CH01. Comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ?

1. Qu’est-ce qu’un marché ?

1.1. Le marché est un lieu d'échange de biens et services, organisé par la société comme une institution.

1.1.1. Le marché est un lieu de rencontre fictif ou réel, ou s'effectue l'échange de biens et services.

Vous êtes sans doute déjà allé au marché, sans vous poser la question de sa définition : elle semble évidente et commune. Et pourtant, celle-ci ne va pas de soi : en sciences économiques et sociales, la notion de marché désigne plusieurs réalités…

  • Avant tout, le marché concret est un lieu bien réel où se retrouvent physiquement producteurs et consommateurs où vont s’échanger la plupart des biens nécessaires à la consommation. Ce marché comme lieu d’approvisionnement apparait très tôt dans l’histoire : l’activité marchande s’est d’abord organisée avec et autour de grandes foires commerciales, comme celles de Troyes ou de Lyon au Moyen Age. Ces foires se tiennent alors à des carrefours importants des voies de communication qui traversent l’Europe et permettent à des négociants d’échanger de grandes quantités de produits. Le développement des villes et les voies de communication plus nombreuses ont ensuite favorisé l’essor des marchés urbains locaux, des boutiques et des bourses (des marchés ouverts tous les jours, éventuellement installés dans des structures couvertes –comme sur le modèle des Halles qui existent encore dans de nombreuses villes de France). Au XIXème siècle l’essor des grands magasins inaugurent une nouvelle forme de distribution commerciale qui connaitra son apogée dans les années 1950 : le commerce intégré, où l’on propose une large gamme de produits dans un lieu privé, détenu par un propriétaire unique. Le Bon Marché est ainsi créé à Paris en 1852 par M. Boucicaud (il servira de modèle à Émile Zola pour écrire son célèbre roman « Au bonheur des dames »), à Londres, Harrods ouvre ses portes en 1851 avec sa devise explicite, « Omnia Ubique omnibus » (tout, partout, pour tous). Vous connaissez la suite de l’histoire : le modèle du supermarché se diffuse à partir de 1960 sur le principe du libre-service (se servir soi-même et payer en caisse à la sortie du magasin). Et on peut y associer désormais le commerce en ligne : si le lieu du libre-service est virtuel, derrière votre ordinateur ou votre smartphone, les biens et services échangés restent bien réels. Le marché comme lieu concret des échanges existent donc toujours bel et bien.
  • Le marché désigne aussi un concept plus général, qui correspond à la rencontre entre une offre et une demande d’un même type de bien ou de service. Ainsi, le marché met en concurrence les offreurs entre eux pour vendre leur production ; il met aussi en concurrence les demandeurs pour acheter les produits qu’ils souhaitent posséder. Le marché est alors représenté par des données statistiques portant sur le nombre d’acheteurs ou de vendeurs, le volume des transactions observées, les chiffres d’affaires réalisés : ces données permettent d'établir des courbes d’offre et demande comme vous le verrez plus loin. C’est ce sens générique que l’on emploie le plus souvent en économie. Cela permet notamment de distinguer les marchés selon l’objet de l’échange entre les différents acteurs. Vous retrouvez alors par exemple le marché des matières premières, comme le blé ou le pétrole, le marché des produits finis, comme celui des livres d’économie, si utiles pour vous. Mais aussi le marché du travail où se retrouvent offreurs de travail (les salariés ou ceux qui souhaitent le devenir) et les demandeurs de travail (les entreprises cherchant à employer des salariés). Ou encore le marché des changes portant sur les devises, les monnaies internationales nécessaires au commerce international. On peut finalement considérer qu’il existe autant de marché qu’il y a de biens et services ! Employer le mot marché au singulier n’a alors de sens que pour faire référence au concept de marché : celui qui permet d’établir une quantité d’échange, à un prix négocié entre offreurs et demandeurs, comme vous le verrez dans la suite de cette partie. C’est bien évidemment ce sens du mot marché que nous privilégierons en Sciences Économiques et Sociales.

1.1.2. Le marché peut être considéré comme une institution

Le marché n’est pas un phénomène naturel et spontané, mais plutôt une construction humaine reposant sur un ensemble de mécanismes de régulation, de nature juridique, économique ou sociale. Il y a ainsi une somme d’institutions marchandes, un ensemble de normes relativement stabilisées qui permettent un échange harmonieux entre offreurs et demandeurs, portant notamment sur le contrat et le respect du droit de propriété. Prenons l’exemple du marché du livre, lorsque, soucieux d’améliorer vos connaissances, vous cherchez à acquérir un manuel d’économie et de sciences sociales.

L’échange réalisé suppose d’abord que les participants puissent définir les termes de leur accord marchand, de manière indépendante, et qu’ils soient ensuite obligés de les respecter. Ces termes se retrouvent dans un contrat, parfois tacite, qui précise le prix négocié, la quantité et les délais de livraison éventuels, les différentes garanties, etc. C’est ainsi que si vous achetez votre livre sur une librairie en ligne, vous verrez apparaitre en général ces termes et conditions : le prix, le lieu de livraison, un délai indicatif, le moyen de paiement choisi. Les termes du contrat sont librement établis par les contractants. Malheureusement, cette liberté contractuelle peut aussi engendrer des relations peu équilibrées : l’un des acteurs pourrait en effet imposer ses vues s’il est en position de force, brisant le principe d’égalité des pouvoirs entre offreurs et demandeurs. C’est par exemple le cas sur le marché du travail où le salarié dispose en général d’un pouvoir de négociation plus faible que celui de son employeur ; c’est encore le cas des petits producteurs dans leurs négociations pour référencer leurs produits en supermarché, etc. Pour éviter de tels rapports de force, les pouvoirs publics peuvent protéger les plus faibles afin que les plus forts n’abusent pas de leur situation dominante. Cela permet de comprendre l’existence d’un droit du travail qui protège partiellement les salariés (avec un salaire minimum, une durée légale du travail, des conventions collectives…), d’un droit de la consommation interdisant certaines pratiques commerciales (comme le refus de vente, la vente liée, etc.) ou obligeant d’informer les consommateurs sur la qualité des produits. Enfin, les pouvoirs publics peuvent aller jusqu’à fixer un prix unique, comme celui du livre : en France, le manuel d’économie et de sciences sociales que vous achetez sera au même prix, quel que soit le lieu d’achat, ce qui permet de maintenir des librairies indépendantes face aux géants de la distribution de biens culturels… Les pouvoirs publics et le droit jouent donc un rôle de régulation essentiel pour le bon fonctionnement du marché : le marché devient de la sorte une institution.

Le droit de propriété assure ensuite le droit d’utiliser, de faire fructifier, ou de vendre les biens et services que vous avez à votre disposition. En effet, le droit de propriété a trois caractères fondamentaux. Il est tout d’abord exclusif : un bien appartient à un propriétaire unique (ou à un groupe de propriétaires). Ainsi, votre manuel d’économie et de sciences sociales est devenu le vôtre dès lors que vous l’avez acheté. Le droit de propriété est ensuite absolu : il y a liberté d’utiliser son bien comme bon vous semble. Vous pouvez annoter, raturer, déchirer des pages de votre livre, nul ne peut vous en tenir rigueur. Enfin, il est perpétuel : le droit de propriété subsiste autant que le bien. Écorné, jauni, le livre reste votre propriété jusqu’à sa destruction finale éventuelle, lorsque vous le brulerez dans une cheminée. Ces trois caractères garantissent finalement les droits d’utilisation des biens, les droits de percevoir des revenus de ses biens (d’un logement loué par exemple) et enfin le droit de disposer de son bien comme on l’entend (donc de le vendre, le donner, le détruire…). Vous avez compris : pour qu’un bien soit proposé à l’échange sur un marché, il faut qu’il ait un propriétaire identifié (qui dispose du droit absolu de le vendre…). L’échange sur un marché apparaît ainsi comme un transfert de propriété, garanti par l’État.

Si les biens matériels sont faciles à faire rentrer dans la cadre de la propriété, il est plus ardu de garantir la propriété des biens dits « immatériels ». Ainsi, si votre livre d’économie une fois acheté est bien le vôtre, qu’en est-il du contenu de l’ouvrage ? Avez-vous le droit de le recopier et de vous l’attribuer lors de votre grand oral de Terminale par exemple, au motif que le livre vous appartient ? Il semble bien que non… Alors comment garantir à l’auteur, celui qui a « produit » le contenu, qu’il percevra bien des revenus sur son œuvre ? Ce cas concerne les publications écrites, mais vous pouvez aussi envisager que cela concerne les artistes musicaux créant une chanson, ensuite diffusée en radio, en streaming sur les plates formes légales ; les informaticiens à l’origine d’un logiciel de jeu ; les inventeurs d’innovations technologiques… Dans toutes ces situations, la diffusion peut être gratuite, car sans support matériel, mais cela pose la question du respect du droit de propriété intellectuelle. C’est pourquoi, les marchés reconnaissent le caractère particulier de la propriété intellectuelle et la protège : ainsi, écrivains et artistes disposent du droit d’auteurs, ce qui permet de préciser leurs modes de rémunération, avec par exemple un contrat avec un éditeur qui permet à l’auteur de votre livre de percevoir une part du prix que vous avez payé, et d’avoir la garantie de ne pas être plagié. Il en sera de même lorsque vous utiliserez une forme numérique de l’œuvre rédigé, sur une liseuse par exemple. Dans le domaine de l’édition musicale, il existe de même des règles de versement de royalties à la diffusion des chansons dans un cadre public. Il est aussi possible de poser des brevets sur les innovations. Un brevet est un titre de propriété industrielle qui confère à son titulaire un droit d'interdire à d’autres l'exploitation de son invention, en général pour une durée limitée. Cela permet aux titulaires de brevets de proposer sur les marchés le droit d’utiliser leurs inventions. C’est ce que font les créateurs et éditeurs de logiciels lorsqu’ils vendent un contrat de licence de logiciel qui vous autorise à les utiliser : un éditeur de texte, un tableur, un utilitaire de retouche d’image, etc., que l’on retrouve sur les plateformes de téléchargement légal que vous connaissez tous. Ainsi, dans tous les cas, les « biens » immatériels peuvent se retrouver sur un marché, puisque leur propriété est garantie et protégée.

Au final, le marché est bien une institution crée par la société, c'est à dire un ensemble de règles juridiques et de normes sociales organisant la société et régulant les comportements des individus.

1.2. Les situations de marché diffèrent selon leur degré de concurrence.

1.2.1. La situation de concurrence pure et parfaite reste un idéal.

Pour qu’un marché fonctionne correctement, les économistes néoclassiques estiment qu’il doit être concurrentiel et, pour cela, qu’il doit respecter quelques hypothèses fondamentales. Dans l’idéal, pour que la concurrence soit réellement effective, 5 conditions préalables doivent être respectées. Lorsque ces 5 conditions sont remplies, on parle alors de concurrence pure et parfaite ou, plus simplement, de concurrence parfaite. Ces 5 conditions sont idéales et difficiles à observer en réalité ou en totalité, cependant, elles semblent bien nécessaires pour garantir un fonctionnement le plus harmonieux possible du marché. Mais, attention ! Il s’agit d’un modèle abstrait de fonctionnement d’un marché qui permet surtout de mieux analyser des marchés concrets à partir de ce modèle de référence.

  • La première des conditions s’appelle l’atomicité. Derrière ce terme se cache l’idée qu’il faut un grand nombre d’offreurs et de demandeurs sur le marché, tous de taille insuffisante pour avoir un impact sur les quantités échangées et le prix du marché (ils sont donc tels des « atomes »). Sur le marché des biens et services, chaque producteur représente alors une part tellement infime de la production totale que ses décisions sur le volume de production n’affecteront pas l’offre totale et donc le prix final du marché. De la même manière, chaque acheteur pèse peu au regard de la masse des biens et services. Sur le marché du livre, c’est à peu près ce que l’on retrouve à première vue (si on considère que tous les livres sont interchangeables et d’égale qualité) : de très nombreux éditeurs semblent se disputer le marché, et les clients, nombreux, n’influencent individuellement en aucune sorte le marché.
  • La seconde condition est l’homogénéité : les produits sont similaires ou semblables aux yeux acheteurs. Les produits sont donc considérés comme homogènes quand les utilisateurs considèrent chacune des offres proposées par les différents fabricants comme totalement interchangeables, et que l’identité du producteur importe peu. La marque, la nationalité, la qualité de la relation clientèle n’ont donc idéalement aucune influence. Ainsi, sur le marché du blé, peu importe l'origine de la production, les prix du marché s'appliqueront à tous.
  • La libre entrée est aussi nécessaire. Cela suppose qu’il n’existe aucune entrave à l’accès des demandeurs ou des offreurs sur le marché. De nouveaux concurrents peuvent donc apparaitre à tout moment, ce qui garantit qu’aucun producteur ou aucun acheteur ne puisse finalement obtenir un pouvoir de marché. La notion exclut par exemple tout droit d’entrée, sous la forme de barrières tarifaires (comme c'est le cas des taxis, devant acheter une licence avant de pouvoir exercer leur activité), de conditions préalables à l’installation, de coûts irrécupérables (comme des dépenses de R&D importantes), etc. Ainsi, de nouveaux éditeurs de livres apparaissent régulièrement en France, de taille modeste en général, mais capable de concurrencer les éditeurs déjà installés.
  • Ensuite, il ne devrait pas exister d’obstacles aux déplacements des travailleurs et des capitaux entre les différents producteurs ou secteurs et entre les différents marchés. En effet, le processus concurrentiel suppose que les facteurs de production puissent s’allouer là où la rémunération est la meilleure : c’est le principe de la parfaite mobilité des facteurs. Cette mobilité autorise par exemple un auteur à changer d’éditeur pour proposer son travail à un concurrent, plus intéressant en termes de conditions de droits d’auteur.
  • En dernier lieu, l’information doit être parfaite. Tous les offreurs et tous les demandeurs doivent connaitre instantanément, et sans coûts supplémentaires, toutes les informations utiles du marché : les prix des produits et celui des concurrents, les quantités disponibles, les évènements susceptibles de modifier les conditions de l’échange marchands, etc. C’est l’hypothèse de transparence. La transparence permet notamment de garantir que le marché est la solution la plus efficace pour allouer les différentes ressources.

Lorsque la concurrence est pure et parfaite, le prix d’une marchandise est donc exclusivement déterminé par l’arbitrage des offreurs et des demandeurs. Les entreprises comme les clients sont alors « pricetakers » ou « preneurs de prix » : ils acceptent le prix établi sur le marché sans pouvoir le modifier, et établissent la quantité qu’ils souhaitent individuellement produire ou consommer, comme nous le verrons dans la partie 3. L’intérêt de la notion de concurrence pure et parfaite est finalement simple : elle permet de formaliser un modèle de fonctionnement du marché, qui sert de représentation idéale de la réalité, et sur lequel la concurrence ne joue que sur les prix.

1.2.2. La concurrence imparfaite est cependant le cas le plus fréquent

La concurrence pure et parfaite est finalement bien peu observée sur les marchés concrets : dans une large majorité des cas, les critères vus plus haut ne s'appliquent pas ou de manière incomplète. Dans certains cas, les conditions de la concurrence avantageront plutôt le consommateur, même si cela reste plutôt rare, alors que certaines conditions donneront plus fréquemment un pourvoir de marché aux producteurs (notion que l'on retrouvera dans le chapitre suivant). L'observation d'un manque d'atomicité fournit alors une sorte de continuum de situations permettant de distinguer les marchés selon leur degré de concurrence.

La concurrence imparfaite concerne généralement les producteurs. Quelques entreprises peuvent se partager le marché, alors que les consommateurs sont en grand nombre. C'est le cas du marché du livre, notamment pour le secteur scolaire et parascolaire, où quelques éditeurs proposent à une masse de lycéens et d'étudiants leurs différents ouvrages. Ce marché est donc appelé un oligopole. L’autre cas concerne la situation où un seul producteur existe, et satisfait toute la demande des consommateurs : le marché du transport ferroviaire l'illustre bien en France. Cette situation de monopole conduit généralement des distorsions de concurrence, comme vous le verrez au chapitre "Comment les marchés imparfaitement concurrentiels fonctionnent-ils ?", avec des prix plus élevés, et des rationnements de la production.

La concurrence parfaite est donc loin d'être la seule forme de marché : elle représente un idéal, permettant de poser un modèle d'analyse, mais de nombreux cas viennent relativiser son importance. Ainsi, oligopoles et monopoles sont loin d'être négligeables.