2. Les mécanismes fondamentaux des crises financières.

Comprendre les mécanismes fondamentaux des crises financières : la formation et l’éclatement des bulles spéculatives, le rôle des banques et les canaux de transmission à l’économie réelle.

2.1. La formation et l’éclatement des bulles spéculatives.

2.1.1. La formation des bulles spéculatives s’explique par des comportements mimétiques et des prophéties autoréalisatrices.

Les bulles spéculatives ne naissent pas de l’imagination de spéculateurs : elles ont souvent des fondements réels qui expliquent leur existence. Ces fondements réels peuvent être divers (revenus attendus de bulbes de tulipes dans les années 1630 en Hollande, les entreprises de la nouvelle économie en 2001, etc.). Ainsi, la spéculation qui précède la crise de 1929 a pour origine les bons résultats financiers des entreprises américaines (industrie automobile, etc.), le développement du secteur du bâtiment (logement), l’accroissement de la production agricole (achat à crédit de nouvelles terres). Mais lorsque l’activité se retourne du fait de l’insuffisance de la demande, la surproduction devient manifeste. Ainsi, les entreprises industrielles voient leurs bénéfices se réduire voire se transformer en perte. Les cours de la bourse commencent à baisser. Dans la crise de 2008, ce sont les activités immobilières qui ont été à la base de la formation de bulles spéculatives autour des crédits subprimes titrisés. Bien sûr, les activités des banques (distribution, titrisation et assurance) ont eu un rôle fondamental.

Une fois cette dynamique engagée, peu à peu, les comportements des agents économiques, des « investisseurs » (au sens financier d’agents économiques qui placent leur épargne) changent : l’objectif n’est plus d’obtenir des revenus de leurs placements financiers mais de viser une revente du titre financier en question en pariant sur la poursuite de la hausse de sa valeur. Par exemple, les placements par des achats d’actions d’entreprises dans les nouvelles technologies à la fin des années 1990 et au début des années 2000, ont de plus en plus visé la revente de ces actions au bon moment que la perception d’éventuels dividendes (c’est-à-dire revenus perçus par les propriétaires d’actions, c’est-à-dire les actionnaires). La hausse du cours de ces actions a fini par attirer de nouveaux investisseurs : la hausse des cours s’engendre ainsi elle-même. La hausse des cours n’est pas considérée comme un placement de plus en plus coûteux pour les « investisseurs » mais comme un placement qui pourra rapporter des plus-values, des gains donc, de plus en plus importantes. La croyance dans la réussite de ces entreprises pousse à des achats d’actions qui font augmenter le cours des actions qui sont interprétées comme le signe d’une future réussite économique qui incite à de nouveaux achats d’action : on a ici l’illustration de l’existence dans la réalité économique de ce que les économistes appellent des prophéties autoréalisatrices. Les croyances (dans la réussite des entreprises ou dans la hausse du cours des actions) vont engendrer un comportement (les achats d’action) dont les effets (la hausse des cours) confirment les croyances initiales (en la hausse des actions ou en la réussite des entreprises).

De plus, ces prophéties autoréalisatrices sont amplifiées par le fait que les achats des « investisseurs » incitent à l’achat d’autres investisseurs indépendamment de la hausse des cours des actions. On parle de comportements mimétiques : la plupart des investisseurs ont tendance à se conformer à la norme de placement en cours. Ils peuvent aussi se dire que ceux qui achètent ces actions possèdent des informations spécifiques qui leur font croire à la hausse future des actions. À la limite, certains « investisseurs » peuvent même ne pas croire à la bonne santé financière future des entreprises de la nouvelle technologie … mais il suffit qu’ils pensent que les autres « investisseurs » en sont persuadés pour que le cours des actions monte et que leur placement soit rentable ! Entre comportements mimétiques et prophéties autoréalisatrices, le fonctionnement du marché ne peut pas allouer efficacement des ressources : le cours des actions peu à peu s’écarte de la valeur réelle des entreprises et incite à placer l’épargne dans des entreprises peu rentables.

2.1.2. Le retournement des anticipations, les prophéties autoréalisatrices « inversées » et l’approfondissement de la crise financière

Bien sûr, de plus en plus d’ « investisseurs » se rendent compte que le cours des actions ne correspond plus à la rentabilité présente voire future des entreprises : un doute s’installe sur la poursuite de la montée des cours. Certains « investisseurs » commencent à ralentir leurs achats d’actions et/ou à vendre de plus en plus d’actions. Sur le marché, l’offre d’actions devient de plus en plus importante face à une demande de moins en moins importante. Le cours des actions a donc tendance à se stabiliser puis à baisser : par cette évolution des cours et par le processus des comportements mimétiques, de plus en plus de détenteurs d’actions se mettent à les revendre. Les comportements des « investisseurs » comme lors d’une hausse deviennent autoréalisateurs : la baisse du cours se poursuit voire s’amplifie. C’est ce qui s’est passé, nous l’avons lors de la crise de 1929 : le début de la baisse des cours a entraîné un mouvement de panique. Tous les possesseurs d’actions ont voulu par mimétisme vendre les actions qu’ils détenaient avant qu’elles ne perdent de leur valeur. La baisse s’est ainsi transformée en un effondrement brutal lors du « jeudi noir » et s’est poursuivie jusqu’à un minimum en 1932. En 2001, dès lors que les « investisseurs » se sont rendus compte que peu d’entreprises dans les nouvelles technologies parvenaient à faire des bénéfices, les anticipations se sont retournées et les ventes d’action ont augmenté, induisant une forte baisse des cours sur le NASDAQ (bourses des valeurs de haute technologie). Lors la crise financière de 2007-2008, c’est la fuite vis-à-vis des produits titrisés qui a été brutale jusqu’au moment où il n’y avait plus aucune demande pour ces titres : le marché a disparu ! Les produits ne pouvaient plus être cotés : les banques et autres institutions financières détenaient donc des titres qui n’avaient plus aucune valeur d’où leurs difficultés financières aboutissant à un assèchement quasi-total du marché interbancaire, les banques ne se faisant plus confiance.

2.2. Les banques, le maillon faible des grandes crises financières ?

2.2.1. Les banques financent des activités risquées et peuvent connaître des risques d’illiquidité et de solvabilité.

Dans une crise financière de grande ampleur, le rôle des banques semble extrêmement important. Ce sont elles qui financent les activités économiques et prennent des risques. Elles ont, en outre, pour fonction d’opérer les règlements des échanges des différents agents économiques : elles s’occupent des comptes-courants et des comptes d’épargne de leurs clients. Un système bancaire perturbé fragilise les possibilités d’échanges et les capacités de financement de l’économie.

Reprenons les différentes sources de fragilité des banques que nous avons évoquées par-ci, par-là dans ce chapitre. Tout d’abord, elles réalisent ce que les économistes appellent le processus de transformation : elles transforment des ressources (le passif) à court terme provenant des dépôts de leurs clients en emplois (l’actif) sous forme de crédits à moyen ou long terme. Elles connaissent donc un risque d’illiquidité si leurs clients souhaitent retirer plus d’argent que d’habitude. Ensuite, les banques font évidemment face aussi à un risque d’insolvabilité si leurs clients ne peuvent rembourser leurs crédits. Enfin, récemment, nous l’avons vu, les banques ont eu de plus en plus recours aux marchés financiers pour obtenir des ressources et ont de plus en plus placé leurs ressources sur les marchés financiers y compris dans des produits risqués mais très rémunérateurs. Dès lors il y a une incertitude à la fois sur leur possibilité d’obtenir des ressources et sur la valeur et la qualité de leurs placements.

2.2.2. La fragilité des banques engendre des difficultés de refinancement voire des paniques bancaires (bank run) pouvant se traduire par des faillites en chaîne.

Les banques ayant par nature des activités risquées (qu’elles ont eu tendance à amplifier par le recours aux marchés financiers), elles peuvent connaître facilement des difficultés de refinancement risquant d’aboutir à des faillites. Étant liées entre elles par des relations de prêts et d’emprunts, des faillites en chaîne sont susceptibles de se produire, l’impossibilité de rembourser de l’une se traduisant par des pertes pour d’autres.

Durant la crise de 1929 aux États-Unis, les difficultés des banques ont été dues d’une part aux prêts aux agents de change et d’autre part aux prêts aux entreprises agricoles notamment. Les difficultés de remboursement des agents de change (du fait, on l’a vu des difficultés de leurs clients qui spéculaient en bourse) et des agriculteurs ont induit des faillites bancaires. Le nombre de banques a été divisé par plus de 2 : il existait environ 29 000 banques en 1929 ; il n’en restait plus que 12 000 en 1932 !

La crise financières de 2007-2008 est liée directement aux risques pris par les banques en augmentant leur dépendance vis-à-vis des marchés financiers aussi bien du côté de leur financement que de leur placements (produits titrisés). L’incertitude des banques sur les propres risques qu’elles portaient et sur les risques que portaient les autres banques s’est traduite par l’impossibilité d’emprunter sur le marché interbancaire. Face à cela, il y eut des bank run « ancienne façon » ou « à l’ancienne » (les clients retirent leurs liquidités des banques dans lesquelles ils n’ont plus confiance : c’est ce qui est arrivé à Northern Rock) mais aussi des bank run « modernes » ou « nouvelle façon » si l’on peut dire : le refus des différentes institutions financières de prêter des liquidités aux banques. Le problème de liquidité ayant été à son paroxysme à partir de 2007, les Banques centrales ont tout fait pour éviter les faillites en chaîne des banques que l’on avait connues aux États-Unis dans les années 1930. Elles ont offert de manière quasi-illimitée des liquidités aux banques à très court terme et même à court terme voire à moyen terme ce qui a limité les faillites bancaires par rapport à celles connues dans les années 1930. Aux États-Unis, il y eut ainsi 28 faillites bancaires en 2007 et 2008, alors qu’il n’y en avait pas eu les deux années précédentes.

2.3. De la crise financière à la crise économique : les canaux de transmission à l’économie réelle.

2.3.1. Le canal du crédit : les difficultés des banques engendrent une baisse du crédit.

Bien évidemment, la faillite de banques réduit les capacités de prêt du système bancaire. C’est évidemment surtout vrai lors de la crise de 1929 durant laquelle, nous venons de le voir, le nombre de banques a beaucoup diminué. Cependant, très souvent, la faillite de ces banques se traduit par leur rachat (ou leur nationalisation temporaire). Ce ne sont donc pas exclusivement les faillites bancaires, mais plutôt les difficultés financières de l’ensemble des banques, problèmes de liquidité voire de solvabilité, qui nuisent à leur activité et au financement de l’économie. Face à ces difficultés, les banques vont accorder moins de crédits par simple prudence, pour éviter des défauts de remboursement et maintenir ou augmenter leur rentabilité et leur solvabilité. De plus, notamment durant la crise financière de 2007-2008, leurs difficultés de refinancement pour obtenir des liquidités réduisent leur capacité à accorder des crédits : c’est donc aussi pour cette raison qu’elles renoncent à accorder de nouveaux crédits.

La baisse des crédits accordés aux ménages et aux entreprises diminue la demande globale, c’est-à-dire les dépenses de consommation et d’investissement, ce qui réduit la production de biens et services de consommation (automobile par exemple) et la production de biens de production (logements, machines, etc.). Le PIB baisse comme lors de ces deux grandes crises financières de même que l’emploi ce qui fait, bien sûr, augmenter le chômage.

2.3.2. Le canal de la dépréciation des actifs : les effets de richesse touchant les ménages.

Il existe un autre canal par lequel une crise financière peut engendrer une crise économique et une hausse du chômage, le canal de la dépréciation des actifs. En effet, directement lors de la crise de 1929 et, plus ou moins directement lors de celle de 2007-2008, la bourse et l’immobilier ont connu des difficultés : le prix de l’immobilier a baissé ainsi que le cours des actions. Les ménages qui détenaient des actions ou possédaient des logements ont vu leur patrimoine se réduire : leur richesse s’est réduite de 2006 jusqu’au premier trimestre T1 de 2009. Lors de la crise financière récente, cette perte de richesse a surtout concerné les ménages américains, anglais mais aussi espagnols. Vous voyez dans le graphique suivant l’ampleur de la baisse de la valeur du patrimoine immobilier des ménages américains, environ 4 000 milliards de dollars ! La baisse a été de même ampleur concernant la valeur des actions détenues.

Graphique : Évolution du patrimoine des ménages américains entre 2004 et 2008.

Graphique : patrimoine des ménages Américains

Note : encours (en milliards de dollars) à l’actif du secteur « Ménages et organisations sans but lucratif »

Source : P. Artus, J-P. Betbèze, C. de Boissieu et G. Capelle-Blancard, De la crise de subprimes à la crise mondiale, La documentation Française, 2009, p 77.

De nombreux ménages américains et anglais ont ainsi perdu leur capacité à s’endetter à nouveau : les prêts accordés dépendaient dans ces deux pays du patrimoine détenu (comme une sorte de garantie pour les banques). La baisse de la richesse des ménages a réduit ainsi leur capacité de consommation engendrant une baisse de la demande. Indépendamment de cette moindre capacité d’emprunt, on peut penser que la chute de la valeur du patrimoine n’incite pas, de toute façon, les ménages à consommer. La baisse de la consommation réduit les perspectives de ventes des entreprises ce qui entraîne une baisse de la production et de l’investissement. L’effet de richesse peut donc avoir un impact extrêmement négatif sur la croissance économique et l’emploi comme dans les trois pays cités durant la crise financière de 2007-2008.

2.3.3. Le canal de la dépréciation des actifs : les ventes forcées et la baisse des cours.

a baisse du prix de l’immobilier et du cours des actions peut toucher aussi les entreprises financières (comme les banques ou les compagnies d’assurance) et non financières. Les entreprises qui possédaient des actions ou des produits titrisés pour faire fructifier leur trésorerie par exemple ont vu leur patrimoine perdre de la valeur. Pour éviter ces pertes, les entreprises ont essayé de vendre rapidement ces titres, ce qui fait baisser encore plus leur cours : le phénomène devient cumulatif comme nous l’avons déjà vu. Or, la baisse cumulative des cours de la bourse fragilise encore plus les entreprises dont la richesse et la valeur baisse. Il devient par conséquent de plus en plus difficile pour elles de se financer sur les marchés financiers. Il en découle une réduction de leurs investissements et finalement de la croissance et de l’emploi.

Concernant les banques et les autres institutions financières, les titres qu’elles possèdent leur serve de collatéral, c’est-à-dire de garantie, pour obtenir des liquidités ou des financements à plus long terme. Or, si ces titres perdent de leur valeur, les banques verront l’accès à des ressources financières supplémentaires devenir plus coûteux (car il leur faudra fournir plus de garanties, donc plus de titres). Elles ne pourront donc financer leur activité de prêt. De plus, dans l’obligation de trouver des liquidités, elles se verront contraintes de vendre certains actifs qu’elles possèdent : elles obtiendront des liquidités par ces ventes mais ces ventes contribueront à faire baisser la valeur de ces actifs (actions, titres divers). Pour vendre ces actifs, elles devront accepter des moins-values (c’est-à-dire des pertes) importantes. On parle de ventes forcées. Si, grâce à ces ventes forcées, les banques voient le risque d’illiquidité s’éloigner, c’est pour voir augmenter le risque d’insolvabilité car elles réalisent des pertes sur ces ventes d’actifs. Leurs difficultés financières nuiront à leurs activité de distribution de crédits avec toujours les mêmes conséquences sur l’économie réelle : baisse de la demande globale, de la production et de l’emploi.