L’engagement politique désigne simplement les différentes actions ou comportements que les citoyens peuvent choisir d’utiliser pour exprimer une opinion relative à une situation politique. Les formes d’engagement peuvent être diverses, chacun pouvant interpréter l’efficacité de son engagement, et préférer des modalités de participation politiques plutôt que d’autres. Parfois, on distingue des formes d’engagements plus individuelles et celles qui conduisent à des actions plus collectives.
Vous l’avez observé en spécialité de première, le vote est une première forme d’engagement politique, et vous vous souvenez normalement que les choix électoraux sont encore fortement liés à des facteurs socio-démographiques (on parle parfois de variables lourdes du comportement électoral). Le vote combine un choix individuel (sa préférence électorale), et une forme d’engagement citoyen collectif (l’adhésion à l’idée que la démocratie est la forme de gouvernement que l’on souhaite), et c’est pourquoi, souvent, on insiste sur le caractère rituel de ce vote : les électeurs vont exprimer un choix électoral personnel dans le secret de l’isoloir, en respectant une séries de codes collectifs, comme présenter sa carte électorale, poser son scrutin et attendre la formule « a voté » que dira le scrutateur. Le vote reste donc bien une forme essentielle d’engagement dans les sociétés démocratiques.
Évidemment, bien d’autres formes d’engagement en lien avec les choix politiques existent, notamment en lorsque l’on souhaite s’investir plus fortement et militer. Le militantisme politique permet d’afficher ses opinions et préférences partisanes en soutenant plus activement un parti, et notamment en participant aux activités politiques proposées par ce parti. Le militantisme débute par l’adhésion, puis se développe à différentes échelles, selon le temps et les moyens que l’on souhaite y consacrer (tractage, porte à porte, collage d’affiche, participation aux meetings, etc.). Après le soutien et les aides matérielles, certains militants peuvent aussi s’engager plus fortement jusqu’à se présenter aux élections politiques et ensuite exercer un mandat électif. Dans la plupart des sociétés démocratiques contemporaines, l’engagement militant est cependant en déclin et les partis politiques ont du mal à mobiliser autour d’eux des adhérents pour leurs activités usuelles.
Les organisations syndicales sont des institutions qui ont une influence sur les acteurs politiques. Elles participent à l’élaboration des décisions politiques notamment dans des domaines qui touchent les travailleurs (droit du travail, règles de protection sociale). Il est donc naturel de considérer que le militantisme syndical est aussi une forme d’engagement politique. Dans les démocraties, les syndicats mobilisent ainsi leurs adhérents et sympathisants pour créer les conditions d’une négociation favorable à leurs revendications. Le militantisme syndical, c’est participer aux manifestations, faire grève, mais aussi convaincre les salariés autour de soi de rejoindre son syndicat, s’investir dans les instances du syndicat ou les lieux de la négociation dans l’entreprise. Vous le savez sans doute, le militantisme syndical est plus rare désormais, et les syndicats peinent aujourd’hui à renouveler leurs adhérents.
Si les formes traditionnelles de l’engagement politique sont moins utilisées par les populations, c’est aussi sans doute parce que nouvelles formes de participation se sont des développées, souvent aux marges du champ politique et syndical traditionnel.
Cela peut vous concerner directement : peut-être adhérez-vous à une association, dont l’objectif est la protection de l’environnement, le soutien aux plus démunis, à un projet local, etc. Votre engagement associatif vous occupe une partie de votre temps libre et vous avez le sentiment d’être utile, à votre niveau, à la collectivité. Pourquoi cet engagement peut être considéré comme politique ? Parce qu’il défend une cause, il exprime une revendication impliquant la cité politique, et que vous menez des actions pour populariser votre association… Dès lors qu’elles expriment une préoccupation politique (au sens large), ces activités constituent bien des formes d’engagement politique.
Vous pouvez aussi exprimer des préoccupations politiques, au quotidien, par des actions encore plus individualisées par exemple en consommant. C’est le cas lorsque vous choisissez de consommer un produit éthiquement responsable, plus local, ou respectueux de l’environnement par exemple. Cette consommation engagée traduit la volonté des citoyens d’exprimer directement, par leurs choix marchands ou par leurs modes de vie, des positions politiques. La consommation engagée peut prendre différentes formes. Vous pouvez faire des choix de consommation spécifique (par exemple ne consommer que de produits vegans -on peut même parler de buycott au détriment donc de produits d’origine animale, afin de décourager l’exploitation des animaux par les hommes), ou choisir de ne pas consommer certaines marques ou produits par conviction (c’est le plus classique boycott). Pensez à celui de Total qui souhaite produire des biocarburants … en utilisant de l’huile de palme.
Avec toutes ces actions et pratiques différentes, vous avez compris que l’engagement politique peut prendre des formes très variées, qui correspondent aux attentes et capacités des citoyens dans les sociétés démocratiques. Mais il doit aussi exister des freins à l’engagement, ce qui peut expliquer que tout le monde ne s’engage pas, ou en tout cas pas de manière régulière et continue.
S’engager ne va en effet pas de soi, et on peut même constater un paradoxe de l’action collective: l’existence objective d’un groupe d’individus aux intérêts communs n’entraîne pas automatiquement l’apparition d’actions collectives, bien au contraire, ce qu’a bien montré M. Olson dans son fameux ouvrage «Les Logiques de l’action collective». Par ailleurs, on constate souvent qu’à mesure que la taille du groupe augmente, la probabilité d’action commune décline. Comment expliquer ce paradoxe ? Tout semble dépendre d’une analyse coût/avantage (utilitariste) de la participation individuelle à l’action collective : à mesure que la taille du groupe mécontent progresse, la non-participation devient plus rentable. En effet, l’individu profite alors des éventuelles actions d’autrui, sans avoir lui-même à se dépenser en temps ou en argent. L’engagement se traduit en effet par des coûts monétaires : la perte d’un revenu pour fait de grève, les dépenses pour se rendre sur les lieux des manifestations, les dons lors des collectes de fonds préparatoires aux actions, etc. Les coûts ne sont par ailleurs pas seulement économiques : il faut aussi penser aux contraintes sociales de l’engagement, comme la difficulté d’entrer en conflit avec les autres, les efforts d’argumentations que l’on doit faire pour mobiliser autour de soi, le temps que cela représente, etc. La stratégie la plus efficace du point de vue individuel est donc bien souvent celle du passager clandestin ou free rider… Pour le présenter simplement, il existe une stratégie plus rentable encore que la mobilisation : regarder les autres se mobiliser ! C’est le cas classique du non-gréviste qui bénéficie de la hausse de rémunération conquise par la grève sans avoir subi les retenues de salaires.
Seul problème : lorsque chacun raisonne de la sorte, il n’y a pas d’action collective possible … même si, individuellement, chacun a intérêt à ce qu’elle ait lieu. C’est en particulier une explication possible de la baisse de la conflictualité de travail et de la difficulté de mener des mouvements sociaux dans la durée.
Il est pourtant possible de sortir de ce paradoxe, à condition bien sûr de l’avoir identifié et donc de proposer des avantages en plus à ceux qui s’engagent, de manière à contrebalancer la tendance à agir en individualiste.
Il existe en effet plusieurs manières de limiter le comportement opportuniste des acteurs sociaux. C’est d’ailleurs ce que note Olson lui-même, qui a enrichi son modèle avec la notion d’incitations sélectives : il s’agit de l’ensemble des bénéfices de l’action collective, réservé aux seuls participants et/ou des coûts supplémentaires imposés aux non-participants. Ces incitations sélectives peuvent être créées de manière à rapprocher les comportements individuels de ce que serait, dans l’idéal, la rationalité d’un groupe doté d’une volonté collective. Cela revient donc à abaisser les coûts de la participation à l’action commune ou à d’augmenter ceux de la non-participation. Les incitations sélectives sont de nature très diverses : des prestations sociales directes et des avantages économiques accordés aux membres de l’organisation qui mobilise, des formes de contraintes qui s’exercent sur les non participants, etc. L’existence d’incitations sélectives a notamment été mise en évidence dans le cas de l’action syndicale. Tout d’abord, la mise en place de piquets de grève et l’attitude dédaigneuse vis-à-vis des « jaunes » (ceux qui ne font pas grève et qui passent devant le piquet de grève) peut avoir un effet dissuasif : celle constitue une sorte de coût social supplémentaire pour les non-grévistes. Ensuite, l’incitation sélective la plus efficace reste celle mise en place par certains syndicats, des dockers ou du secteur livre en France notamment, d’une sorte de monopole sur les embauches (par des recommandations par exemple). Au-delà du contrôle formel de l’embauche, les syndicats de dockers pouvaient aussi exiger de leurs membres qu’ils refusent de faire équipe avec un docker non syndiqué. S’ajoutent enfin à cela des incitations plus positives : visites aux syndiqués hospitalisés, collectes au profit des victimes d’accidents du travail et de leurs familles… Dans d’autres pays, la présence d’un syndicalisme de service permet aussi de fournir des incitations sélectives : par exemple, en Belgique ou en Islande, comme dans de nombreux pays du Nord de l’Europe, les prestations chômage sont principalement versées par des syndicats à leurs membres (on parle parfois de « système de Gand »). Ainsi, le taux de syndicalisation en Belgique était d’environ 50 % en Belgique et de près de 92 % en Islande ! On parle parfois de Et vous connaissez aussi sans doute le pouvoir historique du syndicat des routiers américains (les teamsters) dirigé longtemps par Jimmy Hoffa…
Vous l’imaginez bien, les gains matériels que peut proposer éventuellement une organisation à ses membres ne suffit pas pour expliquer l’engagement politique. Au-delà d’un strict calcul coûts-avantages matériels, l’engagement dans l’action collective peut aussi procurer des rétributions symboliques : des satisfactions d’ordre moral ou identitaire, comme par exemple de l’estime de soi, le plaisir de lutter ensemble, le sentiment de défendre une cause juste, la fierté d’agir en conformité avec ses valeurs…L’attachement à la cause, la satisfaction de défendre ses idées, constituent donc bien des formes de rétribution de l’activité politique et militante : dans une organisation, il y a aussi de la camaraderie, de la solidarité, de la cohésion, et un sentiment d’identification à un groupe… Il faut aussi penser aux joies de la victoire, aux réconforts mutuels dans la défaite ou dans les malheurs individuels, aux réunions où se retrouvent les vieux amis pour de longues discussions passionnées… Pensez aux multiples interviews de membres des « Gilets jaunes » qui affirmaient le plaisir des retrouvailles collectives : la durée de cette mobilisation s’explique sans doute par ce type de rétributions symboliques. L’engagement politique peut aussi donner une sorte de respectabilité sociale et modifier la position sociale des individus : celui qui s’engage peut devenir un leader d’opinion, que l’on écoute.
Enfin, il faut tenir compte de ce que l’on appelle la structure des opportunités politiques. Le fait de se mobiliser, nous l’avons vu, ne va pas de soi. Et il ne suffit pas d’être mécontent pour se mobiliser. Le mouvement récent des gilets jaunes l’a montré : à ses débuts, une large majorité de la population le trouvait justifié, sans que pour autant tout le monde ne se mobilise ou participe. Le mouvement a réussi à perdurer, mais en se délitant petit à petit et sans effet véritable sur la société au final. Cet exemple montre que l’existence et le succès d’une mobilisation dépendent notamment du contexte politique et social, qui va influencer le déclenchement d’une action collective et qui en conditionne le succès. Ce sont donc ici des conditions plus structurelles qui déterminent la capacité à s’engager. Cette structure des opportunités politiques se compose de plusieurs éléments, et on peut particulièrement repérer :
L’influence des changements dans la structure des opportunités politiques est souvent mentionnée comme une explication de l’émergence du mouvement des droits civiques aux États-Unis dans les années 1950 et1960 : de nouveaux leaders afro-américains sont apparus juste au moment où des élus démocrates mais aussi républicains pouvaient les écouter, et qu’une partie de la jeunesse blanche américaine soutenait les revendications des noirs américains.