ATTENTION :
Dans une société démocratique, l'école apparaît comme le moyen de permettre à tous l'accès à tous les statuts sociaux dans la mesure où les diplômes qu'elles confèrent sont ouverts à tous et ne sont pas décernés selon l'origine sociale. Seuls les résultats aux examens et concours, c'est-à-dire les mérites de chacun, permettent de les obtenir. Or les diplômes jouent un rôle majeur, en particulier en France, dans l'attribution des statuts sociaux. Mais, l'école est-elle le lieu de l'égalité des chances, comme on le souhaiterait ? Ou bien reproduit-elle les inégalités en transmettant les compétences et surtout les diplômes à ceux qui sont issus de familles favorisées ? Plusieurs points de vue s'affrontent, ou se complètent.
L'école traite tous les enfants également, mais les enfants sont différents selon leur origine sociale. Et la culture qui est transmise et réclamée à l'école se rapproche beaucoup de la culture transmise par les milieux favorisés à leurs enfants. Par exemple, dans les milieux défavorisés, les loisirs au sein de la famille sont souvent uniquement ludiques tandis que dans les milieux favorisés les jeux sont plus souvent éducatifs, les activités dans les milieux défavorisés sont plus souvent manuelles que dans les milieux favorisés dans les quels la lecture prend relativement plus de place. Résultat : ces enfants vont retrouver dans les exercices proposés les mêmes exigences ou les mêmes contenus que ce que l'on exige au sein de leur famille. Ils vont donc plus facilement, plus " naturellement " peut-on presque dire, réussir à l'école. Finalement, la réussite scolaire va surtout récompenser les enfants qui ont une sorte d'avance avant même de commencer.
Ni la société ni l'école ne veulent voir que les enfants n'ont pas, à l'origine, les mêmes chances de réussite scolaire. Ce faisant, on entretient l'illusion que les diplômes sont obtenus seulement en raison du mérite personnel des élèves. Ainsi, les inégalités au sortir de l'école deviennent plus acceptables, plus légitimes, parce que l'école a occulté le fait qu'elles sont pour une bonne partie l'héritage du milieu social.
Finalement, pour Bourdieu, les inégalités de réussite scolaire sont pour l'essentiel le résultat de l'inégale dotation en capital culturel et en capital économique des enfants, et de l'incapacité de l'école à les corriger. Ainsi serait expliqué le rôle de l'école dans l'importance de la reproduction sociale.
Cette thèse est défendue plutôt par le courant de l'individualisme méthodologique dont Raymond Boudon est le représentant le plus connu dans le domaine de la sociologie de l'éducation. Il étudie dans le cadre de la démocratisation de l’école qui est un fait, les comportements individuels des acteurs à travers leur parcours, leurs stratégies d’orientation, de durée des études…
Son hypothèse d’étude : le développement scolaire compense l’effet de l’origine sociale puisque tous les élèves apprennent dans le même milieu scolaire avec les mêmes règles, les mêmes programmes, les mêmes diplômes…Dans ce cadre, l’égalité des chances et la mobilité sociale doivent apparaître renforcées. Or cette hypothèse n’est pas vérifiée par l’observation.
Sans nier les inégalités de départ, Boudon montre que les familles peuvent avoir des stratégies qui expliquent les différences d'orientation et de réussite scolaire : par exemple, une famille ouvrière peut " se contenter " de souhaiter pour ses enfants des études à bac+2 dans la mesure où le diplôme obtenu, supérieur à celui obtenu par les parents, permettra à l'enfant de monter dans l'échelle sociale, sans que les sacrifices financiers faits pour la poursuite des études (une sorte d'investissement) ne soient trop lourds pour la famille. Il y a donc une sorte de calcul coût/avantage qui permet de conclure que ce niveau de diplôme est satisfaisant et suffisant. N'oublions non plus le coût d'opportunité de la poursuite d'étude particulièrement important : le renoncement à des revenus qui proviendraient du travail professionnel réalisé à la place des études. Si leur comportement est rationnel, ce doit être un élément important dans leur prise de décision.
A l'autre bout de la chaîne, les parents des classes aisées vont mener une stratégie de même type, censée faire progresser leurs enfants le plus loin possible dans la hiérarchie sociale. Mais comme le niveau social des parents est déjà élevés, il ne se satisferont pas, comme dans la famille précédente, d'un diplôme de niveau bac+2, mais bac+5 et plus. De même, ils pousseront leurs enfants dans les cursus les plus sélectifs, sachant bien que tous les diplômes de haut niveau ne permettent pas d'accéder aux meilleurs emplois et qu'il faut donc encore bien choisir la filière et le type de formation. Ainsi, il peut y avoir de la part des parents une stratégie résidentielle : dans quel quartier habiter pour que mes enfants aillent dans tel lycée réputé ? Il y a aussi une stratégie dans le choix des langues vivantes et des options, l'objectif étant que l'enfant soit dans une " bonne " classe, etc… Ces stratégies, différentes selon les familles parce que les intérêts ne sont pas les mêmes, débouchent sur des résultats scolaires différents. Pour Boudon, les acteurs (familles, élèves, enseignants) ont la possibilité de mener des stratégies personnelles, qui expliquent en partie les inégalités. Ces stratégies sont, bien sûr, facilitées par les capacités financières de ces familles qui peuvent financer de longues années d'études.
En conclusion, Boudon relativise le rôle de l’école puisque le comportement des acteurs dans l’investissement scolaire est fonction de leur origine sociale, facteur qui reste extérieur à l’école. Ainsi la massification de l’école peut ne pas conduire à une plus forte mobilité sociale : l’égalité des chances n’est qu’imparfaite et l’itinéraire des individus n’est que partiellement dépendant du niveau scolaire.