En 2009 est entré en vigueur le traité de Lisbonne qui encadre le fonctionnement de l’Union européenne (UE) et précise les compétences de l’UE et de ses Etats membres. Les politiques économiques prises par des Etats membres de l’UE sont ainsi impactées par ce traité, qui actualise les traités précédents, depuis le traité initial, le traité de Rome (signé en 1957). L’objectif, ici, n’est pas de présenter l’évolution historique de la construction de l’UE mais d’insister sur les aspects économiques de l’intégration européenne : en effet, la création d’une zone d’intégration économique unifiée entraîne des effets sur les décisions et actions économiques des Etats membres.
L’Union Européenne a en effet mis en place la liberté de circulation des biens et des services, des capitaux et des personnes, ce qui a supprimé les barrières à l’échange au sein d’une zone géographique de plus en plus large (de 6 pays au départ à 27 en 2021). Le « marché unique » et plus encore la monnaie unique ont renforcé les interdépendances à l’échelle des pays de l’Union et particulièrement de la zone euro, comprenant en 2021 19 pays. Comme vous l’avez peut-être vu dans le chapitre sur les crises monétaires et financières, les difficultés rencontrées par l’UE semblent des occasions d’approfondir l’intégration européenne, de modifier le cadre européen et ainsi, d’influencer indirectement les politiques économiques !
L’Union douanière correspond à un accord entre pays instituant la suppression des barrières au commerce entre pays membres (droits de douanes et les restrictions quantitatives) auquel s’ajoute une politique commerciale commune (application de droits de douane) vis-à-vis du reste du monde. Cette politique commerciale commune est nécessaire. En effet, si différentes politiques commerciales étaient tolérées vis-à-vis des pays non européens, les importations en provenance de pays non membres passeraient systématiquement par le pays dont le droit de douane externe serait le plus avantageux. Ainsi, les échanges ont pu se développer plus librement parmi les pays membres.
L’Union douanière ne suffit cependant pas à créer une aire économique unifiée car elle peut être contrecarrée par des comportements anti-concurrentiels de la part d’entreprises privées (ex : cartel, abus de position dominante) ou publiques (ex : le fait qu’un monopole public à caractère commercial puisse discriminer les consommateurs ou fournisseurs en fonction de leur nationalité). Le principe de libre concurrence vise à interdire les subventions à la production versées à des producteurs nationaux, car elles seraient sources de distorsions entre entreprises des différents pays membres. Il vise aussi à créer une politique de la concurrence unifiée en harmonisant les lois nationales qui ont un impact sur le marché commun (ex : les lois définissant les normes de production), certaines taxes nationales (il reste beaucoup à faire à ce sujet car seules les taxes discriminatoires sont visées). Ces actions sont indispensables au respect de la libre concurrence car, sans elles, des entreprises seraient avantagées dans certains pays au détriment des entreprises établies dans d’autres pays.
De plus, l’objectif est de créer une aire d’investissement et d’emploi unifiée en abolissant les barrières à la libre mobilité du capital et des travailleurs. A titre d’exemple, la liberté de mouvement des travailleurs passe par l’élimination de toute forme de discrimination basée sur la nationalité lors d’embauche, de licenciement, de fixation des salaires et des conditions de travail. Le Traité inscrit aussi de manière explicite la liberté de circulation des travailleurs dans la recherche d’emploi.
Si l’abolition de l’ensemble des restrictions sur les flux de capitaux fut prévue dès le Traité de Rome, la libéralisation du marché des capitaux n’a que très peu progressé avant les années 1980 car le Traité de Rome comportait de nombreuses lacunes. La libéralisation du marché des capitaux ne devint une réalité que 30 ans plus tard, en 1990, grâce à l’Acte unique européen.
En 1992, le Traité de Maastricht organise le passage à la monnaie unique en fixant cinq critères de convergence. En 1997, le Pacte de stabilité et de croissance confirme la nécessité d’une convergence des politiques économiques et la poursuite des critères budgétaires (le déficit public ne doit pas dépasser plus de 3 % de PIB et la dette publique (ensemble des emprunts contractés par l’État au sens large) ne doit pas dépasser 60 % du PIB) et prévoit des sanctions si les États présentent des déficits injustifiés, car cela . En effet, des déficits trop importants entraînent la défiance des détenteurs de capitaux et risque d’engendrer une inflation trop forte.
Depuis le 1er janvier 1999, la Banque centrale européenne (BCE) est responsable de la mise en œuvre de la politique monétaire dans la zone euro. Celle-ci a vu le jour lorsque les banques centrales nationales de onze États membres, en 1999, de l’Union européenne (UE) ont transféré à la BCE leurs compétences en matière monétaire. À ce jour, 19 pays font partie de la zone euro. Nous verrons ce point plus en détail en partie 2.
Nous allons rappeler brièvement les arguments favorables au marché unique :
Si ces effets positifs sont des effets prévus, ils ne tiennent pas compte des effets pervers de cette concurrence accrue (concentration des entreprises, concentration des activités dans certaines régions, délocalisations avec des pertes d’emplois ou de revenu, etc.) que nous avons aussi présentés dans le chapitre sur le commerce international. La Commission européenne estime cependant que le marché unique a créé plusieurs millions d’emplois et généré plus de 800 milliards d’euros de richesses supplémentaires.
Le principal avantage microéconomique est de supprimer les frais de conversion des monnaies et supprimer le risque de change dans la zone. La monnaie unique élimine les fluctuations de taux de change (la valeur d’une monnaie en une autre monnaie par définition ne change pas), ce qui réduit l’incertitude sur les prix pour les importateurs et les exportateurs. Elle permet aussi aux produits de devenir comparables plus facilement puisqu’ils sont mesurés dans la même monnaie : il est clair par exemple que le prix des cigarettes en Espagne est plus faible qu’en France. Enfin, du fait de l’utilisation d’une même monnaie, elle assure une meilleure circulation des capitaux entre les pays de la zone euro (l’épargne peut être placée et donc emprunter d’un pays à l’autre). Un marché financier intégré permet un meilleur appariement de l’offre et de la demande de capitaux, augmente l’offre globale de capitaux sans délai et sans coût puisqu’ils peuvent provenir de l’ensemble de la zone euro sans coût de conversion, donc devrait diminuer le taux d’intérêt. La disponibilité des capitaux et le coût de financement des crédits étant réduit, l’investissement devrait augmenter et stimuler la croissance économique.
L’objectif fondamental de la politique de concurrence est de maintenir des marchés concurrentiels. La politique de concurrence sert d’instrument pour encourager l’efficacité industrielle, l’allocation optimale des ressources, le progrès technique et la flexibilité pour s’ajuster dans un environnement fluctuant.
L’objectif de la politique européenne de concurrence consiste à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur. Une concurrence véritable permet aux entreprises de se mesurer les unes aux autres dans des conditions d’égalité entre les États membres, tout en les poussant à s’efforcer constamment de proposer aux consommateurs les meilleurs produits possibles au prix le plus avantageux. En retour, cela stimule l’innovation et la croissance économique à long terme. La politique de concurrence constitue donc un instrument essentiel pour avoir un marché intérieur libre et dynamique et promouvoir la prospérité économique générale.
Ainsi, la Commission européenne, et les institutions nationales telle que l’Autorité de la Concurrence en France, remplissent des missions fondamentales qui participent au bon fonctionnement du marché concurrentiel. Ces trois principales missions sont les suivantes :
Dans le Traité de Rome, l’article 3 appelle de ses vœux la mise en place assurant que la concurrence sur le marché interne ne soit pas faussée. Plus spécifiquement, l’article 85 porte sur les ententes, le 86 sur les abus de position dominante et les 92 et 93 sont relatifs aux aides d’Etat.
Dans le cas européen, la Commission Européenne fait office de juge et de procureur puisqu’elle constitue les dossiers et prend les décisions. Certes, il est toujours possible de faire appel devant des Cours de justice mais les appels ne sont pas suspensifs puisque la Commission a le pouvoir de prendre des décisions immédiatement effectives et, au final, cela ne confère aux entreprises concernées que peu de chances de renverser les effets d’une décision négative.
Lorsque qu’elle constate l'existence d'infractions, l’Autorité peut prononcer des sanctions et/ou des injonctions. Chaque sanction pécuniaire imposée par l'Autorité est déterminée en fonction des éléments propres à l’affaire et de la situation individuelle de chaque contrevenant. Le montant est fixé en fonction d’un certain nombre de critères, comme la taille du marché affecté, la gravité des faits ou encore la durée des pratiques… il peut atteindre 10 % du chiffre d’affaires mondial du groupe. Comme nous le verrons dans le détail des modalités plus bas, certaines amendes atteignent des centaines de millions d’euros…
L'Autorité peut procéder à une injonction : elle peut enjoindre à l'auteur des pratiques anticoncurrentielles de cesser ses pratiques ou de modifier ses comportements afin de se conformer au droit de la concurrence (modification d’une disposition des conditions générales de vente, d’un contrat…). En 2017, par exemple, la Commission a accepté la fusion entre les sociétés chimiques Dow et DuPont sous réserve d’une cession d’une partie des activités dans le secteur des pesticides, dont sa structure mondiale de recherche et développement. La Commission craignait que l’inévitable baisse de la concurrence se traduise par une hausse des prix et une diminution du nombre de variétés sur le marché.
Face à une situation nécessitant une intervention rapide, l'Autorité de la concurrence peut être amenée à prononcer des mesures conservatoires en attendant de se prononcer sur le fond du dossier, en cas d'atteinte grave et immédiate aux intérêts d’un secteur économique ou d’une entreprise. Par exemple, en 2014, l’Autorité a ordonné à la ligue nationale de rugby et Canal + de suspendre l’accord d’exclusivité des droits de diffusion des matches du championnat de France de 1° division pour cinq ans. En ordonnant une mesure conservatoire, l'Autorité peut ainsi éviter, pendant le temps que dure l'instruction, qu'une pratique susceptible d'être anticoncurrentielle nuise gravement et de façon irrémédiable à la concurrence ou à l'entreprise qui en est victime.
La Commission européenne lutte ainsi contre les ententes. Les ententes conduisent, en effet, à une hausse conséquente des prix, de façon directe par un accord sur les hausses de prix, sur les promotions ou encore sur les marges ou de façon indirecte, par un accord sur la répartition de marchés ou de clientèle.
Selon Bruno Lasserre, Président de l'Autorité de la concurrence, les ententes contribueraient à une hausse de prix pouvant aller jusqu'à 25 %, un ralentissement de l'investissement et de l'innovation et globalement ils conduisent à une diminution du bien-être de l'économie.
Au niveau européen, en 2018, la Direction générale de la concurrence de l'Union a infligé au total 801 millions d’euros d’amendes, la somme la plus importante d'amendes en comparaison avec les autres autorités dans le monde. En France : amende record pour l’entente des produits d’hygiènes et d’entretien en 2014 de près d’1 milliard d’euros !
La protection de la concurrence vise aussi à lutter contre les abus liés à une position dominante sur un marché. La Commission européenne et l'Autorité de la concurrence interdisent aux entreprises d'exploiter de façon abusive leur position dominante sur un marché. La position dominante n'est donc pas condamnable en soi. Ce qui l'est, c'est qu'une entreprise profite de sa taille, ses parts de marché ou de son avance technologique pour adopter des pratiques ayant pour objet d'entraver la concurrence, une entreprise peut profiter de sa position dominante pour élaborer des barrières à l’entrée du marché et empêcher les concurrents de se développer. Ainsi, l'abus de position dominante lui permet de ne plus tenir compte de la réaction de ses concurrents ou des consommateurs.
Les abus de position dominante peuvent prendre une multitude de formes, les deux pratiques les plus courantes étant celles des ventes liées et des prix prédateurs.
La pratique de « vente liée » consiste pour une entreprise en position dominante à éliminer la concurrence sur un autre marché en vendant simultanément deux produits. L'une des plus célèbres pratiques de vente liée détectée a été celle imaginée par l'entreprise Microsoft dans les années 2000 : La vente liée de l'Internet Explorer avec Windows, a pour effet d’équiper de l'Internet Explorer 90 % des PC dans le monde, ce qui porte préjudice à une concurrence des autres navigateurs ! En mars 2004, la Commission avait infligé une amende record de 497 millions d'euros à Microsoft pour avoir abusé de son "quasi-monopole sur le marché des systèmes d'exploitation – qui équipe 95 % des ordinateurs individuels – afin de restreindre la concurrence" dans deux secteurs distincts : les serveurs installés au cœur des réseaux informatiques des entreprises, et les logiciels de lectures de fichiers sonores et vidéo (avec la vente liée de "Media Player").
La stratégie de "prix prédateurs" consiste à fixer temporairement un prix inférieur aux coûts de production d'un nouvel entrant de manière à le forcer à sortir du marché. Une fois cet objectif atteint, elle peut accroître ses prix et enregistrer des profits qui feront plus que compenser les pertes enregistrées pendant la période de prédation.
Quelques exemples d’amendes liées à un abus de position dominante : en 2015, Orange a payé 350 millions d’amendes. En 2019, la Commission a infligé à Nike une amende de 12,5 millions d’euros pour avoir interdit aux vendeurs de vendre des produits dérivés sous licence, à savoir des produits dérivés de certains clubs et fédérations de football parmi les plus célèbres d’Europe, dans d’autres pays au sein de l’Espace Économique Européen. Entre 2009 et 2019, en France, 450 entreprises ont été sanctionnées pour un montant de 5 milliards d’euros !
Le contrôle des opérations de concentration est effectué par la Commission européenne. Depuis 1990 dans l'UE, les entreprises désirant s'engager dans des opérations de concentration (réunion de deux ou plusieurs entreprises entre elles) de grande envergure (par exemple, lorsque le chiffre d’affaires mondial est supérieur à cinq milliards d’euros) doivent en informer au préalable les Autorités de la concurrence qui, après examen, décident ou non de les autoriser. Chaque année environ 300 opérations de concentration sont examinées et la Commission interdit les fusions, absorptions ou prises de contrôle susceptibles de réduire fortement la concurrence (et faciliter des ententes) ou d'aboutir à un abus de position dominante. Certaines fusions sont approuvées sous certaines conditions — vendre une partie des actifs mis en commun ou céder une technologie sous licence à un autre acteur du marché, par exemple. Les cas de refus sont en réalité très rares puisque seulement 27 fusions ont été interdites entre 1990 et 2018, soit 0,3 % des cas.
Les aides étatiques sont aussi contrôlées. Le Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne interdit ce type de pratiques à moins qu’elle ne soit justifiée pour des raisons de développement économique général. Une aide est définie comme un avantage octroyé sous n’importe quelle forme (subventions, remises fiscales, garanties diverses, fourniture de biens ou de services à des conditions préférentielles) sur une base sélective à des entreprises par des autorités publiques nationales. Elle est préjudiciable lorsqu’elle fausse la concurrence et qu’elle affecte le commerce entre des Etats membres. Au-delà de cette interdiction générale, la Commission reconnaît qu’il existe des circonstances dans lesquelles les interventions des gouvernements sont nécessaires au fonctionnement d’une économie équitable. Il existe donc un certain nombre d’exemptions comme dédommager une entreprise dans la réalisation d’un service public structurellement en perte ou comme apporter des aides lors d’une catastrophe naturelle voire favoriser des régions ayant un niveau de vie anormalement bas. Cela peut être aussi de favoriser un projet d’envergure européenne. Par exemple, en 2018, la Commission a estimé qu’un projet intégré notifié conjointement par la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni en faveur de la recherche et de l’innovation dans le domaine de la microélectronique, une technologie clé générique, était conforme aux règles de l’Union en matière d’aides d’État et contribuait à la réalisation d’un intérêt européen commun. Les quatre États membres doivent financer jusqu’à hauteur de 1,75 milliard d’euros ce projet, qui vise à générer 6 milliards d’euros supplémentaires d’investissements privés.
Il existe une procédure de notification qui autorise les aides à être accordées et la Commission est en droit de demander le remboursement des aides qu’elle juge indûment perçues. Les entreprises et les consommateurs peuvent également déclencher des enquêtes en exprimant des plaintes.
Enfin, la politique de la concurrence européenne s’est attachée à transformer des monopoles publics en marchés concurrentiels. Il s’agit de distinguer dans ces monopoles ce qui relève des infrastructures qui pourraient continuer à être gérées sous forme de monopoles publics de ce qui relève des services offerts grâce à ces infrastructures qui eux devraient faire l’objet d’une concurrence devant bénéficier aux consommateurs. Ainsi, la France a transformé progressivement les monopoles publics d’utilisation d’accès à différentes infrastructures de nature publique à différentes entreprises. Ce fut le cas dans la téléphonie fixe en 1998, de l’électricité pour les gros clients (« les grands comptes ») en 1999 et en 2000 pour le gaz. Pour les particuliers, l’ouverture à la concurrence pour se fournir en gaz date de 2007. Cette ouverture a concerné aussi le transport ferroviaire, en 2005 pour les marchandises et en 2020 pour les particuliers sur les lignes TGV.
C'est aux Etats-Unis que les sanctions infligées aux dirigeants ou cadres d'entreprises ayant participé à des ententes sont les plus lourdes car contrairement à la Commission européenne, des peines de prison fermes peuvent être prononcées. Vous pouvez voir que les sanctions semblent moins lourdes dans l’UE.
Une autre critique est souvent mise en avant. Dans les ententes ou l’abus de position dominante, les Autorités de la concurrence réagissent a posteriori pour corriger un comportement répréhensible. Ainsi, jusqu’au jugement, les entreprises profitent de ces ententes ou de l’abus de position.
Au niveau international, il peut y avoir des coûts importants de recherche des informations mais aussi des décisions opposées des différentes instances de régulation de la concurrence. En 2001, par exemple, la fusion général Electric/Honeywell n’a pas abouti après un refus de la Commission européenne d’une opération pourtant approuvée par les autorités américaines. Le refus du projet de fusion entre Alstom et Siemens, par la Commission européenne en 2019, montre qu’une analyse au niveau du marché européen peut contre-carrer un projet industriel de niveau mondial : la nouvelle entité était censée créer un champion européen du ferroviaire face à la concurrence internationale, notamment chinoise, selon les gouvernements français et allemands alors que la Commission européenne a estimé que cette fusionaurait réduit de façon significative la concurrence pour le matériel roulant TGV, au préjudice des clients européens.