CH07. Quelle est l’action de l’École sur les destins individuels et sur l’évolution de la société ?

Introduction :Souvenez-vous, en classe de première vous avez étudié le processus de socialisation, qui participe à la construction des identités individuelles et contribue à faire de nous des êtres singuliers mais aussi des êtres sociaux appartenant et s'intégrant à différents groupes sociaux.Ainsi, vous avez appris que ce processus est différencié selon le milieu social et le sexe et que les configurations familiales exercent une influence sur les conditions de socialisation des enfants et des adolescents favorisant plus ou moins leur réussite scolaire. En prêtant attention aux variations familiales vous avez pu comprendre des parcours scolaires et de vie « atypiques », ces trajectoires dites « improbables » où l'origine sociale des parents, les investissements dans la scolarité ou encore certaines pratiques culturelles peuvent expliquer ces parcours singuliers. Dans ce chapitre, vous allez vous intéresser à l'école, toujours en lien avec la famille. La question est alors de savoir comment l’École (au sens large, cette notion désigne l’ensemble des institutions chargées de délivrer un enseignement dans le cadre de la formation initiale (écoles maternelles, primaires, collèges, lycées, voire enseignement supérieur), qui accueille des enfants et des jeunes d’origine sociale, géographique et de sexe différents, parvient (ou pas) à remplir une de ses fonctions, celle d’instrument d’égalité des chances. Dans un deuxième temps, il s’agira de comprendre l'origine de trajectoires individuelles de formation différenciées et inégales.

Introduction :

Souvenez-vous, en classe de première vous avez étudié le processus de socialisation, qui participe à la construction des identités individuelles et contribue à faire de nous des êtres singuliers mais aussi des êtres sociaux appartenant et s'intégrant à différents groupes sociaux.

Ainsi, vous avez appris que ce processus est différencié selon le milieu social et le sexe et que les configurations familiales exercent une influence sur les conditions de socialisation des enfants et des adolescents favorisant plus ou moins leur réussite scolaire. En prêtant attention aux variations familiales vous avez pu comprendre des parcours scolaires et de vie « atypiques », ces trajectoires dites « improbables » où l'origine sociale des parents, les investissements dans la scolarité ou encore certaines pratiques culturelles peuvent expliquer ces parcours singuliers. Dans ce chapitre, vous allez vous intéresser à l'école, toujours en lien avec la famille.

La question est alors de savoir comment l’École (au sens large, cette notion désigne l’ensemble des institutions chargées de délivrer un enseignement dans le cadre de la formation initiale (écoles maternelles, primaires, collèges, lycées, voire enseignement supérieur), qui accueille des enfants et des jeunes d’origine sociale, géographique et de sexe différents, parvient (ou pas) à remplir une de ses fonctions, celle d’instrument d’égalité des chances. Dans un deuxième temps, il s’agira de comprendre l'origine de trajectoires individuelles de formation différenciées et inégales.

1. L’École cherche à transmettre des savoirs à tous les enfants, favorisant ainsi l’égalité des chances.

1.1. Quelles sont les missions de l’École dans les sociétés démocratiques ?

Dans une société démocratique, l'École a une double fonction : elle est une instance d’intégration qui doit transmettre des savoirs mais elle est aussi le principal instrument de l'égalité des chances.

Dans une société démocratique, l'École a une double fonction : elle est une instance d’intégration qui doit transmettre des savoirs mais elle est aussi le principal instrument de l'égalité des chances.

1.1.1. L’École, une instance d’intégration qui transmet des savoirs : l’exemple de la France.

Depuis la IIIe République, en France, au début des années 1880, l’école a été considérée comme l’institution fondamentale de développement d’une République laïque et de démocratisation de la société. La laïcité nécessite que la Raison, le savoir scientifique remplacent l’enseignement religieux : l’école doit émanciper l’enfant des croyances religieuses de la famille pour former un citoyen libre de sa pensée et faciliter l’intégration nationale autour du projet républicain et démocratique. La liberté de conscience et de penser qui est ainsi une valeur fondamentale des sociétés démocratiques doit être un des principes de l’École publique. De nombreuses matières ont pu, depuis les années 1880, favoriser d’une façon ou d’une autre le développement d’une pensée libre seulement soumise à la raison : le français (ou la littérature) avec la diversité des textes, d’auteurs étudiés; la philosophie avec l’étude de la diversité des pensées philosophiques, ouverture culturelle les langues étrangères qui ouvrent les élèves à d’autres cultures, les savoirs proprement scientifiques en SVT, l’EMC qui a remplacé l’instruction morale et religieuse existant depuis 1833 et bien sûr les SES qui se doivent de montrer la diversité des façons de comprendre la vie politique, sociale et économique, etc.

La démocratisation de la société, quant à elle, suppose que l’école respecte l’égalité de droit, tout enfant ayant droit à l’enseignement, mais aussi sur l’égalité des chances que l’enfant vive en ville ou à la campagne, qu’il appartienne aux catégories supérieures ou populaires, qu’il soit en garçon ou une fille, etc. Sur ce dernier point, la réalité de l’égalité de droit des garçons et des filles ne s’est faite que petit à petit, avec la création de programmes identiques par exemple, mais aussi de la mixité des écoles et des classes. L’école se doit, de plus, d’assurer aux enfants l’égalité des chances, c’est-à-dire une égale probabilité de parcours scolaires et de réussite. Par l’égalité des droit et des chances, l’école publique se veut donc méritocratique, la méritocratie étant une valeur fondamentale d’une société démocratique. Dans une société de liberté et d’égalité, la réussite doit effectivement être uniquement liée au mérite et donc aux efforts de chacun, au travail, etc. Pour cela, les lois Ferry (et d’autres par la suite) établissent ou confirment le droit pour tous les enfants d’aller aller à l’école, quelle que soit leur confession religieuse (ou leur absence de croyance religieuse d’ailleurs), quels que soient leur sexe, leur lieu d’habitation, etc. Ce droit va d’ailleurs très vite devenir une obligation avec les lois Ferry (voir tableau du 1.1.2. pour plus de détails). Si le droit existe, il se peut que l’absence de moyens financiers des parents empêche ce droit de s’exercer. Dès lors, en plus de l’obligation scolaire, la gratuité va devenir la règle dans les écoles publiques (l’existence d’écoles privées est cependant maintenue), d’abord dans l’enseignement primaire puis dans l’enseignement secondaire (voire dans l’enseignement supérieur public). C’est ainsi que ce droit va progressivement être effectif. Notons enfin que ce développement de la scolarisation va se traduire pour les élèves et étudiants par l’obtention de diplômes reconnus dans le monde du travail : l’école favorise ainsi l’insertion des jeunes sur le marché du travail. Cette fonction va devenir de plus en plus importante du fait de l’acceptation de la république comme système politique de l’acceptation des grandes valeurs et principes républicains (liberté, égalité, fraternité, laïcité, Raison, etc.). Or, vous l’avez vu avec E. Durkheim l’année dernière, la division du travail social nécessite l’intégration des individus dans des métiers spécialisés dont la complémentarité est la base de la cohésion sociale. De ce point de vue, la diversification des filières, des spécialités, des options qui seront proposées par l’École accompagne et favorise cette spécialisation, l’intégration des individus et finalement la cohésion sociale. Toutefois, les positions sociales auxquelles mènent ces formations ne seront pas forcément toutes valorisées de la même façon, ce qui repose la question de l’égalité des chances d’accès aux formations les plus reconnues et donc de nouvelles mesures prises par l’État pour la favoriser. Vous voyez qu’au-delà des valeurs transmises à tous, l’école favorise une nouvelle forme de solidarité, « organique » pour reprendre l’expression de Durkheim, qui favorise la liberté et l’autonomie des individus.

Ainsi, l’École est devenue progressivement un acteur majeur de la socialisation et de l’intégration sociale et culturelle, tout en intervenant dans la distribution des positions sociales.

1.1.2. L’École vise à favoriser l’égalité des chances : les mesures prises en France destinées à favoriser l’égalité des droits et des chances.

L’École a pour mission de favoriser l’égalité des chances. Cela signifie, que cette institution vise à pouvoir offrir à tous, les mêmes chances d’accès à toutes les positions sociales. Ainsi, quelles que soient ses origines et/ou ses caractéristiques, chaque individu doit avoir le droit et les mêmes possibilités d’accéder à toutes les positions sociales et aux ressources qui permettent de les atteindre. Ainsi, il faut veiller à ce que chacun ait les mêmes chances de départ. Concrètement, cela suppose qu’aucun avantage lié au genre, à la religion, à l’origine sociale ou encore au fait de n’avoir aucun handicap ne puisse se traduire par une influence sur les résultats scolaires ou conditionne l’accès à telle ou telle filière, école ou formation.

L’École étant le lieu de transmission des savoirs certifie leur acquisition en distribuant des titres scolaires (des diplômes) comme le brevet des collèges, le CAP, le BEP (supprimé en 2009), le baccalauréat puis les titres délivrés par le supérieur (BTS, BUT, licence, Master...) . Or, les diplômes délivrés, comme vous le savez, ont un impact en matière d’accès à l’emploi, aux différentes positions sociales. Ainsi, il apparaît impératif que l’égalité des chances aux différentes formations et aux différents diplômes soit réelle et ne dépendent plus de l’origine sociale ou du genre mais repose sur un principe méritocratique. C’est alors le mérite (les efforts et le travail de chacun) qui doit déterminer la réussite scolaire, l’accès aux différentes formations et diplômes et par voie de conséquence la position professionnelle et la place dans la structure sociale.

L’égalité des chances va en partie motiver une unification de l’école. On observe alors une volonté progressive d’une école pour toutes et tous.

Dans un premier temps, ce processus va concerner l’enseignement primaire.

1833Loi Guizot : toutes les communes de plus de 500 habitants ont l’obligation de se doter d’une école de garçons.
1867Loi Duruy : toutes les communes de plus de 500 habitants ont l’obligation de se doter d’une école de filles.

1881-1882

Lois Ferry : L’enseignement primaire devient gratuit. L’obligation scolaire pour les enfants de 6 à 13 ans (filles comme garçons) est instituée. Les écoles publiques deviennent laïques. L’école maternelle devient une école gratuite et laïque également, mais non obligatoire. Enfin , un certificat d’études primaires est mis en place validant la maîtrise des savoirs attendus à la fin de l’enseignement primaire, il est passé dès l’âge de 11 ans. Les lois Ferry permettent réellement d’unifier l’école primaire et favorise l’égalité des chances en permettant à tous d’accéder à une instruction scolaire : elle n’oblige plus les communes à se doter d’écoles mais les enfants à être scolarisés.

1924

Filles et garçons scolarisés auront les mêmes programmes. Jusqu’ici ce n’était pas le cas, les enseignements étaient différents, les préparant à des places différentes dans la société. C’est aussi à ce moment-là que le baccalauréat sera le même pour les deux sexes.

1965

Les écoles deviennent mixtes, permettant alors d’intégrer filles et garçons dans les mêmes classes sans aucune séparation. Ils seront à présent socialisés ensemble. Il faut préciser que cette mixité existait déjà dans les petites communes où les élus refusaient de financer deux écoles primaires.
2017Dédoublement des classes de CP et CE1 dans les zones d’éducation prioritaire.

Si la gratuité de l’enseignement secondaire est décidée dans les années 1930, c’est surtout après la seconde guerre mondiale que des transformations dans le cycle secondaire vont être entreprises pour favoriser l’égalité des chances.

1933La gratuité est étendue à l'enseignement secondaire par la loi du 31 mai 1933. Les manuels scolaires sont gratuits jusqu'à la classe de troisième, ainsi que les matériels et fournitures à usage collectif. Dans les lycées, les manuels sont le plus souvent à la charge des familles.
1959Scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans (depuis 1936 c’était 14 ans) et création des lycées techniques.

1975

Loi Haby : cette loi instaure le collège unique. Ainsi, à la fin de CM2, tous les élèves iront au collège et suivront le même programme. Auparavant, il y avait différents collèges (collèges d’enseignement général, collèges d’enseignement technique suivis par des enfants d’origine sociale globalement différente et ne menant pas aux mêmes orientations après le collège …).
1976Création des lycées professionnels

1981

Créations de zones d’éducation prioritaire (ZEP). Il s’agit d’une politique de « discrimination positive » visant à donner plus de moyens aux établissements situés dans des zones scolairement défavorisées. L’objectif est ici de déroger aux objectifs d’égalitarisme (en droit) et d’unité de traitement de tous les élèves sur tous le territoire, en donnant plus à ceux qui ont un désavantage au départ. Ces politiques d’éducation prioritaire visent à faire progresser la réussite de ces élèves et ainsi de favoriser l’égalité des chances. En 2018 cela s’est concrétisé par une nouvelle mesure allant dans ce sens, le dédoublement des classes de CP et de CE1.
1987Objectif de 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat.

2005

L’objectif de 1987, sera repris et réaffirmé par la suite en 2005 avec la loi d’orientation. Celle-ci reprend l’objectif précédent et fixe comme autre objectif de conduire 50 % d’une classe d’âge à un diplôme du supérieur.
2009Le baccalauréat professionnel est aligné sur le baccalauréat général. La formation passe alors de 4 ans à 3 ans.
2018-2019Réforme du lycée général mettant fin aux séries S, L et ES.

Les mesures destinées à favoriser l’égalité des chances scolaires sont également en partie économiques : versement de bourses, d’aides, d’allocations de rentrée scolaire... Mais il s’agit aussi de mesures juridiques, comme le droit pour tout enfant handicapé d’être scolarisé en milieu scolaire normal (ce qui implique que les établissements prennent des dispositions pour les intégrer : aménagement des locaux pour l’accès en fauteuil roulant, personnel supplémentaire pour aider ces élèves, divers aménagements lors des cours et des évaluations, personnel d’accompagnement AESH…). La loi de 2013 ira dans ce sens, son objectif étant de mettre en place une école réellement inclusive

1.2. Depuis les années 1950, l’École s’est-elle démocratisée ?

1.2.1. Un long processus de massification qui se distingue du processus de démocratisation.

La massification scolaire « se caractérise notamment par un allongement de la durée des études et par l’accès d’une large partie de la population à un niveau de formation élevé, qui était auparavant réservé à une minorité d’élèves généralement issus des catégories sociales les plus privilégiées » .

Comme nous venons de le voir précédemment, afin de favoriser l’égalité des chances, l’école s’est transformée (obligation scolaire, mixité scolaire, allongement de la durée de scolarisation, zone d’éducation prioritaire…) ce qui a eu pour conséquence une généralisation du fait scolaire se traduisant par une hausse du nombre d’élèves scolarisés et des durées de scolarité contribuant bien au processus de massification.

Pour mesurer ce phénomène différents indicateurs peuvent être utilisés :

Le taux de scolarisation mesure la proportion d’individus d’un âge donnés scolarisés par rapport à l’ensemble des individus de cet âge. D’après les données de l’INSEE et du ministère de l’éducation, en 1970, 60 % des enfants de 3 ans étaient scolarisés contre 98 % en 2021. En 1986, seuls 20 % des filles et garçons de 21 ans étaient scolarisés, ils sont deux fois plus nombreux aujourd’hui en 2021. D’ailleurs, d’après le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur a été multiplié par 8,6 entre 1960 et 2017.

Taux de scolarisation = nombre d'élèves âgés de X ans en formation initiale inscrits

dans un établissement d'enseignement / Nombre de jeunes de cet âge (en %)

On peut aussi s’intéresser au taux d’accès à un diplôme ou à une formation. Celui-ci mesure la proportion d’élèves d’une génération (c’est à dire nés la même année ou la même période) qui obtiennent un diplôme ou accèdent à une formation. On peut donc calculer le taux d’accès au baccalauréat comme à tout autre diplôme. Ainsi, outre la progression des taux de scolarisation à tous les âges, on observe une hausse du taux d’accès au baccalauréat mais également à l’enseignement supérieur. La massification scolaire a donc concerné d’abord l’enseignement primaire, puis à partir de 1945 et jusqu’aux années 60 l’enseignement secondaire. La massification du secondaire va enfin avoir des conséquences sur l’enseignement supérieur qui va voir ses effectifs croître également à partir des années 1970-80.

Si toutes les transformations de la législation encadrant l’accès à l’école que nous avons mentionnées auparavant ont contribué à cette massification de l’enseignement, il convient également de rajouter un autre facteur important : la multiplication de l’offre de formations. Ces possibilités nouvelles permettent d’attirer un nombre croissant d’élèves et d’étudiants et de contribuer ainsi à la hausse des effectifs scolarisés et à l’augmentation de la durée de scolarisation. Si vous regardez le document suivant, vous pouvez voir que la proportion de bacheliers au sein d’une génération a cru. En effet, en juin 2020, 86,6 % de la génération en âge de passer le baccalauréat est bachelière contre 28 % en 1980. Or, cette augmentation peut s’expliquer d’abord par une accélération de la proportion de bacheliers dès 1968 du fait de la création des baccalauréats technologiques. Puis, en 1986, vont être créés les baccalauréats professionnels et l’on constate alors que le taux de bachelier va augmenter puis stagner autour de 62 %. À partir de 2010, la part des bacheliers au sein d’une génération augmente rapidement suite à la réforme des baccalauréats professionnels (passage de 4 à 3 ans de formation) mais aussi à une reprise de la progression de la voie générale.

Proportion de bacheliers en France dans une génération

1.2.2. L’École s’est en partie démocratisée : un accès plus large pour l’ensemble des milieux sociaux.

Pour pouvoir répondre à la question « l’École s’est-elle démocratisée ? », il convient de préciser et de distinguer différentes conceptions de la démocratisation. Certains sociologues distinguent la démocratisation quantitative, qui correspond à l’élargissement de recrutement des élèves et renverrait plutôt au processus de massification, de la « démocratisation qualitative », qui renvoie plutôt à un affaiblissement du lien entre réussite scolaire, type de formation et origine sociale : la réussite scolaire des enfants de milieux défavorisés se rapprocherait de celle des enfants de milieux favorisés. D’autres, comme Pierre Merle, parlent de « démocratisation ségrégative » : l’accès de plus en plus grand à un niveau de formation élevé n’empêche pas le creusement des inégalités de réussite scolaire. Prenons l’exemple du baccalauréat pour montrer cela. La réussite au baccalauréat peut certes augmenter pour tous les élèves quel que soit leur milieu social, mais elle peut augmenter plus fortement chez les enfants de milieux favorisés que chez les enfants de milieux défavorisés. Les écarts de réussite scolaire s’accroissent donc. De plus cette réussite scolaire chez enfants de milieux défavorisés peut se faire essentiellement pour des baccalauréats moins valorisés (le baccalauréat professionnel par rapport au baccalauréat général). La différenciation croissante des formations scolaires peut favoriser cette « démocratisation ségrégative ».

Alors qu’en est-il en France ?

Au sens large, le plus couramment adopté, la démocratisation scolaire correspond à une égalisation des chances scolaires. Cela implique que les résultats scolaires ne soient plus, ou de moins en moins, dépendants du milieu social d’origine, du sexe ou encore de l’origine migratoire nationale ou d’autres variables.

On constate indéniablement une démocratisation quantitative qui correspond bien au processus de massification que nous avons abordé dans le point précédent. Ce processus a contribué en partie à la démocratisation scolaire par le fait d’un élargissement social de l’accès à l’école. En effet, de plus en plus d’élèves de milieux sociaux divers (enfants d’agriculteurs, d’ouvriers, de cadres, etc.) accèdent aux différents niveaux de scolarité et de diplômes alors qu’auparavant, le secondaire et l’enseignement supérieur étaient des niveaux d’enseignement très élitistes et, de fait, plutôt réservés aux enfants de catégories privilégiées. L’augmentation du taux d’obtention du baccalauréat quelle que soit l’origine sociale des élèves confirme l’existence d’une démocratisation quantitative. L’école s’est donc bien ouverte à une population plus large. Le graphique ci-dessous nous permet de constater que la part des jeunes ayant le baccalauréat a fortement augmenté. En effet, 53 % des jeunes nés entre 1970 et 1974 ont obtenu le baccalauréat contre 66 % pour des jeunes ceux de la génération 1980-1084 1984 ?. Par la suite, la progression a été plus lente pour atteindre 69 % pour dans la génération 1990-1994. Cette ouverture de l’école a profité à tous et notamment aussi aux enfants d’ouvriers et d’employés puisque seulement 41 % des enfants de la génération 1970-1974 obtenaient ce diplôme contre 58 % pour de la génération 1990-1994. Si on regarde l’enseignement supérieur, d’après l’INSEE, en 2017, 26 % des adultes âgés de 25 à 34 ans enfants d’ouvriers étaient diplômés du supérieur, ils sont 30 % en 2020. Toujours en 2017, 39 % des adultes âgés de 25 à 34 ans et enfants d’employés étaient diplômés du supérieur, ils sont 44 % en 2020. Ainsi, les transformations de l’école ont favorisé l’accès d’un plus grand nombre à l’enseignement primaire, puis secondaire et enfin dans le supérieur. L’école a ainsi élargi son public, permettant à tous les milieux sociaux de pouvoir accéder aux différents cursus et diplômes.

proportion-de-bacheliers-dans-une-generation-selon-le-milieu-social depuis 1970 1974

Cette démocratisation quantitative a participé à rendre d’avantage possibles les trajectoires de mobilités sociales ascendantes. D’une part, elle a accompagné les mutations de l’économie notamment les besoins en main d’œuvre qualifiée, contribuant ainsi à la mobilité sociale structurelle. D’autre part, cette démocratisation facilite également, dans une certaine mesure, à la fluidité sociale (voir chapitre suivant).

1.2.3. Mais ce processus de démocratisation reste partiel et inachevé : la persistance des inégalités de réussite scolaire selon le milieu social.

Comme vous avez pu le voir précédemment, les transformations de l’école ont entraîné une massification scolaire contribuant en partie à une démocratisation de l’école. Du fait que l’on constate un élargissement de l’accès des élèves de tous milieux sociaux à certains niveaux et types de formations, on en conclut facilement à une démocratisation de l’enseignement, conçue comme une amélioration de l’égalité des chances de réussite scolaire. Or, il s’avère que trancher n’est pas aussi facile que cela.

Pour de nombreux sociologues, le processus de massification n’a pas fait disparaître les inégalités scolaires et se serait en réalité accompagnée d’une « démocratisation ségrégative ». Cela signifie alors que l’origine sociale, entre autre, continue largement de déterminer les parcours scolaires, qui sont alors socialement différenciés à tous les stades du parcours scolaire

Vous devez tout d’abord savoir qu’il existe des inégalités de réussite scolaire qui peuvent être constatées dès l’école primaire qui dépendent de l’origine sociales des élèves. En effet, selon le ministère de l’éducation nationale et de la recherche, 1 % des filles de cadres et professions intellectuelles supérieures et 1,5 % des fils de cadres et professions intellectuelles supérieures sont en retard à l’entrée en 6ième en 2021 c’est-à-dire qu’ils ou elles ont redoublées à l’école primaire. Or, pour les enfants d’ouvriers ces proportions s’élèvent respectivement à 4,4 % et 5,8 %. D’ailleurs, 6,6 % des élèves entrés en 6ième en 2021 et venant d’une école publique appartenant aux réseaux d’éducation prioritaire REP ou REP+ ont au moins 1 an de retard contre seulement 3,7 % pour ceux venant d’écoles hors réseaux d’éducation prioritaire. Or, vous le savez, les établissements classés REP ou REP+ regroupent plus fréquemment que dans les autres établissements des élèves de milieux défavorisés.

Dans l’enseignement secondaire, concentrons-nous au lycée. Le choix des différentes voies est socialement différencié. En effet, selon le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse (Repère et références statistiques 2022), à la rentrée 2021, dans l’ensemble des établissements publics et privés sous contrat du second degré, presque 1 élève sur 4 est enfant d’ouvriers (23,4% exactement). Cette proportion s’élève à 32,4 % dans les formations professionnelles en lycée, 25,3 % dans les formations de 1ère et terminale technologiques et à seulement 15,3 % en voie générale. En comparaison, les enfants de professions libérales, de cadres et d’enseignants sont surreprésentés en filière générale (36,2% des élèves) et sous-représentés en voie technologique (17,3 % des élèves) et encore plus dans les formations professionnelles des lycées (7,8 % des élèves).

Niveau de diplôme dix ans après l’entrée en sixième selon le milieu social (en %)

Niveau de diplôme dix ans après l’entrée en sixième en selon le milieu social (en 2007) %)

Qu’en est-il dans l’enseignement supérieur ? L’origine sociale des étudiants de nationalité française évolue très peu d’une année sur l’autre. En 2021-2022, 34,7 % des étudiants ont des parents cadres ou exerçant une profession de cadre ou intellectuelle supérieure (CPIS), contre 10,9 % avec des parents ouvriers et 17,2 % employés. Précisons qu’en France, en 2022, les emplois de CPIS regroupaient 21,7 % du total des emplois ; les emplois d’ouvriers en représentaient 18,9 % et les emplois d’employés 26 %. Les enfants de CPIS ils sont notamment surreprésentés dans les filières médicales, droit-science politique et filières scientifiques. Dans les écoles d’ingénieurs relevant de l’université, les enfants de cadres représentent 45,5 % des effectifs contre 7,9 % pour les enfants d’ouvriers. Pour les CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) et prépa intégrées, plus de la moitié des étudiants sont enfants de CPIS contre moins de 7 % d’enfants d’ouvriers. À l’inverse, en section de techniciens supérieurs, les enfants d’ouvriers représentent presque un quart des effectifs (22,5%) contre seulement 15,5 % d’enfants de CPIS.

Ainsi, il existe encore des inégalités scolaires (de réussite et de parcours) selon l’origine sociale à l’école à tous les niveaux d’enseignement. Il existe d’autres formes d’inégalités de réussite ou des parcours scolaire et notamment selon le sexe.

1.2.4. Mais ce processus de démocratisation reste partiel et inachevé : l’évolution des inégalités de réussite scolaire et de parcours selon le genre.

Tout d’abord, vous le savez, les filles réussissent mieux que les garçons à l’école. Toutefois les orientations et donc les diplômes obtenus diffèrent conduisant à des perspectives d’emploi et de positions sociales inégales.

Dès l’école élémentaire, la part des filles ayant une maîtrise suffisante aux évaluation de compétences en Français est supérieure à celle des garçons et cet écart en leur faveur va se maintenir jusqu’au lycée. En mathématique par contre à partir du CE1 cet écart est en leur défaveur et va se creuser encore plus au lycée.

Plus globalement, les filles réussissent mieux au diplôme national du brevet que les garçons, avec un taux de réussite de 91,2 % contre 85,1 % en 2021. Si l’on s’intéresse au taux d’obtention du baccalauréat, le même constat peut être fait, quel que soit le type de baccalauréat (voie générale, technologique ou professionnelle). Par exemple en filière générale le taux d’obtention du baccalauréat est de 98,1 % chez les filles contre 96,8 % chez les garçons. En filière professionnelle cet écart est plus important 89,5 % de réussite chez les filles contre seulement 84,6 % chez les garçons. Enfin, si l’on s’intéresse aux études supérieures, 55 % des femmes sorties de formation initiale en 2019 sont diplômées du supérieur contre seulement 45 % des hommes. En moyenne, sur les trois années 2018,2019 et 2020, 31 % des femmes et 21 % des hommes sortent de formation initiale avec un diplôme de master, de doctorat ou d’équivalent.

Cependant, les choix d’orientation des filles et des garçons se traduisent par des parcours différents selon les spécialités et les filières. Les filles sont relativement moins nombreuses dans les filières professionnelles et dans ce type d’orientation s’orientent majoritairement vers les spécialités et séries qui débouchent sur des métiers très féminisés (spécialités sanitaires ou sociales). En série générale, en terminale, en 2021, les filles représentent 11 % des effectifs ayant choisi la doublette mathématiques/Numérique sciences de l’informatique et sont également sous-représentées dans la doublette mathématiques/physique-chimie (seulement 35 %). Par contre, leur part est 7 fois plus élevée que celle des garçons pour la doublette Humanités, littérature et philosophie / LLCER (85 %). L’orientation dans le supérieur prolonge les choix opérés au lycée. Les filles s’orientent davantage vers les formations relevant de la santé et des lettres et les garçons se tournent davantage vers des formations technologiques ou scientifiques.