Vous êtes sans doute déjà allé au marché, sans vous poser la question de sa définition : elle semble évidente et commune. Et pourtant, celle-ci ne va pas de soi : en sciences économiques et sociales, la notion de marché désigne plusieurs réalités…
Le marché n’est pas un phénomène naturel et spontané, mais plutôt une construction humaine reposant sur un ensemble de mécanismes de régulation, de nature juridique, économique ou sociale. Il y a ainsi une somme d’institutions marchandes, un ensemble de normes relativement stabilisées qui permettent un échange harmonieux entre offreurs et demandeurs, portant notamment sur le contrat et le respect du droit de propriété. Prenons l’exemple du marché du livre, lorsque, soucieux d’améliorer vos connaissances, vous cherchez à acquérir un manuel d’économie et de sciences sociales.
L’échange réalisé suppose d’abord que les participants puissent définir les termes de leur accord marchand, de manière indépendante, et qu’ils soient ensuite obligés de les respecter. Ces termes se retrouvent dans un contrat, parfois tacite, qui précise le prix négocié, la quantité et les délais de livraison éventuels, les différentes garanties, etc. C’est ainsi que si vous achetez votre livre sur une librairie en ligne, vous verrez apparaitre en général ces termes et conditions : le prix, le lieu de livraison, un délai indicatif, le moyen de paiement choisi. Les termes du contrat sont librement établis par les contractants. Malheureusement, cette liberté contractuelle peut aussi engendrer des relations peu équilibrées : l’un des acteurs pourrait en effet imposer ses vues s’il est en position de force, brisant le principe d’égalité des pouvoirs entre offreurs et demandeurs. C’est par exemple le cas sur le marché du travail où le salarié dispose en général d’un pouvoir de négociation plus faible que celui de son employeur ; c’est encore le cas des petits producteurs dans leurs négociations pour référencer leurs produits en supermarché, etc. Pour éviter de tels rapports de force, les pouvoirs publics peuvent protéger les plus faibles afin que les plus forts n’abusent pas de leur situation dominante. Cela permet de comprendre l’existence d’un droit du travail qui protège partiellement les salariés (avec un salaire minimum, une durée légale du travail, des conventions collectives…), d’un droit de la consommation interdisant certaines pratiques commerciales (comme le refus de vente, la vente liée, etc.) ou obligeant d’informer les consommateurs sur la qualité des produits. Enfin, les pouvoirs publics peuvent aller jusqu’à fixer un prix unique, comme celui du livre : en France, le manuel d’économie et de sciences sociales que vous achetez sera au même prix, quel que soit le lieu d’achat, ce qui permet de maintenir des librairies indépendantes face aux géants de la distribution de biens culturels… Les pouvoirs publics et le droit jouent donc un rôle de régulation essentiel pour le bon fonctionnement du marché : le marché devient de la sorte une institution.
Le droit de propriété assure ensuite le droit d’utiliser, de faire fructifier, ou de vendre les biens et services que vous avez à votre disposition. En effet, le droit de propriété a trois caractères fondamentaux. Il est tout d’abord exclusif : un bien appartient à un propriétaire unique (ou à un groupe de propriétaires). Ainsi, votre manuel d’économie et de sciences sociales est devenu le vôtre dès lors que vous l’avez acheté. Le droit de propriété est ensuite absolu : il y a liberté d’utiliser son bien comme bon vous semble. Vous pouvez annoter, raturer, déchirer des pages de votre livre, nul ne peut vous en tenir rigueur. Enfin, il est perpétuel : le droit de propriété subsiste autant que le bien. Écorné, jauni, le livre reste votre propriété jusqu’à sa destruction finale éventuelle, lorsque vous le brulerez dans une cheminée. Ces trois caractères garantissent finalement les droits d’utilisation des biens, les droits de percevoir des revenus de ses biens (d’un logement loué par exemple) et enfin le droit de disposer de son bien comme on l’entend (donc de le vendre, le donner, le détruire…). Vous avez compris : pour qu’un bien soit proposé à l’échange sur un marché, il faut qu’il ait un propriétaire identifié (qui dispose du droit absolu de le vendre…). L’échange sur un marché apparaît ainsi comme un transfert de propriété, garanti par l’État.
Si les biens matériels sont faciles à faire rentrer dans la cadre de la propriété, il est plus ardu de garantir la propriété des biens dits « immatériels ». Ainsi, si votre livre d’économie une fois acheté est bien le vôtre, qu’en est-il du contenu de l’ouvrage ? Avez-vous le droit de le recopier et de vous l’attribuer lors de votre grand oral de Terminale par exemple, au motif que le livre vous appartient ? Il semble bien que non… Alors comment garantir à l’auteur, celui qui a « produit » le contenu, qu’il percevra bien des revenus sur son œuvre ? Ce cas concerne les publications écrites, mais vous pouvez aussi envisager que cela concerne les artistes musicaux créant une chanson, ensuite diffusée en radio, en streaming sur les plates formes légales ; les informaticiens à l’origine d’un logiciel de jeu ; les inventeurs d’innovations technologiques… Dans toutes ces situations, la diffusion peut être gratuite, car sans support matériel, mais cela pose la question du respect du droit de propriété intellectuelle. C’est pourquoi, les marchés reconnaissent le caractère particulier de la propriété intellectuelle et la protège : ainsi, écrivains et artistes disposent du droit d’auteurs, ce qui permet de préciser leurs modes de rémunération, avec par exemple un contrat avec un éditeur qui permet à l’auteur de votre livre de percevoir une part du prix que vous avez payé, et d’avoir la garantie de ne pas être plagié. Il en sera de même lorsque vous utiliserez une forme numérique de l’œuvre rédigé, sur une liseuse par exemple. Dans le domaine de l’édition musicale, il existe de même des règles de versement de royalties à la diffusion des chansons dans un cadre public. Il est aussi possible de poser des brevets sur les innovations. Un brevet est un titre de propriété industrielle qui confère à son titulaire un droit d'interdire à d’autres l'exploitation de son invention, en général pour une durée limitée. Cela permet aux titulaires de brevets de proposer sur les marchés le droit d’utiliser leurs inventions. C’est ce que font les créateurs et éditeurs de logiciels lorsqu’ils vendent un contrat de licence de logiciel qui vous autorise à les utiliser : un éditeur de texte, un tableur, un utilitaire de retouche d’image, etc., que l’on retrouve sur les plateformes de téléchargement légal que vous connaissez tous. Ainsi, dans tous les cas, les « biens » immatériels peuvent se retrouver sur un marché, puisque leur propriété est garantie et protégée.
Au final, le marché est bien une institution crée par la société, c'est à dire un ensemble de règles juridiques et de normes sociales organisant la société et régulant les comportements des individus.
Pour qu’un marché fonctionne correctement, les économistes néoclassiques estiment qu’il doit être concurrentiel et, pour cela, qu’il doit respecter quelques hypothèses fondamentales. Dans l’idéal, pour que la concurrence soit réellement effective, 5 conditions préalables doivent être respectées. Lorsque ces 5 conditions sont remplies, on parle alors de concurrence pure et parfaite ou, plus simplement, de concurrence parfaite. Ces 5 conditions sont idéales et difficiles à observer en réalité ou en totalité, cependant, elles semblent bien nécessaires pour garantir un fonctionnement le plus harmonieux possible du marché. Mais, attention ! Il s’agit d’un modèle abstrait de fonctionnement d’un marché qui permet surtout de mieux analyser des marchés concrets à partir de ce modèle de référence.
Lorsque la concurrence est pure et parfaite, le prix d’une marchandise est donc exclusivement déterminé par l’arbitrage des offreurs et des demandeurs. Les entreprises comme les clients sont alors « pricetakers » ou « preneurs de prix » : ils acceptent le prix établi sur le marché sans pouvoir le modifier, et établissent la quantité qu’ils souhaitent individuellement produire ou consommer, comme nous le verrons dans la partie 3. L’intérêt de la notion de concurrence pure et parfaite est finalement simple : elle permet de formaliser un modèle de fonctionnement du marché, qui sert de représentation idéale de la réalité, et sur lequel la concurrence ne joue que sur les prix.
La concurrence pure et parfaite est finalement bien peu observée sur les marchés concrets : dans une large majorité des cas, les critères vus plus haut ne s'appliquent pas ou de manière incomplète. Dans certains cas, les conditions de la concurrence avantageront plutôt le consommateur, même si cela reste plutôt rare, alors que certaines conditions donneront plus fréquemment un pourvoir de marché aux producteurs (notion que l'on retrouvera dans le chapitre suivant). L'observation d'un manque d'atomicité fournit alors une sorte de continuum de situations permettant de distinguer les marchés selon leur degré de concurrence.
La concurrence imparfaite concerne généralement les producteurs. Quelques entreprises peuvent se partager le marché, alors que les consommateurs sont en grand nombre. C'est le cas du marché du livre, notamment pour le secteur scolaire et parascolaire, où quelques éditeurs proposent à une masse de lycéens et d'étudiants leurs différents ouvrages. Ce marché est donc appelé un oligopole. L’autre cas concerne la situation où un seul producteur existe, et satisfait toute la demande des consommateurs : le marché du transport ferroviaire l'illustre bien en France. Cette situation de monopole conduit généralement des distorsions de concurrence, comme vous le verrez au chapitre "Comment les marchés imparfaitement concurrentiels fonctionnent-ils ?", avec des prix plus élevés, et des rationnements de la production.
La concurrence parfaite est donc loin d'être la seule forme de marché : elle représente un idéal, permettant de poser un modèle d'analyse, mais de nombreux cas viennent relativiser son importance. Ainsi, oligopoles et monopoles sont loin d'être négligeables.