ATTENTION :
Depuis 1945 et le tournant des années 1960, le changement social a été d'importance : transformation de la stratification sociale, urbanisation, bouleversement des valeurs (pensez, par exemple, à la transformation des croyances religieuses), émancipation des femmes, et on pourrait ajouter bien d'autres exemples.
L’ère de la consommation de masse ainsi que la tertiarisation des activités et des emplois ont modifié le type de société : d’une société industrielle modèle du XIX° siècle, nous sommes rentrés dans une société postindustrielle. C’est une société salariale (le statut de salarié devient la norme de l’emploi : 90% des actifs occupés sont des salariés) qui s’est moyennisée au moins jusqu'aux années 1980.
Nos sociétés sont d'autre part des sociétés qui sont marquées par la montée de l'individualisme : les sociétés modernes laissent une place grandissante à l'individu, la conscience collective pesant de moins en moins lourd sur la conscience individuelle. L'individu peut donc affirmer, plus qu'autrefois, des choix et adopter des comportements qui le différencient par rapport aux autres.
Nos sociétés multiplient alors les critères de différenciation sociale. La profession ou le groupe socioprofessionnel, comme nous l'avons vu dans les deux parties précédentes, en est un. Nous verrons ici comment l'NSEE essaie de mesurer cet aspect par la nomenclature des PCS établit à partir de différents critères censés caractérisés les individus. On pourra voir ici la diversité des styles de vie.
Puis nous montrerons que l'âge est une des caractéristiques individuelles qui peut « expliquer » les différences de comportements ou de valeurs.
Enfin, nous insisterons sur les différences de comportements selon le sexe (ou le genre comme disent les sociologues).
Elle a été construite depuis le début des années 1950 par l’Insee (la nomenclature actuelle des professions et Catégories Socioprofessionnelles – PCS – date de 1982) sur plusieurs critères : le type de métier (classer les actifs d’après leur profession), le statut professionnel (salarié ou non), la place dans la hiérarchie professionnelle associée à la qualification : celle-ci appliquée au travailleur se mesure généralement par le diplôme, la taille de l'entreprise (de 0 à 9 salariés ou 10 salariés et plus), la nature de l'employeur (entreprise ou État), le secteur d'activité (agriculture, etc.).
Il faut noter que cette nomenclature ne repose pas directement sur une échelle de revenus : un même revenu peut correspondre à des statuts différents (petits agriculteurs, petits commerçants et artisans peuvent avoir des revenus proches des employés et ouvriers). Cependant, parmi les salariés et en moyenne, la hiérarchie des qualifications traduit une hiérarchie des revenus mais depuis 2004, le salaire moyen des employés est devenu inférieur à celui des ouvriers (notamment des ouvriers qualifiés).
L'Insee a eu pour but de "classer la population active en un nombre restreint de grandes catégories présentant chacune une certaine homogénéité sociale". Celle-ci peut s'appréhender par :
- un même niveau de vie : revenu et pouvoir d’achat
- un même mode de vie : pratiques économiques, culturelles
- une identité sociale : manière d’être, de faire, de penser.
C'est ainsi que l'on constate fréquemment que cette nomenclature permet de saisir des différences de comportements ou d'attitudes : la PCS résumant ainsi un style de vie particulier et des valeurs particulières.
Ce principe permet, par ailleurs, de comprendre par exemple pourquoi les professions libérales non salariées sont dans la même catégorie que les cadres salariés car elles ont suivi le même type d'études (durée des études et niveau de diplôme). Mais cette homogénéité reste relative : à l'intérieur de chaque PCS, des différenciations s'observent (exemple des ouvriers entre les qualifiés, non qualifiés; de type artisanal ou industriel; les ouvriers agricoles). Le niveau de vie, le risque de chômage etc. peuvent être ainsi très différents et engendre des vies différentes.
Le système français des PCS se veut ainsi une approche des groupes sociaux et sa particularité est de ne pas présenter la forme d’une simple échelle unidimensionnelle. C’est pourquoi elle est utilisée dans de nombreux travaux comme ceux de P. Bourdieu présentés précédemment dans la construction d’un espace social (avec le vocabulaire de l’ancienne nomenclature comme pour les cadres moyens aujourd’hui professions intermédiaires).
Cependant c’est une approche avant tout statistique en termes de catégorie qui la distingue des approches sociologiques mobilisant la notion de classes sociales vues dans la partie précédente.
L’émergence de la jeunesse sur la scène sociale s’est construite à partir d’une réalité historique et sociologique : l’école et l’allongement de la durée des études comme une longue parenthèse avant l’entrée dans le monde adulte lié à l’emploi et à l’autonomie qui en découle. Cela définit une place singulière et forge des caractéristiques communes à travers des pratiques, en particulier culturelles depuis les années 1950-1960 comme celles liées à la musique. La jeunesse est donc une invention récente dans la manière de la penser et de l’observer.
Mais en dehors des pratiques de loisir et des consommations culturelles, elle occupe également une place spécifique dans l’emploi et l’insertion professionnelle : taux de chômage élevé des 15-25 ans, précarité fréquente des emplois (stages, interim, CDD), temps partiel. Cette question sera abordée dans l’étude des regards croisés portant sur le travail, l’emploi et le chômage.
Faut-il parler d’une « génération sacrifiée » ? Louis Chauvel (Le destin des générations, PUF 1998, mise à jour en 2010) évoque les risques d’une « guerre des générations » en dénonçant le déclassement dont seraient victimes les jeunes depuis quelques années alors que la génération des enfants du baby boom aujourd’hui retraités ou terminant leur vie active aurait connu une entrée dans la vie professionnelle plus facile et serait dans une position confortable rarement atteinte à l’image de leur revenu et patrimoine moyens. Les seniors auraient acquis des privilèges aux dépens des plus jeunes aujourd’hui, ces derniers servant de variable d’ajustement depuis la crise de l’emploi du milieu des années 1970.
Cependant quelle que soit l’importance accordée à ce qui relie les jeunes, à ce qui les singularise des autres tranches d’âges, d'autres barrières continuent de traverser cette classe d’âge : il n’y a pas une jeunesse mais des jeunesses. N'y a t-il pas au sein de « la » jeunesse des différences marquées entre garçons et filles ? Entre enfants de cadres supérieurs et enfants d'ouvriers ? Vivent-ils tous les mêmes expériences sociales ?
L’âge devenant un critère de classification, les sociologues ont porté une attention grandissante sur les populations âgées, dans le cadre de l’allongement de l’espérance de vie et du vieillissement des populations. Par ailleurs, la société salariale développe un nouveau statut, celui de retraité, lié à la protection sociale.
Ces processus démographique et statutaire inventent de nouvelles appellations comme « le troisième âge » qui vise à mettre l’accent sur l’intégration des personnes âgées dans la société de consommation (pratiques de loisirs mais aussi intellectuelles comme le retour sur les bancs de l’université) et dans la famille (aide intergénérationnelle comme la garde des petits enfants). La vieillesse est étudiée comme un mode de vie, celui des seniors qui n’est plus mis en parallèle avec la question de la pauvreté mais cela n’empêche pas une période de dépendance voir d’exclusion aux grands âges et une nouvelle période qualifiée de « quatrième âge ».
Comme pour l’âge, l’après 1945 met en lumière l’émergence des femmes d’abord sur la scène politique et sociale : droit de vote accordée en 1944 (exercée la première fois en 1945), mouvement féministe des années 1960-70. Au cœur des revendications féministes, l’autonomie vis-à-vis des hommes dans tous les domaines, en particulier dans la famille et l’expression d’une libération sexuelle (maîtrise de son corps et de la contraception), dans le monde du travail pour l’accès libre à un emploi et non lié à celui du mari. Se détacher de la domination masculine met donc en lumière le rôle et la place des femmes : dans cette quête de différenciation, ont-elles pour autant accédé à l’égalité ?
On peut revenir sur le mode d’entrée dans la vie adulte des jeunes et remarquer que le modèle féminin est plus précoce d’environ deux ans que celui masculin dans les étapes de ce processus : quitter ses parents, prendre un emploi, fonder une famille. En particulier la décohabitation familiale survient plus rapidement après la fin des études chez les filles et elle est plus nettement dissociée de l’emploi à l’accès stable que chez les garçons : ce dernier doit trouver un emploi stable avant de quitter ses parents et fonder une famille et cela s’observe d’autant plus que le diplôme est faible. Ainsi, en 2005, entre 18 et 21 ans, une jeune fille sur quatre ne vit déjà plus chez ses parents contre seulement un jeune homme sur dix. La socialisation différenciée que vous avez étudiée en première permet de comprendre cette singularité féminine : l'activité professionnelle fait plus partie de l'identité masculine et donc vivre de manière autonome nécessite plus que pour les femmes l'occupation d'un emploi stable.
Cette singularité se retrouve dans l’emploi : dans son étude de l’emploi en 2010, l’Insee précise que parmi les 12,2 millions de femmes ayant un emploi, près de la moitié (soit 5,7 millions) appartiennent à la catégorie sociale des employés. Elles occupent les trois quarts de ces emplois. En revanche, elles ne représentent que 18,9 % des ouvriers et 39,0 % des cadres. Le temps partiel est particulièrement répandu parmi les employés. Parmi les personnes travaillant à temps partiel en 2010, près de trois sur dix (29,7 %) souhaiteraient travailler plus et les femmes, représentent plus des deux tiers des personnes en sous-emploi. Quant au taux de chômage, celui des hommes (9,0 %) reste inférieur à celui des femmes (9,7 %).
Ainsi quelle que soit leur classe sociale, les femmes s’inscrivent dans un modèle culturel distinct de celui des hommes. Précisons ce point pour montrer que ces différences peuvent être interprétées en terme d'inégalités.
La place des femmes dans la société est marquée par la domination masculine héritée du passé. Les inégalités se vivent d'abord dans la sphère privée : ainsi, la répartition des tâches domestiques reste-t-elle marquée par une profonde inégalité : on estime que les femmes assurent plus des 2/3 des tâches domestiques, on parle de «double journée de travail» pour les femmes actives occupées). Elle qui ne consiste pas seulement en plus de temps passé par les femmes mais aussi au fait que ce sont elles qui effectuent les tâches les moins épanouissantes (lavage du linge, nettoyage des toilettes et des salles de bain, etc.) alors que les hommes font des tâches plus valorisées (jardinage, bricolage, accompagnement des enfants, etc.). Ces inégalités se vivent aussi à l'école : malgré des résultats scolaires meilleurs pour les filles (à tous les niveaux de l'enseignement), les orientations les plus valorisées socialement (série scientifique, classes préparatoires aux grandes écoles) restent, majoritairement, l'apanage des garçons. Elles se vivent encore dans la sphère professionnelle : le salaire des femmes est le plus souvent considéré comme un salaire «d'appoint», c'est-à-dire s'ajoutant à celui de l'homme, il peut donc être plus faible (alors que de plus en plus de femmes vivent seules et que, de toutes façons, il n'y a aucune raison pour considérer que le travail est moins important pour une femme que pour un homme, même si l'identité masculine se construit sur l'activité professionnelle) ; les femmes ont du mal à accéder aux postes de responsabilité malgré leur niveau de diplôme. Elles se vivent enfin dans le domaine politique où, malgré la loi sur la parité, le nombre d'élues (en particulier aux scrutins nationaux) est, proportionnellement au nombre de femmes dans la société, extrêmement faible. Il faut aussi dire que ces inégalités font système .Il est ainsi très rationnel que ce soit la femme, dans un couple, qui garde les enfants quand ils sont malades (elle perdra alors en général son salaire pour ces jours d'absence) car, comme elle est moins payée que son conjoint, le ménage perdra moins d'argent en faisant ce choix (qui n'est donc pas forcément lié au fait que la mère saurait mieux s'occuper d'un enfant malade que le père, même si le couple le pense souvent, l'argument économique d'ailleurs ne jouant souvent qu'à la marge). On pourra ensuite dire que le salaire des femmes est inférieur à celui des hommes, ou qu'on ne leur donne pas de responsabilité, car «elles sont tout le temps absentes». De la même manière, les femmes refusent parfois des postes de responsabilité parce qu'elles savent que les réunions auront lieu justement à l'heure où elles «doivent» être à la maison pour s'occuper des enfants rentrés de l'école, du fait de la répartition inégalitaire des tâches domestiques. De ce fait, on continue dans l'entreprise à programmer les réunions à 17h30, par exemple, et les hommes participant à ces réunions ne pourront pas (même s'ils le souhaitaient) prendre leur part des tâches domestiques, ce qui contribue à perpétuer le partage inégalitaire des tâches, et la boucle est bouclée !
Ainsi, vous le voyez les femmes connaissent des discriminations qui leur sont propres.
La diversité des causes de différenciation, l'âge, le sexe etc., montre qu'un même groupe socioprofessionnel peut être traversé de diverses inégalités. Cela contribue à ce que les inégalités soient davantage vécues sur le mode individuel que collectif. La frontière des groupes sociaux est de ce fait beaucoup moins claire. Cela ne signifie pas pour autant que la hiérarchie entre les groupes n'existe plus. La réduction des inégalités devient également moins simple dans la mesure où celles-ci ne sont pas clairement attachées à tel ou tel groupe. La question centrale devient, plus que jamais, celle de l'égalité des chances : comment assurer à chaque individu dans une société qui se veut égalitaire et démocratique les mêmes chances d'accès aux ressources valorisées par la société ? La réponse à cette question n'est évidemment pas simple. Un aspect central de la question est de savoir dans quelle mesure la position sociale des parents détermine la position sociale des enfants : s'il y a une forte " hérédité " sociale, les inégalités se reproduisent sans que le mérite des individus soit réellement pris en compte. C'est la question de la mobilité sociale qui est ainsi posée et que nous allons aborder dans le chapitre suivant.