ATTENTION :
Le travail est au cœur de la vie des individus dès lors qu’ils sortent du système scolaire. Mais comment cette intégration dans le monde du travail se fait-elle ? Elle se réalise concrètement, vous le savez, au sein d’organisations, entreprises ou administrations le plus souvent. Mais bien sûr, l’arrivée dans ces organisations nécessite, au préalable, une recherche d’emplois qui se fait sur ce que les économistes et les sociologues appellent le marché du travail. L’objet de ce chapitre est notamment de montrer comment marché et organisations peuvent s’articuler.
De plus, vous l’avez vu aussi dans différents chapitres précédents, le travail donne un statut social, peut être aussi à l’origine d’inégalités économiques voire de conflits sociaux. Le travail n’est donc pas seulement une relation individuelle et ponctuelle entre un employeur et le salarié sur un marché du travail : il a une dimension collective. Et pour toutes ces raisons, la relation salariale est fortement encadrée par des accords collectifs entre partenaires sociaux et par des réglementations d’origine étatique.
L’industrialisation et de la tertiairisation des emplois depuis, au moins le XIXème siècle, a entraîné le développement du salariat. Pour effectuer son travail, un travailleur doit donc se lier à un employeur et leur rencontre se fait sur le marché du travail.
Le salariat est devenue la forme dominante du travail, au détriment du travail indépendant ce qui implique que la relation du travail peut être analysée comme une relation marchande sur un marché du travail.
Lorsqu'au XIXème siècle, la société était une société paysanne, le travail de la terre et dans les villes était essentiellement indépendant : la plupart des individus travaillaient à leur compte. Du point de vue du statut juridique, ils étaient donc «indépendants». Avec l’industrialisation, le salariat est une forme de travail qui s’est développée. Le salariat, vous le savez, consiste pour un individu de travailler pour le compte d’un employeur (une entreprise bien sûr mais aussi une administration). En contrepartie évidemment, le salarié perçoit une rémunération, un salaire. Les obligations du salarié et de l’employeur sont déterminées par un contrat de travail (voir le lexique dans les notions).
Le statut de salarié a longtemps été dévalorisé car il impliquait une dépendance du salarié vis-à-vis de son employeur. A l’inverse, être indépendant était valorisé: l’individu était libre et sans aucune dépendance vis-à-vis de qui que ce soit.Aujourd’hui, le statut de salarié n’est plus du tout dévalorisé notamment parce qu’il est source de droits spécifiques qui libèrent l’individu d’une grande partie des effets néfastes des risques sociaux qu’il peut connaître si son employeur le licencie (mais aussi en cas de vieillesse, de problèmes de santé etc. comme vous l’avez vu dans le chapitre précédent). Aussi le statut de salarié est devenu le statut juridique le plus courant pour occuper un emploi. Ainsi, en France, et notamment depuis la seconde guerre mondiale, la proportion de salariés dans l’ensemble de l’emploi augmente considérablement pour passer de 65 % en 1954 de à 91 % environ aujourd’hui.Par conséquent, trouver un emploi signifie aujourd’hui trouver un employeur qui offre cet emploi. On peut ainsi analyser sous l’angle économique cette situation entre un individu qui offre son travail et un employeur qui le demande: c’est ce que font les économistes néoclassiques comme vous allez le voir dans la section suivante en utilisant la notion de marché.
Raisonnons d’abord au niveau de l’individu et supposons que cet individu puisse offrir un nombre d’heures de travail : ce sont les quantités offertes de travail par les travailleurs potentiels. Il va offrir ces heures de travail à des employeurs qui ont besoin d’heures de travail : c’est la quantité de travail demandée. Les économistes néoclassiques pensent que le nombre d’heures de travail offertes dépend du salaire horaire réel, c’est-à-dire du salaire en monnaie constante par heure de travail et que les quantités d’heures demandées dépendent aussi du salaire horaire réel. Comme sur tout marché, l’offre est croissante avec le prix (ici le salaire réel) et la demande décroissante avec le prix, il y a un point d’équilibre qui se forme pour un salaire réel donné, le salaire d’équilibre : le nombre d’heures demandées égale le nombre d’heures offertes : offreur comme demandeurs sont satisfaits. Au niveau global, le raisonnement est le même: à la place des heures de travail, on peut prendre le nombre de travailleurs comme quantité de travail. Là aussi, on peut supposer que plus les salaires réels seront élevés plus il y aura des personnes qui voudront travailler (l’offre de travail sera plus élevée) et moins il y aura d’employeurs qui voudront embaucher des personnes (la demande de travail sera plus faible). Là encore, un équilibre se formera sur le marché du travail, où, pour le salaire réel d’équilibre, offreurs et demandeurs seront satisfaits. Evidemment, pour cela il faut que le marché du travail fonctionne correctement et de façon concurrentielle. Il faut notamment que le salaire réel puisse varier en hausse comme en baisse pour pouvoir atteindre le point d’équilibre et que la concurrence entre offreur comme entre demandeurs se fasse sur le salaire. Si le salaire réel est trop élevé, l’offre sera trop grande par rapport à la demande: les offreurs se feront concurrence en acceptant des salaires réels plus faibles. Le nombre d’offreurs baissera tandis que la quantité de travail demandée augmentera jusqu’à l’équilibre. D’autres conditions sont, en fait, nécessaires: l’information doit être parfaite concernant les salaires réels. Il faut aussi pour que la concurrence se base sur les salaires que le travail offert et demandé soit le même (hypothèse que vous connaissez peut-être sous le nom d’homogénéité du produit ici le travail à réaliser).
On peut préciser les facteurs qui poussent les individus à offrir du travail. Raisonnons, en premier lieu, au niveau individuel. Evidemment, si le salaire réel augmente, travailler plus d’heures permet d’accroître son pouvoir d’achat, ses achats et d’améliorer son bien-être. Toutefois, il le fera tant que le bien-être apporté par ces achats supplémentaires restera supérieur à la désutilité du travail, comme disent les économistes néoclassiques, … puisque, vous le savez, le travail est fatiguant et empêche d’avoir du temps libre (des «loisirs» dans le vocabulaire des économistes). On peut penser que plus le salaire réel est élevé, moins le temps libre est intéressant car son coût d’opportunité est élevé (une heure de temps libre empêche de gagner pas mal d’argent!) : l’offre de travail augmente donc avec le salaire réel. Mais, n’y a-t-il pas un niveau de salaire à partir duquel les gains liés aux heures de travail supplémentaires ne compensent plus l’absence ou la faiblesse du temps libre ? N’est-il pas logique de prendre du temps pour dépenser tout cet argent gagné et de moins travailler ? C’est pour cela que, souvent, les économistes estiment que pour les hauts salaires, l’offre de travail n’est plus croissante avec le salaire (ils veulent plus de temps libre que d’argent) … alors que pour des bas salaires elle est évidemment croissante. Que peut-on dire au niveau macroéconomique ? Il est couramment admis que la hausse des salaires réels a pour effet d’augmenter la population active: des personnes en dehors du marché du travail peuvent trouver intéressant d’y participer. C’est ce que les économistes appellent la flexion du taux d’activité. Ils constatent une hausse du taux d’activité lorsque les salaires augmentent.
La demande de travail de la part des employeurs dépend aussi du salaire réel: à un salaire réel élevé correspond bien sûr une demande de travail faible. En effet, dans ce cas, pour produire la même quantité, il vaut mieux utiliser d’autres facteurs de production comme des machines. Cela suppose bien sûr que les entreprises utilisent travailleurs ou machines, les substituer les uns aux autres se faisant sans difficultés techniques. Bien sûr, pour mieux tenir compte de la réalité des coûts du travail, il faudrait ajouter les cotisations sociales et les coûts spécifiques liés à l’embauche et au licenciement. Quoi qu’il en soit le raisonnement est le même. Mais bien sûr, si le travail coûte aux employeurs, ce travail leur rapporte : les entreprises comparent donc le coût d’une heure de travail avec la production réalisée durant cette même heure, c’est-à-dire la productivité horaire du travail. C’est ainsi qu’il peut très bien exister une forte demande de travail dans les pays à hauts coûts salariaux si la productivité elle-même est forte. C’est pour cela aussi que l’on peut comprendre que les salariés qualifiés ont des salaires plus élevés que les salariés peu qualifiés : ce salaire rémunère une productivité plus élevée. Attention donc: n’oubliez pas que lorsque vous construisez des courbes de demande de travail, c’est avec des hypothèses notamment celle-ci : la productivité du travail ne change pas avec le salaire (et donc la demande baisse avec la hausse des salaires réels). Par contre, bien sûr, on peut supposer que la productivité du travail augmente indépendammentdes salaires : dans ce cas-là, la demande de travail augmente: la courbe se déplace vers la droite et le salaire réel d’équilibre augmente !
Ce que l’on vient de voir de la relation de travail signifie que le travail pourrait être considéré comme un service comme un autre qui s’échange sur un marché en fonction de son prix. Or, la relation de travail entre l’offreur (le salarié) et le demandeur (l’employeur) est particulière sur plusieurs points. Ne retenons pour l’instant que l’idée que cette relation est durable entre eux et se forme à l’intérieur d’une organisation (une entreprise le plus souvent) et que la prestation de travail n’est pas la contrepartie immédiate du paiement. Il y a donc une incertitude sur ce que le travailleur peut apporter à l’employeur ; en termes théoriques, les économistes parlent d’asymétrie d’information, pour reprendre une notion vue en première : l’employeur ignore la qualité du travail qui sera réalisé. Une chose que l’employeur peut faire est de verser des salaires plus élevés que ce qu’il pourrait eu égard au fonctionnement du marché (en théorie donc plus élevés que le salaire d’équilibre) : ainsi, les salariés seront incités à travailler de manière efficace. Une régulation autre que celle du marché s’affirme donc pour fixer le salaire. C’est la théorie du salaire d’efficience. Il s’agit, il faut bien le comprendre, d’un changement fondamental par rapport à ce que nous avons vu : ici c’est le salaire qui détermine la productivité (au sein des organisations) alors que dans le cas d’un marché parfaitement concurrentiel, c’est le salaire qui s’adapte à la productivité ! et le salaire n’est pas vraiment fixé par le marché mais par l’employeur !
Les économistes distinguent quatre raisons précises qui peuvent pousser les employeurs à fixer des salaires plus élevés que ce qu’ils pourraient :
- au moment de l’embauche, fixer des salaires plus élevés peut inciter les travailleurs les plus efficaces à postuler pour la place. Pensez au cas inverse pour bien comprendre l’idée : en fixant les salaires à un niveau trop bas, seuls les moins efficaces seront tentés de se présenter.
- au cours du travail, verser des salaires plus élevés peut éviter la rotation de la main d’œuvre : c’est un élément de fidélisation de la main d’œuvre qui connaît l’entreprise et est adaptée au poste de travail. C’est un facteur de maintien de la productivité. Là encore, imaginez le cas inverse : la main d’œuvre quitte l’entreprise, les nouveaux arrivants doivent être formés pour pouvoir être efficace : c’est plus coûteux et moins productif.
- toujours au cours de la relation de travail, on retrouve le caractère incitatif à l’effort et à la productivité favorisé par des salaires plus hauts.
- enfin, on peut aussi estimer que des salaires élevés marquent la considération de l’employeur vis-à-vis des salariés et son goût pour la justice et l’équité ; dès lors, on peut penser que les salariés répondront à cela par une implication plus grande dans l’entreprise et une meilleure efficacité.
Vous voyez donc que le salaire n’est pas déterminé, selon ces hypothèses, par le marché mais par des considérations liées au bon fonctionnement de l’organisation.
Le salaire fixé ainsi par les employeurs sera donc plus élevé que le salaire d’équilibre. Dès lors, on peut penser que la demande de travail est inférieure à la demande de travail pour un salaire d’équilibre et l’offre de travail supérieure: il existe donc une situation de chômage qui est involontaire puisqu’il est lié au comportement rationnel des employeurs (et non des travailleurs) qui fixent des salaires trop élevés. C’est en ce sens que ces analyses s’éloignent des analyses néoclassiques et se rapprochent des analyses keynésiennes (voir chapitre suivant).
Si, au XIXème siècle, les salariés étaient très fréquemment, vous le savez, des ouvriers, aujourd’hui le monde des salariés s’est fortement diversifié: les employés de bureau comme de commerce ont pris une place non négligeable dans le salariat de même que les techniciens ou les ingénieurs. Bref, raisonner sur un marché du travail peut sembler peu pertinent y compris en fait au sein d’un même groupe social comme les ouvriers. Du point de vue théorique, c’est la supposition de l’homogénéité du travail qui peut être repoussée. Dès lors comment analyser cette situation d’hétérogénéité du travail, du point de vue économique ?
Une première explication insiste sur le rôle des individus qui investissent plus ou moins dans l’acquisition d’une qualification (qui améliore leur capital humain) leur permettant d’obtenir plus tard un salaire plus élevé qui rémunère une productivité plus élevée. Evidemment tous les individus ne font pas les mêmes calculs et différents marchés du travail existent donc qui déterminent des niveaux d’emplois et des salaires différents. Dans ces cas, le rôle du marché reste présent. Une deuxième explication (théorie de la segmentation) met en évidence des caractéristiques des travailleurs qui vont les conduire à appartenir soit à un marché du travail offrant de nombreux avantages (salaire, stabilité de l’emploi, promotions, etc.), le marché primaire, soit à un autre marché du travail, le marché secondaire n’offrant que des emplois instables, peu rémunérés, avec de mauvaises conditions de travail. Les travailleurs sur le marché primaire sont, en général, les mieux intégrés (hommes, nationaux, âgés, etc.) alors que sur le marché secondaire se concentrent les femmes, les étrangers, les jeunes. Sur ce marché secondaire cependant, l’affectation des emplois et les variations de salaire se feraient de manière concurrentielle alors que sur le marché primaire, elles seraient plus liées à une organisation interne de l’entreprise et/ou à des négociations collectives. C’est ce que nous allons étudier maintenant plus en détail.