Depuis la seconde guerre mondiale, les exportations et les importations de biens et services ont énormément augmenté. Le taux d’ouverture mondial qui est le rapport de la moyenne des exportations et des importations au PIB est passé de 10 % environ en 1967 à 30 % 40 ans plus tard en 2007. Cette ouverture internationale n’a pas été subie, elle a été acceptée et même recherchée par les pays : cela signifie que la participation au commerce international peut être source d’avantages. Ainsi, par exemple, les individus peuvent consommer de nombreux biens et services qui ne peuvent pas être produits sur place. Il convient donc d’expliquer de manière plus complète et détaillée ces avantages mais aussi les raisons qui font qu’un pays exporte certains biens ou certains services et en importe certains autres. Ce sera l’objet de la première partie de présenter les différentes raisons de la spécialisation internationale des pays.
Mais, attention ! Lorsque l’on parle de pays, c’est une facilité d’expression. Il ne faut évidemment pas entendre que c’est le « pays » et encore moins l’État qui exporte ou importe : ce sont évidemment des entreprises qui vendent, achètent ou investissent à l’étranger. Dans une deuxième partie, nous étudierons donc le rôle des entreprises et notamment des firmes multinationales qui développent leurs activités productives et commerciales dans plusieurs pays. Il s’agit, pour elles, soit d’être plus proche de leurs clients, soit de produire de manière plus efficace ou moins coûteuse en exploitant les avantages spécifiques de différents territoires.
Toutefois, les délocalisations des firmes à l’étranger, la pression sur les salaires pour que les entreprises puissent être compétitives mettent en doute les effets positifs de l’ouverture des économies nationales. Bien sûr certains pays se sont développés grâce à leur participation au commerce international comme les quatre dragons d’Asie du sud-est ou, évidemment, la Chine. De même grâce au commerce international les consommateurs des pays riches ont pu se procurer de plus en plus de biens aux prix les plus bas. Cependant, derrière des effets positifs, le commerce international peut aussi avoir des effets pervers : la distribution inégalitaire des gains à l’échange relance le débat entre le libre-échange et le protectionnisme.
Les avantages absolus de coût et de prix sont une explication simple et évidente de la spécialisation. C’est une des premières raisons qui a été avancée par les économistes pour expliquer la spécialisation des pays (sous-entendu donc des entreprises de ces pays). Il s’agit tout simplement du fait que les entreprises d’un pays produisent les mêmes biens (ou les mêmes services exportables) à des prix plus faibles que les producteurs des autres pays. Ces prix plus faibles signifient que les entreprises ont une plus grande compétitivité-prix : elles peuvent gagner des parts de marché à l’étranger voire satisfaire l’ensemble de la demande exprimée dans le monde pour ces produits. Le pays se spécialisera donc dans ces produits. Ces prix plus faibles proviennent de coûts de production eux-mêmes plus faibles. On parle dans ce cas d’avantages absolus (sous-entendu avantage absolu de coût donc de prix). Ainsi, produire un tee-shirt nécessite des coûts de production plus faibles au Bangladesh qu’en France. Des entreprises au Bangladesh produiront des tee-shirts et les exporteront vers la France en les vendant à des prix plus faibles que les tee-shirts produits en France : le Bangladesh sera spécialisé dans la production de tee-shirts. Pratiquée par tous les pays, cette logique de spécialisation conduit à une hausse de la production mondiale à coût de production inchangé, ce qui rend possible une baisse des prix au bénéfice des consommateurs.
Toutefois, cette analyse a été très vite critiquée notamment par D. Ricardo, économiste anglais du début du XXe siècle. En effet, elle ne permettait pas d’expliquer pourquoi des pays participaient au commerce international alors même que leurs coûts de production et leurs prix de vente semblaient plus élevés dans toutes les productions. Ricardo a montré qu’un pays ayant un désavantage en termes de coût de production et de prix pouvait quand même participer à l’échange international de même que le « pays » avec qui il commerçait avait intérêt à importer ces produits a priori plus chers. La raison, peu évidente en fait, est que le pays ayant un avantage absolu pour tous les produits peut quand même décider de produire uniquement le produit pour lequel il a le plus gros avantage de coût (du fait d’une productivité plus élevée) en ne produisant que lui ; ce qu’il gagne (en termes de production supplémentaire et donc de revenu) est plus que compensé par la perte qu’il réalise en important l’autre produit (même acheté à un prix plus élevé que ce qu’il pourrait lui-même faire). Ce qui compte donc ce ne sont pas les avantages absolus mais ce que l’on appelle aujourd’hui les avantages comparatifs (de productivité, donc de coût et puis de prix).
Reprenons le célèbre exemple chiffré de Ricardo pour expliciter en quoi consistent ces avantages comparatifs en construisant le tableau suivant qui représente la situation initiale avant spécialisation selon les avantages comparatifs :
Portugal | Angleterre | Total production | |
---|---|---|---|
Une unité de vin | 80 h | 120 h | 2 unités |
Une unité de drap | 90 h | 100 h | 2 unités |
Total | 170 h | 220 h | 2 unités de vin et 2 unités de drap |
Expliquons le cas du Portugal par exemple pour comprendre ce tableau. Pour produire une unité de vin, il faut 80 heures de travail et pour produire une unité de drap, il faut 90 heures de travail. Attention ces heures de travail correspondent à des heures de travail proprement dites réalisées directement par les travailleurs mais aussi par des machines considérées comme du travail indirect dont la quantité est exprimée en heures de travail pour les produire. En fait, nous avons là une mesure de la productivité globale pour produire du vin ou des draps : elle exprime la dotation technologique du pays. Comparons avec l’Angleterre : pour une unité de vin, il faut 120 heures de travail en Angleterre contre seulement 80 heures au Portugal. Ainsi, la productivité en Angleterre est moins élevée qu’au Portugal si bien que produire en Angleterre est plus coûteux (120 heures de travail contre 80 heures au Portugal à payer).
A priori, il semble que le Portugal n’ait aucun intérêt à importer du vin ou du blé d’Angleterre qui sont plus coûteux. Cependant, il faut observer non pas le coût absolu mais le coût relatif dans la production du drap rapport à la production de blé pour déterminer quel est l’avantage comparatif (ou relatif) de chaque pays. Une unité de drap coûte 1,125 unité de vin au Portugal (90h/80h) ; en Angleterre, une unité de drap coûte 0,83 unité de vin en Angleterre (100h/120h). On voit donc que l’Angleterre a un avantage comparatif sur le Portugal dans la production de drap par rapport à la production de vin. L’Angleterre va donc se spécialiser dans la production de drap en abandonnant toute la production de vin au Portugal. Tout le travail et tout le capital en Angleterre vont être utilisés dans la production de drap soit 220 heures de travail ce qui permettra de produire 2,2 unités de drap (puisqu’avec 100 heures, une unité était produite). Au Portugal, capital et travail sont concentrés dans la production de vin pour un total de 170 heures : la production de vin sera de 2,125 unité de vin (le produit en croix donne : 170h x 1 / 80h = 2,125).
Finalement, avec la spécialisation selon les avantages comparatifs, la production globale de drap est de 2,2 et celle de vin de 2,125. Il y a donc croissance économique puisque, avec les mêmes quantités de travail et de capital, la production globale de vin et de drap est devenue plus importante qu’avant la spécialisation. Ce gain collectif permet d’enrichir les deux pays s’ils échangent leur surplus respectifs en vin et en drap à un prix équitable, c’est-à-dire un prix qui permet aux consommateurs portugais et anglais d’acheter plus de vin et plus de drap. Ainsi, on voit qu’en se spécialisant là où chaque pays est relativement le plus efficace, la productivité globale augmente et avec elle la production globale, et cela au bénéfice de tous, … le gain de chaque pays dépendant vous l’imaginez des prix auxquels se fixent chaque produit.
Cette analyse abstraite repose bien sûr sur des hypothèses dont certaines seront remises en cause par la suite. La plus évidente concerne la libre circulation des biens entre les pays. Dès lors que des barrières protectionnistes existent comme des droits de douane ou des quotas d’importation, les avantages de la spécialisation et du commerce international qui en découle peuvent disparaitre ou être moindres. On comprend donc que Ricardo était favorable au libre-échange. Par contre, il suppose aussi que les travailleurs comme le capital ne traversent pas les frontières d’un pays. Il n’y a pas de migrations de travailleurs ni d’investissements ou de transferts de capitaux à l’étranger : le capital investi dans la production de vin et les viticulteurs anglais ne vont pas aller travailler ou ne vont pas investir au Portugal. Si cette hypothèse était plausible à l’époque de Ricardo, ce n’est plus le cas aujourd’hui dans un monde où les faibles coûts de transport et l’existence d’un cadre juridique sécurisant facilitent la circulation et l’implantation des entreprises dans différents pays.
De plus, pour ce qui est des techniques de production, elles sont données pour chaque type de bien et sont différentes d’un pays à l’autre. Il n’est pas possible de changer la combinaison productive, c’est-à-dire de modifier la manière d’utiliser le travail et le capital en incorporant du progrès technique.
Enfin, Ricardo suppose que, lorsqu’il y a une hausse de la production de chaque produit dans chaque pays, il n’y pas de rendements d’échelle croissants (comme c’est souvent le cas dans l’industrie) ou décroissants (comme cela peut être le cas dans l’agriculture). Si en produisant exclusivement des draps, l’Angleterre bénéficie d’économies d’échelle alors qu’en se spécialisant dans le vin le Portugal subit la loi des rendements décroissants, la spécialisation devient, sur le long terme, nettement plus avantageuse pour l’Angleterre que pour le Portugal...
Les économistes néoclassiques donnent une autre raison des avantages comparatifs à partir d’hypothèses différentes.
Pour eux, ce ne sont pas les dotations technologiques qui sont différentes entre pays : la productivité globale est la même dans chaque pays pour produire les différents biens. Par contre, ils estiment que chaque pays possède des facteurs de production en quantités différentes si bien que le prix relatif des facteurs n’est pas le même d’un pays à l’autre. Les techniques utilisées pour produire sont donc différentes entre les pays, utilisant plus ou moins de capital, de travail non qualifié, de travail qualifié…. Selon les néoclassiques, c’est la dotation factorielle de chaque pays qui explique sa spécialisation : chaque pays doit se spécialiser dans la ou les productions lui permettant d’utiliser le facteur abondant (donc bon marché) sur son territoire, en délaissant les productions nécessitant le facteur rare (donc très coûteux). Ainsi, la France va se spécialiser dans l’aéronautique car elle bénéficie d’une main d’œuvre très qualifiée et formée pour ce type d’activité : les entreprises du secteur peuvent trouver facilement de la main d’œuvre sans avoir à l’attirer par des salaires excessivement élevés. La Chine, elle, se spécialisera dans la production de produits nécessitant une main d’œuvre abondante, peu qualifiée et peu coûteuse (assemblage de produits informatiques, vêtements, textiles, jouets, etc.). Ainsi, comme dans l’analyse de Ricardo, il y aura une différence de coûts comparatifs expliquant les spécialisations des pays dans telle ou telle production. Mais cette différence de coûts comparatifs ne provient pas d’une différence de productivité globale entre les deux pays mais d’une différence directe de coûts des facteurs de production nécessaires à la production de différents types de biens et de services échangés. Cette spécialisation permet une hausse de la production mondiale à quantité de facteurs inchangée. Et le commerce international qui en résulte se passe comme si les pays échangeaient indirectement les facteurs de production qu’ils possèdent en abondance contre les facteurs de production qui sont rares sur leur territoire.
Le lien entre explication « ricardienne » et explication néo-classique des avantages comparatifs peut être représentée ainsi d’après un schéma légèrement modifié de L.Abdelmalki et R. Sandretto en rappelant que la différence de coûts comparatifs entre deux pays provient de différences de dotations technologiques pour Ricardo et de dotations factorielles pour les néoclassiques :
Vérifiez ces analyses est cependant délicat car il est très difficile de mesurer ces avantages comparatifs. Par contre, il apparaît clairement que des pays sont plus spécialisés dans l’exportation d’un ou plusieurs types de biens. On le voit pour un pays en comparant la part des exportations de ce ou ces biens dans leurs exportations totales par rapport à celle de l’ensemble du monde ou de l’UE par exemple : si cette part est plus importante, on estime qu’il y a spécialisation. On obtient ainsi ce que les économistes appellent des « avantages comparatifs révélés » : les avantages comparatifs sont, en quelque sorte, découverts après coup. Mais il n’est pas sûr que ces spécialisations proviennent de différences relatives de productivité ou de coûts. Nous verrons plus loin d’autres explications.
Avec ces indicateurs, des économistes ont pu mettre évidence des avantages connus mais aussi moins connus. Ainsi, beaucoup de pays émergents semblent avoir un avantage comparatif dans les industries agroalimentaires comme l’Argentine et le Brésil mais aussi dans les industries chimiques (Russie et Inde) et plastiques (Russie, Afrique du Sud, Inde). Les pays développés ont des spécialisations dans le bois (Allemagne, Italie ou États-Unis) et l’industrie du papier (États-Unis), ce qui est peu connu, parfois dans l’agroalimentaire comme les Pays-Bas (avec des entreprises comme Unilever ou Heineken) mais aussi dans les machines et équipements (Allemagne, Italie, Japon ou États-Unis), ce qui est, là, plus connu. Quant à la Chine, ses points forts sont dans le textile et dans les machines et matériels électriques, ce qui est sans doute lié à sa main d’œuvre abondante (provenant des campagnes pauvres) et peu coûteuse. Insistons à nouveau sur le fait que ces avantages comparatifs révélés ne sont pas uniquement liés à des avantages de coût. Il est connu que les performances des entreprises allemandes à l’exportation sont liées aussi à la qualité ou aux caractéristiques des produits vendus notamment concernant les « machines et équipements ».
Les analyses de Ricardo peuvent être prolongées dans un sens différent de celles des analyses néoclassiques. En effet, la base de l’analyse des avantages comparatifs de Ricardo se fondait sur les différences de productivité entre pays pour produire différents biens. Un pays qui possède une avance technologique sur les autres pays dans certains domaines (biotechnologies, informatiques, robot, intelligence artificielle, etc.) peut produire des biens nouveaux ou inventer et exploiter des techniques de production plus efficaces : sa productivité sera dès lors plus élevée ou les ventes de nouveaux produits plus importantes. Dès lors, pour certaines productions, certains pays auront un avantage comparatif de type technologique qui pourra expliquer leur spécialisation internationale.
On peut aussi préciser l’orientation géographique des exportations de pays technologiquement avancés. Les entreprises innovantes des pays développés peuvent d’abord produire et vendre leurs nouveaux produits sur leur propre marché intérieur. En situation de monopole (sous la protection des brevets), et parce que le pouvoir d’achat des agents économiques est élevé, les entreprises innovantes peuvent dégager une rente de monopole sous la forme de bénéfices très importants grâce à des prix plus élevés qu’en situation de concurrence Ainsi en est-il par exemple des laboratoires pharmaceutiques capables de produire des vaccins innovants. Puis, peu à peu, la demande stagnant et parce qu’elles sont imitées par des entreprises concurrentes, notamment quand le brevet tombe dans le domaine public, le marché intérieur devient limité, saturé, insuffisant : le déclin du produit sur le marché national commence. Pour augmenter leurs bénéfices, les entreprises qui produisent alors en grande quantité peuvent exporter leur production en baissant les prix pour vendre leurs produits dans des pays moins avancés. C’est ce qui peut expliquer les différences de spécialisation entre pays et notamment le fait que les États-Unis d’abord, les pays développés ensuite, exportent beaucoup de produits de haute technologie (TIC, aéronautique, chimie, automobile, machines-outils, etc.) et importent beaucoup de produits ayant une faible valeur ajoutée (vêtements, jouets, produits primaires non primaires, etc.).
Vous le savez une grande partie des échanges se font entre pays développés au sein de ce que l’on appelle parfois la triade (Etats-Unis, Union Européenne et Japon), même si c’est moins vrai aujourd’hui du fait, désormais, de l’importance de la Chine dans le commerce international. C’est ainsi que le commerce intra-zone de l’Union européenne représentait 21 % en 2017 du commerce international. Le commerce intra-zone est, par ailleurs, plus important que le commerce hors-zone pour l’UE. Ce commerce de l’Union Européenne avec le reste du monde se fait avec des pays géographiquement proches (Suisse, Norvège, Grande-Bretagne) ou alors avec des pays développés à fort pouvoir d’achat (Etats-Unis, Japon, Canada notamment).
Notons, pour l’UE toujours, qu’une partie importante du commerce au sein de l’Union européenne est un commerce intra-branche : 57 % du commerce au sein de l’Union en 2017 (le reste étant, bien sûr, un commerce inter-branche). Il s’agit par exemple de la France qui exporte des produits pharmaceutiques en Allemagne et qui en importe de ce même pays. Il s’agit aussi de la France ou de l’Allemagne qui exportent des voitures en Italie, qui, elle-même, en exporte en Allemagne et en France. Il convient donc d’expliquer l’importance de ce type de commerce qui ne semble pas lié à des différences de dotations technologique ou factorielles.
Pour expliquer l’existence et l’importance des échanges internationaux entre pays comparables en termes de niveau de vie, de dotations technologiques ou factorielles, certains économistes mettent en évidence le rôle de la demande adressée aux entreprises. L’importance et la nature des débouchés, c’est-à-dire le niveau de vie et les goûts des consommateurs, seraient, ainsi, à la source de la spécialisation des pays : il y aurait spécialisation dans les productions demandées par la population locale, les entreprises produisant logiquement les biens et les services demandés localement. Quel est le lien avec l’importance des échanges entre pays proches ? Car c’est ce qu’il faut comprendre et expliquer ! Ces pays étant proches en termes de niveau de vie, il est vraisemblable que la nature de leur demande soit proche, la structure de la consommation des ménages étant liée au niveau de vie. On exportera et importera des produits similaires : des voitures par exemple. Il y aura donc un échange croisé de produits similaires. Si les entreprises des différents pays produisent les mêmes types de biens, il y a forcément quelques différences, adaptées aux goûts de certains ménages locaux ! Bien sûr, chaque pays n’étant pas homogène, certains ménages d’un pays ont des goûts, des désirs semblables à ceux des ménages d’autres pays. Des échanges internationaux se produiront donc. Par exemple, il se peut que certains consommateurs français préfèrent des voitures italiennes et, inversement, que des consommateurs italiens préfèrent certaines voitures françaises : « les produits similaires se croisent et les différences s’échangent » comme le dit B. Lassudrie-Duchêne, un économiste français qui a mis en avant ce qu’il appelle l’ « échange de différences ». On a parlé de goût mais on peut être un peu plus précis sur ces « différences » qui s’échangent.
Elles sont en fait de deux sortes. La première est une différence de qualité de produit, désignée parfois de différenciation verticale : l’Italie va exporter vers la France des Ferrari (voiture de qualité ou de luxe, puisque leur prix sont très très élevés parait-il !) et pourra importer des Peugeot 308 ou des Renault Mégane, des voitures de prix plus abordables. Les premières sont destinées aux catégories sociales les plus élevées en France comme en Italie, les secondes aux « classes moyennes » de deux pays. L’existence d’un commerce croisé entre les deux pays peut se comprendre.
La seconde différence est une différence liée à d’autres caractéristiques du produit que la qualité ou le prix. Il peut s’agir de la marque (vêtements par exemple), du design (meubles), de la texture (yaourt !). Là encore, un commerce croisé peut exister pour des produits de même gamme du fait de la variété des produits existants, produits dans les différents pays et demandés par différents consommateurs des différents pays. La France exportera donc des voitures familiales Mégane ou 308 en Italie parce que ces marques ou le design sont appréciés en Italie et inversement pour les Fiat ou Alfa-Roméo exportées vers la France qui attirent certains consommateurs. On parle parfois d’un commerce de variété ou, plus simplement de différenciation des produits en qualité et en prix (en supposant donc que des produits de qualités différentes ne sont pas vraiment les mêmes produits). On a ici une autre explication de l’importance du commerce entre pays comparables.
Dans les deux cas, différenciation verticale ou horizontale, les entreprises d’une même branche produisent des biens similaires, facilement substituables entre eux, mais pas strictement identiques.
Toutefois, certains économistes pensent que les caractéristiques de l’offre peuvent aussi expliquer les échanges entre pays comparables, que ce commerce soit intrabranche ou interbranche. Si les dotations en « grands » facteurs de production, travail et capital, ne peuvent, le plus souvent, rendre compte de ce type d’échange, par contre, en ayant une définition plus fine des facteurs de production, il est possible d’expliquer l’existence d’échanges entre pays comparables. Par exemple, la France peut avoir des travailleurs très qualifiés dans l’ingénierie : ainsi, il y aura des exportations des services qu’ils offrent dans la construction de stades, de barrages ou de centrales nucléaires. En sens inverse, la France pourra importer des services ou des biens de haute technologie dans le domaine des TIC d’autres pays comptant des ingénieurs ou techniciens spécialisés dans ce domaine. Des avantages comparatifs peuvent donc exister entre pays comparables selon leurs dotations factorielles fines.
Une autre explication de ces échanges entre pays comparables peut être donnée. Ils peuvent découler de ce que l’on appelle la fragmentation de la chaîne des valeurs mondiales (on en a beaucoup parlé lors de la crise liée à la covid 19). En effet, produire un bien nécessite des étapes dans la production allant de la R&D, à la conception du produit jusqu’aux activités matérielles de production (la fabrication) et de vente (voire de services après-vente). Ainsi, il se peut que certaines activités, pour un produit donné, comme la R&D soient plus efficacement réalisées dans un pays, la production matérielle dans un autre et les activités de marketing dans un troisième. Dans cette situation, une FMN aura intérêt à fragmenter géographiquement sa chaîne de valeur en fonction des avantages comparatifs de chaque pays. Des échanges entre pays comparables pourront se faire au sein de la même entreprise (il s’agira d’un commerce intra-firme) ou entre l’entreprise et ses sous-traitants étrangers.
Prenons l’exemple d’Airbus pour montrer que la localisation géographique peut se dérouler dans des pays proches en termes de dotations factorielles ou technologiques. L’image ci-dessous visualise le découpage des étapes de production, les différents éléments constitutifs de la production d’un airbus. Vous pouvez parfaitement voir qu’ici les pièces utiles pour fabriquer un avion sont produites dans des pays différents, ce qui nécessite forcément des échanges entre ces pays. Ces éléments nécessitent des compétences très pointues, très spécifiques et donc un très haut niveau de qualification, propres aux différents pays qui sont ainsi surtout des pays développés : l’Allemagne pour le fuselage par exemple, la France pour le cockpit, le Royaume-Uni pour les ailes et l’Espagne pour l’empennage horizontal. On comprend donc l’existence d’un commerce entre pays comparables du fait de l’existence de chaînes de valeurs en de multiples tâches réalisées là où l’avantage comparatif est le plus fort.
Document : Zoom sur l’assemblage final d’un A330 à Toulouse-Blagnac
Notons que cet exemple est très spécifique : il met en évidence l’existence d’un commerce intra-firme, qui peut représenter jusqu’à 30 voire 40 % du commerce extérieur total d’un pays et qui n’obéit pas aux règles traditionnelles du commerce international : les pièces échangées ne sont pas achetées sur un marché concurrentiel. Leur prix n’est pas un prix de marché mais un prix administré, c’est-à-dire fixé par la grande entreprise!
Cela nous pousse à détailler un peu le rôle des FMN dans le commerce international et plus largement dans le processus de mondialisation.