machines ! Vous comprenez mieux l’importance de la croissance économique de la Chine.
Sous réserve de certaines conventions de calcul, il est possible de mesurer la part de ces deux facteurs de production dans la croissance économique, le détail des calculs pouvant être plus ou moins détaillé pour le calcul de la contribution du facteur travail (taux d’emploi, nombre d’heures de travail par salarié, etc.).
Pour mesurer l’impact de la quantité des facteurs de production sur la croissance économique, il faut bien sûr savoir combien une heure de travail permet de produire et combien une machine le permet. Ainsi, on suppose que si le nombre d’heure de travail double et si la quantité de machines double en même temps, la production doublera. On dit que les rendements d’échelle sont constants. Par contre, il se peut penser que l’on utilise plus de machines et moins de travailleurs, donc moins de d’heures de travail. Dans ce cas-là, les économistes supposent que la production supplémentaire apportée par un seul facteur de production est de moins en moins forte : vous retrouvez l’hypothèse de productivité marginale décroissante du capital que vous avez vu en première (c’est bien sûr la même chose avec le travail dont la productivité est supposée décroissante). Avec ces hypothèses, il est possible de mesurer ce qu’apporte une augmentation de chacun des facteurs de production. Enfin, on suppose que l’ensemble la production se répartit entre des revenus pour le travail et des revenus pour le capital ; si, par exemple, les deux tiers du PIB reviennent au travail et le reste au capital, on considère que le poids du facteur travail doit être affecté d’un coefficient de 2/3 et le travail de 1/3. La fonction de production est dès lors : Production = 2/3 x L + 1/3 x K (avec L : un indice du nombre d’heures de travail et K : un indice de la quantité de capital). Précisons que les heures de travail correspondent à la totalité des heures de travail de toute la population ayant un emploi durant l’année (elles tiennent compte de la durée hebdomadaire du travail, des congés payés mais aussi du nombre de personnes qui travaillent). À partir de là, avec les hypothèses de rendements d’échelle constants et de productivité marginale décroissante, il est possible de savoir de combien a augmenté la production du fait des variations du nombre d’heures de travail et du fait des variations du capital utilisé. On mesure ce que l’on appelle les contributions des variations des facteurs de production à la croissance économique. Remarquons tout de suite que si l’augmentation de la production constatée réellement (hausse du PIB) est plus élevée que celle mesurée par cette méthode, c’est que d’autres facteurs jouent pour expliquer la croissance économique.
Des économistes et statisticiens ont ainsi tenté de mesurer l’impact des variations des facteurs de production sur la croissance économique. Ils ont, dès les premières mesures de ce type, constaté que le PIB augmentait beaucoup plus que la hausse de la production mesurée avec les fonctions de production. On peut légitimement penser que cet écart peut être dû à des erreurs de mesure du nombre d’heures de travail et des quantités de machines dont la valeur est d’ailleurs très difficile à mesurer (on n’ajoute pas un nombre de machines mais la valeur des machines). Mais l’importance des écarts et la simple réflexion économique tend à faire penser que d’autres facteurs peuvent expliquer ces écarts au vu de l’importance des écarts constatés. Ainsi, en France, la croissance économique de 5 % en moyenne par an de 1951 à 1969 était expliquée pour moins de 2,5 points par la croissance des facteurs de production, le reste étant inexpliquée : dit autrement, si les seuls facteurs de croissance économique étaient la croissance des facteurs de production, le PIB aurait augmenté de seulement 2,5 % en moyenne par an. Le reste, inexpliqué donc, a été appelé « résidu » (ou « résidu de Solow » ;, de l’économiste américain ayant trouvé cette méthode de calcul) puis productivité globale des facteurs (PGF) puisque l’on a pu légitimement penser que les facteurs de production étaient devenus plus efficaces, plus productifs avec le temps.
Regardons plus en détail ce qu’il en est de la croissance économique à long terme, en reprenant les différents facteurs mesurés. Les calculs présentés dans le document suivant ont été réalisés par les économistes A. Bergeaud, G. Cette et R. Lecat et présentés dans l’ouvrage Le bel avenir de la croissance, Odile Jacob, 2018. Que constatons-nous ?
Document : Décomposition comptable de la croissance annuelle du PIB entre 1890 et 2017 (en % pour la croissance annuelle moyenne du PIB et en points de % de croissance pour les différentes contributions).
Commençons par étudier un pays dont la croissance vive a été plus tardive : le Japon. On remarque que la croissance annuelle moyenne de son PIB est de 3,5 % environ, ce qui est énorme (par le jeu des taux de variation cumulé sur 127 ans, le PIB a été multiplié par 80 environ du fait de cette croissance de 3,5 % chaque année en moyenne !). Les deux contributions les plus importantes sont l’accroissement de l’intensité capitaliste (c’est-à-dire le rapport K/L) qui correspond à l’accumulation du capital (machines, bâtiments, etc.) qui contribue pour 1,5 point aux 3,5 % de croissance annuelle moyenne du PIB. On reconnait ici le rôle important de l’investissement dans le démarrage de la croissance économique. De même l’augmentation de la PGF explique aussi 1,5 point des 3,5 % de croissance annuelle moyenne du PIB. Pour la France, la contribution de la hausse de la PGF à la croissance économique représente environ 1,7 point des 2,2 % de croissance annuelle moyenne du PIB : on parle parfois de croissance intensive (à l’opposé d’une croissance extensive liée à l’extension de l’échelle de production, c’est-à-dire à l’augmentation des quantités de facteurs de production). On retrouve ici la situation d’un pays anciennement industrialisé qui ne peut plus compter uniquement sur la croissance de ces facteurs de production pour augmenter sa production mais qui doit augmenter l’efficacité de son processus de production, qui doit innover. Remarquons par contre, pour le cas des États-Unis, le rôle très important de la croissance de la population à côté de celle de la PGF : vous connaissez sans doute l’apport important de l’immigration dans l’économie américaine, ainsi que l’importance de la croissance naturelle de la population. Vous voyez ainsi l’intérêt de ces calculs qui est de ne pas supposer a priori le rôle de tel ou tel facteur mais de mesurer la contribution de chacun. Quoi qu’il en soit, il apparait quand même que l’augmentation de la productivité globale soit un des facteurs clés de la croissance économique. Expliquons maintenant ce qui peut déterminer son augmentation.
Une part essentielle de la croissance économique est donc due à l’augmentation du « résidu », de la productivité globale des facteurs. Évidemment, comme il s’agit de tout ce qui n’a pas été mesuré, certains économistes disent qu’il s’agit d’une mesure de notre ignorance sur les sources constatables de la croissance économique. Toutefois, on peut imaginer, comme on vient de le voir, ce qu’il peut y avoir derrière ce « résidu ». Comme l’expression « productivité globale des facteurs » (ou « productivité totale des facteurs ») le laisse entendre, il s’agirait pour l’essentiel d’une amélioration de l’efficacité du processus de production provenant pour l’essentiel du progrès technique. En effet, innovations de produit et innovations de procédé permettraient aux deux facteurs de production une plus grande efficacité, une plus grande productivité : mécanisation, automatisation, robotisation, etc. À côté de ces innovations, le « résidu » pourrait mesurer aussi l’amélioration des institutions qui rendent toute activité plus efficace (nous verrons cela dans un prochain paragraphe). Mais l’on pourrait imaginer aussi d’autres facteurs comme les migrations professionnelles des secteurs moins productifs vers des secteurs plus productifs (exode agricole par exemple). Ce facteur a pu d’ailleurs être mesuré : en France, de 1951 à 1969, ces migrations professionnelles auraient contribué pour 0,6 point à la croissance économique de 5 % par an en moyenne selon les économistes Carré, Dubois et Malinvaud. En Chine, depuis les années 1980, une part importante de la croissance économique pourrait être lié aussi à cette mobilité professionnelle : des paysans travaillant sur des parcelles peu productives se seraient dirigés dans l’industrie où la productivité du travail est beaucoup plus élevée notamment sur les zones côtières et les zones économiques spéciales attirant des investisseurs étrangers. De même, la hausse du niveau de formation de la population favoriserait la croissance économique du fait d’une capacité plus grande à utiliser des machines, des ordinateurs, etc. Mais revenons au progrès technique.
Le progrès technique correspond ici à des inventions de nature technique, et non organisationnelles comme le taylorisme, qui sont mises en œuvre dans le système économique et qui peuvent être source de croissance économique. Pensez aux métiers à tisser, à la machine à vapeur de la première révolution industrielle mais aussi à l’électricité, à la mécanisation ou à la robotisation mais aussi au téléphone ou à la voiture et plus récemment, à l’ordinateur ou à l’internet. Toutes ces innovations sont donc, tout d’abord, des nouveaux produits qui sont achetés par les consommateurs qui peut relancer la demande et favorisent la croissance économique. Ce sont aussi et surtout des moyens de production plus efficaces que les anciens. Imaginez ce qu’ont apporté à l’industrie du transport les inventions du chemin de fer et des trains, des voitures, des camions, des bateaux à moteurs (cargos, pétroliers, etc.), des avions ! Il s’agit d’une efficacité démultipliée des moyens de transports qui permettent d’élargir les marchés et d’accroitre la production des services de transport. Il en est de même pour les inventions des machines-outils, des machines automatisées, des robots, etc. Toutes ces innovations ont un impact évident sur la productivité et donc la production.
En savoir plus :
Cette hausse de la productivité se traduit par une baisse du coût moyens des entreprises qui deviennent plus rentables. Elle peuvent ainsi décider de réinvestir, de baisser leur prix de vente ou d’augmenter les salaires ce qui accroit la demande et les débouchés : la croissance économique peut être plus forte.
Le schéma suivant résume les « canaux » par lesquels le progrès technique est source de gains de productivité et de croissance :
Prenons deux exemples pour illustrer le rôle du progrès technique dans l’accroissement de la productivité globale des facteurs : celui de l’électricité et des technologies de l’information et des communications.
L’électricité a eu un impact majeur sur la croissance économique et ses effets sur la productivité globale des facteurs. Précisons tout de suite que la production d’électricité, elle-même, a fait des progrès qui se répercutent sur les autres secteurs d’activité : comme nous venons de le voir, la hausse de la productivité dans la production d’électricité a pu permettre de la vendre à de prix plus faibles aux ménages (pour différents usages à commencer par l’ampoule électrique d’Edison) bien sûr mais aussi aux entreprises (les machines fonctionnant à l’électricité remplaçant les machines à vapeur). Ces dernière ont ainsi investi dans des machines fonctionnant à l’électricité, plus efficaces et de moins en moins coûteuse d’utilisation : les gains de productivité se sont diffusés. Il en est de même avec les TIC : la productivité plus grande dans leurs production a permis une plus grande diffusion à de nombreux secteurs d’activité. Or, le matériel informatique, les logiciels et les matériels de communication plus performants accroissent aussi l’efficacité du processus de production d’autres entreprises : services et gestion de la clientèle (exploitation de grandes bases de données notamment par des informations personnalisées , industrie des loisirs, énergie (les réseaux de transport et de distribution (automatisation des postes, infrastructure de comptage communiquant…), fourniture (gestion de l’énergie, équilibre offre-demande…), consommation (réseau intérieur de l’habitation ou du bâtiment…), commerce, santé (gestion des informations, formation continue, etc.). Bref, une innovation peut donc essaimer des avantages en débordant de son propre secteur d’activité ce qui accroit la productivité globale des facteurs et donc la croissance économique.
Prenons l’exemple des États-Unis, un grand pays d’innovation même si l’électricité doit autant à Volta qu’à Edison (création de l’ampoule électrique et fabrication de la première centrale électrique à Manhattan). Les économistes A. Bergeaud, G. Cette et R. Lecat ont présenté les résultats des contributions de ces deux types de progrès technique à l’augmentation de la productivité des facteurs aux États-Unis dans l’ouvrage cité ci-dessus Le bel avenir de la croissance :
Document : Décomposition de la croissance de la productivité globale des facteurs entre qualité des facteurs de production et contribution des nouvelles technologies aux États-Unis (1913-2010, en % pour l’augmentation de la PGF et en points de croissance de la PGF).
Si nous ne nous intéressons qu’au progrès technique, nous voyons que durant la période 1913 à 1975, le développement de l’électricité a expliqué une part très importante de la hausse de la PGF ( le « résidu » ou PGF’’ de la croissance de la PGF explique une part très importante car d’autres progrès techniques ont joué aussi un rôle très important tout comme le reste non mesuré, institutions, etc. dans l’augmentation de la productivité globale des facteurs) : environ 0,5 point sur les 2,4 % de croissance annuelle moyenne de la productivité globale des facteurs de 1913 à 1950. On remarque aussi que les TIC expliquent une part non négligeable de la croissance de la PGF dès les années 1950 : environ 0,2 point des 0,4 % de croissance annuelle moyenne de la productivité globale des facteurs entre 2005 et 2010. On peut donc imaginer que l’ensemble des progrès techniques peuvent expliquer une part importante de la hausse de la PGF et donc de la croissance économique.
Les analyses précédentes laissent croire que la croissance est pour une part importante liée au progrès technique. Or, rien ne semble expliquer d’où vient ce progrès technique : « il tomberait du ciel » ! Des économistes appelés théoriciens de la croissance endogène vont tenter d’expliquer l’intégration d’inventions dans le système économique par des comportements d’acteurs. Ils reprennent ainsi une idée de J.A. Schumpeter qui pense que ce sont les entrepreneurs qui innovent en convainquant banques, apporteurs de capitaux de financer le développement d’innovations porteuses de profits importants. Si, pour Schumpeter, les innovations commencent à apparaître dans des phases de faible croissance où les profits des entreprises non innovatrices sont faibles, les tenants de la croissance endogène estiment que la croissance économique à long terme dégage des revenus qui peuvent financer les innovations et leur accumulation. Les firmes financeraient des dépenses de R&D susceptibles de développer de nouveaux produits. Ainsi, le progrès technique serait tiré par les innovations dont la découverte serait liée à des objectifs de profits.
En effet, les entreprises ont intérêt à innover dans des nouveaux produits pour être en situation de monopole temporaire sur leur marché et réaliser des bénéfices élevés. Elles peuvent aussi trouver de nouveaux procédés de fabrication, réaliser des gains de productivité, réduire donc leur coût de production : elles seront plus compétitives, se trouveront en situation de monopole et réaliseront donc plus de profits. Avec ces revenus supplémentaires, elles financeront des dépenses de Recherche et Développement (R&D) qui aboutiront à de nouvelles innovations, une plus grande productivité. Le progrès technique est donc bien lié à une activité économique : il est endogène.
Il apparaît aussi que le processus a un caractère cumulatif au niveau macroéconomique : les innovations sont source de croissance économique qui augmente les revenus susceptibles de financer de nouvelles innovations etc. C’est ce qui pourrait expliquer que les pays développés, qui ont connu une accélération de leur croissance économique au XIXe siècle, n’ont pas été rejoint par beaucoup d’autres pays : ils ont acquis un avantage décisif. Ce caractère cumulatif lié au financement est amplifié par les externalités positives liés à l’accroissement du capital technologique qui profite non seulement aux entreprises qui réalisent ces dépenses de R&D mais aussi à toutes celles qui sont intéressées par les connaissances, les savoirs développés. La productivité des autres entreprises en bénéficient aussi, nous l’avons vu : la croissance économique est donc plus forte. De plus, avec l’accroissement de la production les entreprises surtout dans ces nouveaux secteurs d’activité peuvent réaliser d’importantes économies d’échelle : il y a des rendement croissants qui réduisent les coûts des entreprises et augmentent les profits des entreprises. Enfin, l’accélération de la croissance économique profite aussi à l’État qui perçoit plus d’impôts et de taxes (hausse de la production, hausse des revenus, hausse de la consommation qui sont des bases des impôts ou taxes). Il est donc possible pour l’État de participer au financement de la R&D, notamment de la recherche fondamentale (mais aussi en développant un système éducatif de haut niveau formant ingénieurs et chercheurs). On retrouve ainsi le caractère endogène du progrès technique qui passe aussi par l’intervention de l’État.
Ce processus de croissance et d’innovation modifie, vous le comprenez bien, la structure des activités économiques : les activités anciennes peu ou pas rentables sont remplacées par des activité nouvelles source de profits plus élevés (on a vu tout à l’heure, les machines électriques remplaçant les machines à vapeur ; les voitures électriques remplaceront-elles d’ailleurs les voitures thermiques ? Tesla se développera-t-elle au détriment des constructeurs classiques ?) . J.A. Schumpeter parle ainsi de processus de destruction créatrice : la croissance économique ne correspond pas à la hausse de la production d’activités anciennes mais à un bouleversement des activités productives. Derrière la croissance économique mesurée par la hausse du PIB, il y a en réalité une multitude de changements d’activités. Au cours de ces changements, les activités nouvelles captent non seulement des clients au détriment des activités ancienne mais aussi des moyens de financement, attirent des salariés compétents, des fournisseurs, etc. qui ne sont plus disponibles pour les anciennes activités : cela entraîne des destruction d’activité avec faillites et chômage. La croissance nécessite donc des emplois mais qui changent. Dans le domaine de l’énergie, pensez à la disparition, en France, de l’industrie charbonnière et du développement des industries pétrolières, nucléaires voire, actuellement, des industries dans les énergies vertes (le solaire, l’éolien, etc.). Autres exemples : n’assistons-nous pas actuellement à une transformation des activités de commerce avec le développement du commerce en ligne face au commerce classique dans les grandes surfaces ou les commerces de proximité ? De même, les innovations concernant les supports musicaux font que l’industrie de la musique se transforme profondément : de moins en moins de ventes de CD (qui avaient déjà éliminer quasiment les disques vinyles) au profit de musique téléchargée ou écoutée en streaming.
Regardez ces chiffres (qui viennent du site offremedia.com) très parlants :
Document : chiffre d’affaires mondial de la musique enregistrée 2001-2018 (en milliards de $)
Vous voyez ainsi que le chiffre d’affaires (valeur des ventes réalisées) de musique enregistrée sous forme physique (vinyle, CD notamment) était de 23,3 milliards de dollars en 2001 (ce chiffre d’affaires était nul pour l’enregistrement en numérique) ; en 2018, il était de 4,7 milliards de dollars seulement contre plus de 11 milliards de dollars pour la musique enregistrée en numérique. En France, la part de marché du numérique est passée en quelques années, de 2014 à 2017, de 31 % à 63 % ! Vous imaginez à quels transferts d’activité cette évolution peut conduire !
On peut penser aussi que la hausse de la PGF n’est pas uniquement liée au progrès technique mais dépend d’autres facteurs : parmi eux, des institutions adaptées semblent fondamentales (y compris d’ailleurs pour expliquer l’importance des innovations).
L’activité économique nécessite en effet des règles, une confiance entre les différents acteurs bref des institutions, entendues donc comme des règles, des conventions, des normes de comportement qui structurent les relations entre agents économiques.
Ces règles, ces conventions, ces habitudes, qui organisent la vie économique, peuvent être plus ou moins favorables à la croissance économique. En effet, la vie économique nécessite, dans les sociétés modernes, une reconnaissance du droit de propriété : sans droit de propriété, il n’y aurait pas d’échanges, notamment entre personnes qui ne se connaissent pas vraiment et ne se font pas a priori confiance, et aussi parce que l’échange marchand est, en lui-même, un transfert de propriété. De même, le fruit du travail des salariés doit être protégé et plus largement celui de l’entreprise : sans cette reconnaissance, les entrepreneurs, les salariés ne seraient pas incités à innover et à produire si d’autres s’appropriaient le fruit de leur activité. Si, pour une raison ou pour une autre (vols, accaparement par des mafias, par un État corrompu, etc.), ils ne pouvaient pas obtenir le fruit de leurs efforts, sans doute produiraient-ils moins. De même, des institutions qui confortent l’épargne (règles fiscales, réglementation des risques pris par les banques, etc.) permettent à cette épargne d’être abondante et de pouvoir financer l’investissement, source de croissance comme nous l’avons vu. Récemment d’ailleurs la crise de 2008-2009 a montré à quel point des institutions financières défaillantes pouvaient non seulement réduire la croissance mais être à l’origine d’une véritable crise économique : durant cette période, non seulement la croissance a ralenti mais la contribution de la PGF à la croissance a diminué dans de nombreux pays. Les institutions ont donc un rôle extrêmement important dans le processus de croissance économique. Détaillons un peu plus ces institutions avant d’approfondir l’exemple du droit de propriété.
S’il existe des institutions qui permettent l’existence d’un marché (droit de propriété, respect des contrats) comme vous l’avez vu en première, d’autres institutions favorisent la régulation concurrentielle du marché (contrôle de la concentration, des informations données sur les produits, de la sécurité des produits alimentaires, financiers comme les comptes à vue etc. par l’État, par des tribunaux) et éviter la formation de monopoles. Or, l’existence de la concurrence forte pousse les entreprises à plus d’efficacité et d‘innovations qui permettent la croissance économique. Mais, le libre fonctionnement du marché, même réglementé, peut se traduire par des crises, des récessions. L’État par ses politiques budgétaires et monétaires régule l’activité économique (vous l’avez vu aussi en classe de première) : il s’agit d’un autre type d’institution qui favorise une croissance forte et si possible sans inflation. Enfin, le libre fonctionnement du marché ne peut être accepté que si les individus peuvent être protégés contre les aléas d’une vie économique dépendant du fonctionnement des marchés notamment de celui du marché du travail : toutes les règles de protection sociale contre le chômage mais aussi les maladies, etc. jouent ce rôle. Ces institutions protectrices font que l’on acceptera mieux les risques inhérents au fonctionnement du marché et à une croissance qui se fait sous forme de destruction créatrice.
Bien sûr, suivant les pays et le niveau de développement du pays, les institutions favorables à la croissance peuvent être différents voire opposées. Par exemple, les règles de concurrence pourraient être défavorables dans les pays peu développés, les entreprises étant peu aptes à la supporter ; à l’inverse, dans les pays développés, la concurrence serait plus favorable à la croissance en poussant à l’innovation. De même, l’effort d’éducation (scolarité obligatoire, règles de gratuité par exemple) devrait plus porter sur le supérieur long dans les pays développés que dans les pays en développement afin de développer l’innovation dans le premier cas, source première de la croissance, et de pouvoir appliquer des méthodes de production déjà éprouvées dans le second cas, l’investissement étant la base de la croissance.
Approfondissons le cas des droits de propriété. Rappelons que sans droit de propriété reconnu et protégé par des tribunaux impartiaux, il est évident qu'il n'y aurait pas d'échange marchand puisqu'on pourrait s’approprier les biens d'autrui sans les payer. Sans échange possible, ce sont toutes les activités productives qui seraient bloquées : on ne pourrait plus vendre et obtenir un revenu de sa production ; il n’y aurait plus de division du travail source de spécialisation et de plus grande efficacité. Qu’en est-il du travail effectué par des individus ? Si les individus savaient que le fruit de leur travail pouvait être approprié gratuitement par d'autres, on peut penser qu'ils ne feraient pas d'effort dans leur travail courant ni d'efforts de formation. Le capital humain ne serait donc pas valorisé et la croissance serait bloquée.
Comme nous avons vu que la croissance économique pouvait s’expliquer par le progrès technique et les innovations, précisons le rôle d’une institution fondamentale qui les favorise : le brevet d’invention. Le brevet d'invention est une institution qui permet à l'inventeur qui dépose une brevet d'invention de bénéficier seul de son invention : c'est un droit reconnu. Pendant 20 ans, l’inventeur détient donc le monopole d’utilisation de son invention qui permet de fixer des prix élevés, prix élevés qui financent les dépenses liées à ces inventions et rémunèrent finalement le risque pris. Pensez, par exemple, que l’invention d’un médicament peut prendre 10 ans : vous imaginez les coûts de la recherche et les risques pris par les laboratoires ! D’ailleurs, dans ce domaine, il existe des règles permettant d’allonger la protection accordée par les brevets, appelées « certificats complémentaire de protection ». Si ces règles n'existaient pas, on peut penser que l'invention serait rapidement copiée par d’autres entreprises pour produire les biens qui lui sont liés. N'ayant pas à financer les coûts de recherche et de développement, ces entreprises « imitatrices » seraient donc plus compétitives que l'entreprise innovatrice et l'élimineraient. Vous imaginez que l'incitation à innover serait très faible. L’institution du brevet d'invention incite, donc, à inventer, à innover et favorise, par cela, la croissance économique.