ATTENTION :
ce cours correspond au programme de 2013, il n'est pas conforme au programme de terminale de SES en vigueur depuis 2019.
Comme les inégalités structurent la société en groupes distincts hiérarchisés et que les statuts sociaux ne sont pas assignés par la naissance (ils ne sont pas héréditaires), normalement les individus doivent pouvoir circuler entre ces groupes sociaux. Étudier la mobilité sociale, c'est se demander dans quelle mesure les statuts sociaux sont héréditaires : plus ils le sont, moins la mobilité est grande, plus les inégalités risquent d'être ressenties comme injustes en tout cas dans une société valorisant l'égalité.
Pourquoi la question de la mobilité sociale est-elle importante ? D'abord l'aspiration à l'égalité serait heurtée de front par une reproduction des positions sociales à l'identique, ou quasiment à l'identique, de génération en génération. La revendication de l'égalité des chances montre bien que la société souhaite que les individus aient les statuts sociaux qu'ils méritent en fonction de leurs capacités personnelles et non en fonction de leur origine sociale. On parle dans ce cas de méritocratie. Par ailleurs, on peut penser, comme P. Bourdieu qu'une classe sociale n'existe en tant que classe que si elle a une certaine permanence dans le temps, en particulier pour pouvoir transmettre à ses membres (et aux enfants de ses membres) une culture commune. On peut donc penser que plus le système de classes est constitué, plus les résistances à la mobilité sociale vont probablement être fortes, et inversement. Étudier la mobilité sociale permet donc de compléter la réflexion sur l'existence des classes que nous avons menée dans le chapitre précédent.
Dans un premier temps, nous allons étudier les moyens de mesure de la mobilité sociale - ce qu'on appelle les tables de mobilité. Ensuite, nous analyserons la mobilité sociale en France, puis nous étudierons les facteurs de la mobilité - ce qui cause, ou permet la mobilité sociale. Pour finir, nous présenterons deux débats autour de la mobilité sociale : le premier portera sur le rôle que joue l'école dans la mobilité, le second sur la réalité du déclassement.
De manière générale, la mobilité sociale est la circulation des individus d'une société donnée entre des positions sociales dont on sait qu'elles ne sont pas toutes équivalentes, donc qu'elles sont hiérarchisées, car elles ne procurent pas toutes les mêmes avantages, économiques et symboliques. Certaines positions sociales sont socialement valorisées alors que d'autres sont dévalorisées. De ce point de vue, on parle de mobilité horizontale lorsque le changement de profession ne correspond pas vraiment à un changement de position sociale dans la hiérarchie sociale ; on parle donc de mobilité verticale lorsque la changement de profession implique un changement de position sociale, vers le haut ou vers le bas de la hiérarchie sociale.
On peut distinguer aussi la mobilité sociale intra-générationnelle (celle d'un individu au cours de sa vie professionnelle) de la mobilité intergénérationnelle (celle d'un individu par rapport à la position sociale de ses parents). La mobilité intra-générationnelle est relativement faible si l'on excepte les tout premiers emplois. C'est donc l'étude de la mobilité intergénérationnelle qui va nous occuper, d'autant qu'elle est bien plus intéressante du point de vue des enjeux dont on vient de parler. De même, nous ne nous intéresserons pas à la mobilité géographique qui est un changement de lieu de profession ou de lieu de vie, la profession restant la même.
Elles se lisent de la manière suivante : que deviennent (destinée) 100 fils d'agriculteurs ?
Catégorie socioprofessionnelle du père | Catégorie socioprofessionnelle du fils en 2003 (en %) | ||||||
Agriculteur exploitant | Artisan, commerçant et chef d’entreprise | Cadre et profession intellectuelle supérieure | Profession intermédiaire | Employé | Ouvrier | Ensemble | |
Agriculteur exploitant | 22 | 6 | 9 | 17 | 9 | 37 | 100 |
Artisan, commerçant et chef d’entreprise | 1 | 21 | 22 | 24 | 9 | 24 | 100 |
Cadre et profession intellectuelle supérieure | 0 | 6 | 52 | 26 | 6 | 9 | 100 |
Profession intermédiaire | 0 | 8 | 33 | 33 | 9 | 17 | 100 |
Employé | 0 | 7 | 22 | 28 | 17 | 26 | 100 |
Ouvrier | 1 | 8 | 10 | 23 | 12 | 46 | 100 |
Ensemble | 4 | 9 | 19 | 24 | 11 | 34 | 100 |
Champ : hommes, actifs occupés ou anciens ayant eu un emploi, âgés de 40 à 59 ans, en mai 2003 | |||||||
Source : INSEE |
Et bien, par exemple, 22 sont eux-mêmes agriculteurs en 2003 (pour les hommes de 40 à 59 ans) (Insee, Enquête FQP 2003), 9 sont cadres et professions intellectuelles supérieures, etc … Dans la table de destinée, la diagonale indique le degré " d'immobilité sociale ", le poids de l'hérédité si l'on peut dire : elle indique pour chaque catégorie le pourcentage d'individus de 40 à 59 ans au moment de l'enquête qui ont conservé la position sociale de leur père.
Les tables de recrutement indiquent donc dans quel milieu social les individus de tel ou tel groupe socioprofessionnel se recrutent, proviennent. Elles se lisent de la manière suivante : quelle est l'origine sociale de 100 agriculteurs aujourd'hui (de 40 à 59 ans), autrement dit, que faisaient les pères de ces 100 agriculteurs ?
Catégorie socioprofessionnelle du père | Catégorie socioprofessionnelle du fils en 2003 (en %) | ||||||
Agriculteur exploitant | Artisan, commerçant et chef d’entreprise | Cadre et profession intellectuelle supérieure | Profession intermédiaire | Employé | Ouvrier | Ensemble | |
Agriculteur exploitant | 88 | 12 | 8 | 11 | 13 | 18 | 16 |
Artisan, commerçant et chef d’entreprise | 2 | 29 | 14 | 12 | 10 | 9 | 12 |
Cadre et profession intellectuelle supérieure | 1 | 6 | 2' | 9 | 5 | 2 | 8 |
Profession intermédiaire | 1 | 10 | 20 | 16 | 9 | 6 | 11 |
Employé | 1 | 7 | 11 | 11 | 14 | 7 | 9 |
Ouvrier | 7 | 36 | 23 | 41 | 49 | 58 | 43 |
Ensemble | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 |
Champ : hommes, actifs occupés ou anciens ayant eu un emploi, âgés de 40 à 59 ans, en mai 2003 | |||||||
Source : INSEE |
Et bien, par exemple, en 2003, 88 étaient agriculteurs, ce qui signifie que 88 % des agriculteurs ayant entre 40 et 59 ans en 2003 avaient un père lui-même agriculteur. Là encore, la diagonale répertorie les immobiles, c'est-à -dire ceux qui occupe une position sociale identique à celle de leur père.
La difficulté est bien sûr de ne pas confondre les deux types de tables de mobilité et de les lire comme il faut. Ce n'est pas simple, mais c'est important car ces deux tables ne nous donnent pas le même genre de renseignements. Vous le voyez bien avec l'exemple des agriculteurs : une très grande partie des agriculteurs (88 %) ont un père qui était lui-même agriculteur mais beaucoup de fils d'agriculteurs (78 %) ne sont pas devenus eux-mêmes agriculteurs, pour des raisons dont on reparlera plus loin.
Tout d'abord concernant le champ des personnes soumises à l'enquête, comme nous venons de le voir rapidement, il s'agit d'interroger des hommes de 40 à 59 ans sur leur profession et celle de leur père. Il se peut donc que certains d'entre eux, les plus jeunes évidemment, connaissent un changement de profession entre 40 et 59 ans même si l'on peut penser à une relative stabilité professionnelle à partir de 40 ans.
Ensuite, il ne s'agit que des hommes. Cela pose un vrai problème étant donné que les femmes sont depuis le milieu des années 60 en France très présentes sur le marché du travail. Est-ce que l'on peut toujours affirmer aujourd'hui que c'est le mari qui marque seul le statut social de la famille, d’autant qu'il y a de plus en plus de familles « éclatées » ? Il est vrai que tenir compte des femmes pose des difficultés car nombre d'entre elles, depuis que les enquêtes de mobilité sociale existent en France avaient des mères inactives. Parfois, on croise la profession de la fille avec la profession du père : mais obtient-on vraiment une mesure de la mobilité sociale des femmes ?
Enfin, le plus souvent les enquêtes excluent les actifs immigrés du fait de la difficulté qu'il y a à connaître la position sociale du père qui vivait dans une autre société ayant une structure socioprofessionnelle différente de celle des pères des enquêtés ayant un père ayant vécu en France. Si ces problèmes sont réels, ils ne permettent pas totalement de décrire parfaitement la mobilité sociale en France.
Les tables de mobilité utilisent la nomenclature des PCS pour classer les hommes dans un milieu social particulier. En dehors des critiques traditionnelles sur les PCS elles-mêmes, rappelons que le statut de l'emploi occupé (CDD ou CDI notamment) n'est pas retenu même si la précarisation des emplois touche plus fréquemment les jeunes déjà exclus des personnes enquêtées. Si l'on compare dans le temps les professions d entre la période des fils et celle de leur père, une même profession peut perdre un statut social valorisé autrefois : un instituteur il y a 60 ans avait certainement un statut social plus élevé qu’aujourd’hui par exemple.
Un autre problème se pose : la nomenclature en 6 groupes socioprofessionnels ignorent les flux de mobilité au sein d'une même catégorie, est-ce qu'un enseignant de lycée a le même statut socioprofessionnel qu'un ingénieur (ils sont pourtant classés ensemble parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures) : un fils d'enseignant qui devient ingénieur ne connaît aucune mobilité selon la table de mobilité. À l'inverse, certains sociologues estiment plus pertinent sociologiquement de regrouper les groupes socioprofessionnels en deux ou trois classes sociale : dans ce cas, on réduit encore plus fortement la mobilité mesurée. Donc le nombre de catégorie utilisé dans les tables de mobilité influence très fortement la mesure de cette mobilité elle-même.
Enfin, précisons que chaque pays a sa propre nomenclature des professions et de leur regroupement. Il est ainsi difficile de comparer la mobilité sociale entre pays. Pour faire face à ce problème, on regroupe parfois les individus en classes de revenus les mêmes pour chaque pays et l'on peut faire des comparaison de la mobilité. D'ailleurs, on peut être surpris de constater que la mobilité est moins forte aux États-Unis qu'en France !
Malgré toutes ces limites, les tables de mobilité restent l'outil le plus utilisé car il n'y en a pas de meilleurs. Ce sont donc elles que nous allons exploiter dans la partie suivante.