ATTENTION :
ce cours correspond au programme de 2013, il n'est pas conforme au programme de terminale de SES en vigueur depuis 2019.
Au XIXème siècle, en France, le salaire, les embauches et les licenciements n’étaient pas encadrés et laissés donc aux libres forces du marché: cela se faisait souvent au détriment des salariés qui étaient en situation de concurrence pour obtenir un emploi. Progressivement le contrat de travail est devenu de plus en plus protecteur du fait de droits qui lui furent attachés. En effet, les syndicats de salariés, par leur lutte, ont pu obtenir des pouvoirs publics des droits protecteurs que doit respecter tout contrat de travail : limitation de la durée du travail, réglementation des embauches et des licenciements, salaire minimum et obligation de négociations entre partenaires sociaux sur les salaires, inclusion dans le coût du travail des cotisations ayant pour fonction de protéger le salarié contre des risques sociaux (voir le chapitre précédent), etc. Pour ce qui concerne le niveau des salaires, vous le savez, il existe en France un salaire minimum (salaire minimum créé pour la première en Angleterre en 1909) depuis 1950 mais ce n’est pas toujours le cas dans d’autres pays. Quand c’est le cas, selon les pays, il peut être fixé par l’Etat sur une base horaire (c’est le cas en France), journalière etc. ou alors il peut être négocié par branche entre partenaire sociaux. Son effet sur la situation des salariés dépend bien sûr de son niveau plutôt faible aux Etats-Unis et plutôt élevé en France par exemple. Quoi qu’il en soit, le marché du travail est devenu de plus en plus encadré par des règles limitant le rôle du marché dans la fixation des salaires et du nombre d’emploi … au moins jusqu’à la fin des trente glorieuses.
Ne considérons que le SMIC parce que l’on peut penser que les variations du SMIC influencent de proche les autres salaires. Si depuis la fin des années 60, et notamment après 1968 en France, les syndicats de salariés ont obtenu une revalorisation du SMIC. On peut penser ici que le poids des syndicats a été déterminant dans cette évolution. Toutefois, cela se produisait dans une période de forte croissance et de chômage très faible et donc les forces du marché favorisaient aussi cette évolution: la demande de travail était forte et poussait à la hausse des salaires. Autre période importante et bien connue: celle qui suit la politique de rigueur au milieu des années 80. Le SMIC perd de sa valeur par rapport au salaire moyen … de même que le poids des syndicats il est vrai. Mais là encore, l’importance du chômage notamment des peu qualifiés fait que les forces du marché poussaient à la baisse relative du SMIC. On peut dès lors se douter du pouvoir des syndicats et de l’Etat dans la fixation du salaire minimum notamment depuis le milieu des années 80. Ont-ils pu réellement faire autre chose qu’accompagner avec plus ou de retard les pressions exercées par la situation du marché du travail ? Le caractère généralement conflictuel des relations professionnelles en France inciterait plutôt à répondre par la positive à cette question de même que le rôle supposé par les pouvoirs publics du coût du travail dans l’importance du chômage.
Quoi qu’il en soit, durant cette période des 30 glorieuses, la fixation des salaires était donc encadrée par l’Etat et les négociations collectives qui, bien sûr, portaient sur l’ensemble des salaires; concrètement, l’organisation du travail dans les entreprises créait une hiérarchie des emplois et des postes de travail assez rigide qui déterminait une fixation des salaires en fonction de la qualification. Tout cela était décidé par l’employeur mais après négociation avec les syndicats de salariés dont l’intervention était considérée comme légitime. Cela a abouti à des salaires qui pouvaient augmenter relativement fortement dès lors qu’il y avait une forte augmentation de la productivité: vous le savez, c’est ce qui s’est produit durant cette période. Les économistes de la régulation ont appelé cette situation le compromis fordiste. En effet, ces augmentations ont été acceptées par les employeurs parce qu’ils pouvaient les financer grâce aux gains de productivité réalisés qui réduisaient les coûts salariaux unitaires. Ces mécanismes, qui jouèrent dans l’automobile notamment, se sont diffusés dans l’ensemble de l’économie aboutissant à un cercle vertueux au niveau macroéconomique: en effet, la hausse des salaires permettait l’augmentation de la demande qui était satisfaite par la hausse de l’emploi et de la productivité. Vous voyez donc comment la hausse des salaires a favorisé la hausse du nombre d’emplois. Toutefois, cela ne fut possible que grâce aux forts gains de productivité.
Depuis la fin des trente glorieuses, le ralentissement des gains de productivité empêche cette coopération favorable aux entreprises et aux salariés de se maintenir. Les salaires, cependant, continuent à augmenter ce qui accroit le coût du travail et diminue la rentabilité des entreprises; pour la maintenir, ces dernières réduisent l’emploi et augmentent leur prix de vente: le problème de rentabilité de l’offre se double d’une faiblesse de la demande. Le cercle vertueux s’est brisé. Du point de vue théorique, pour les économistes néo-classiques, cette fin était prévisible. Le pouvoir des syndicats de salariés, voire de l’Etat, a eu un impact négatif sur le fonctionnement du marché du travail. Pour être plus précis, selon eux, l’augmentation du salaire minimum et des cotisations sociales ont accru le coût salarial unitaire : cela a diminué la demande de travail, ou empêché son augmentation, ce qui a créé du chômage ou l’a maintenu à un niveau élevé. Et, en effet, dans les années 70, le taux de chômage augmente fortement en France. Concrètement, cette façon de considérer le SMIC et le coût du travail comme des causes d’un chômage élevé des moins qualifiés (plus que comme un instrument de réduction des inégalités) est devenue peu à peu dominante. Par conséquent, l’Etat a moins revalorisé le SMIC (vous avez vu la coupure de 1984) et a réduit peu à peu les cotisations sociales ; il a aussi favorisé le développement d’emplois faiblement rémunérés (temps partiel, emploi avec un contrat à durée déterminée). Du côté des syndicats, si les négociations sociales concernent toujours en premier lieu l’évolution des salaires, le chômage de masse a érodé le pouvoir des syndicats de salariés et la progression des salaires s’en est ressenti. Voilà comment on peut expliquer le ralentissement des hausses de salaire depuis la fin des années 70. On pourrait presque parler d’une revanche du marché! On peut soutenir que la fixation de salaires dépend plus de la conjoncture économique et de la situation du marché du travail et que, d’une manière plus générale, le marché du travail devient moins réglementé, beaucoup plus flexible en France.