Il faut désormais expliquer qu’il y a eu des transformations des acteurs de la mobilisation politique pour comprendre comment cela a pu influencer les formes collectives de participation à la vie politique. Une action collective émerge en effet rarement de manière spontanée et la mobilisation politique repose d’abord sur des organisations plus ou moins institutionnalisées du champ politique : les partis politiques, les syndicats, les associations et groupements d’intérêt sont les acteurs de l’action collective. Ces organisations ont évolué, certaines se développant quand d’autres ont plus de difficultés à exister
Il y a tout d’abord les traditionnels partis politiques. La définition classique des partis retient en général plusieurs éléments : cette organisation partisane doit être durable, dense et ramifiée, et avec le souci de rechercher le soutien populaire pour exercer le pouvoir. Il y a bien sûr une diversité de partis, reflétant en premier lieu la diversité des opinions et des convictions : vous le savez, il est déjà possible de classer les partis sur un axe allant de l’extrême droite à l’extrême gauche. Cette logique a cependant moins d’intérêt aujourd’hui, et il est sans doute plus intéressant de repérer la place des partis en fonction de deux axes : un axe portant sur le type de modèle économique, allant d’une intervention forte des pouvoirs publics dans l’espace économique à un libéralisme prononcé ; un axe portant ensuite plus sur les valeurs de la société, certains partis étant plus conservateurs socialement et culturellement, quand d’autres seraient plus fondés à valoriser la liberté individuelle en matière de mœurs. On peut aussi organiser les partis par typologie : parti de cadre/parti de masse/parti « attrape tout »; ou selon des clivages plus classique Etat/Eglise, Rural/Urbain, Centre/Périphérie, Travailleurs/Possédants, etc.
Aujourd’hui les partis ne sont plus les seuls à montrer une forme d’engagement politique. Une partie de la société civile s’est organisée autour d’associations, de syndicats, de groupements, pour porter leurs idées, en rassemblant des citoyens autour de valeurs propres, pour les défendre et atteindre des buts communs. On retrouve ici l’idée que la démocratie n’est pas uniquement représentative, passant par le vote pour tel ou tel parti politique, mais participative par un engagement dans des manifestations, des associations, etc.
Nous avons déjà parlé des syndicats, qui sont une première forme de société civile organisée, dont la fonction est la défense des salariés. Ces syndicats ont une fonction revendicative essentielle, de contestation sociale, mais ils sont aussi un relais institutionnel permettant de coopérer avec le pouvoir politique (c’est la logique de la représentativité des syndicats).
Les associations et groupements peuvent aussi fonctionner comme des groupes d’intérêt reconnus, qui ont parfois des contacts institutionnels fréquents avec le pouvoir politique. Contrairement aux associations, les groupements sont des formes plus informelles et moins structurées, ce qui en fait souvent des acteurs éphémères. Les actions collectives apparues à partir des années 1970 1980 reflètent bien la diversité des acteurs et leur transformation. Quatre mouvements sociaux ont notamment été répertoriés à cette époque : les luttes étudiantes, régionales, antinucléaires et féministes. À chaque fois, leurs caractéristiques étaient de rassembler des groupes sociaux divers de manière continue ou plus épisodique, mais surtout qui n’étaient pas complètement être institutionnalisés, car inscrit dans une dynamique sociale continuellement repensée : il n’y a jamais eu une seule association organisée pour un type d’action, mais plusieurs en général, et les groupements ont été très nombreux, avec des durées de vie assez courtes. C’est sans doute encore le cas pour les actions collectives récentes que vous connaissez bien :
On le voit bien, il y a une transformation des acteurs de l’action politique, avec plus de diversité : les syndicats et partis ne sont plus les seuls à agir dans le champ du politique.
La transformation des acteurs est une partie d’un ensemble bien plus vaste : c’est parce que de nouveaux enjeux ou de nouvelles manière d’agir en politique sont apparus que les acteurs se sont diversifiés !
Les conflits de travail portant sur des questions matérielles de rémunération ou de conditions de travail sont sensiblement moins fréquents, ce qui ne veut pas dire qu’ils disparaissent pour autant. Il faut aussi noter que les conflits de travail s’inscrivent de plus en plus dans des horizons plus vastes que le strict champ de l’entreprise : lorsque les syndicats luttent contre des reformes portant sur les retraites, ils posent aussi la question de ce que doit être la condition des séniors dans notre société par exemple. On constate en parallèle que des revendications politiques « post matérialistes » se sont développées. Ce sont alors de nouveaux enjeux de la mobilisation qui apparaissent : les besoins de base étant désormais largement satisfaits dans les sociétés occidentales, les revendications se déplacent vers des enjeux dit non matériels (c’est-à-dire non axés sur les niveaux de vie) : l’autonomie, la qualité de vie, l’identité… Ces demandes seraient renforcées par l’élévation du niveau d’éducation, qui favoriserait la participation politique. Aussi, l’apparition de nouvelles générations susciterait l’émergence de nouvelles revendications. Les nouveaux enjeux de la mobilisation seraient alors les révélateurs d’un dépassement de la société industrielle. Pour repérer ces enjeux ou ces mouvements sociaux, on peut essayer d’identifier trois critères :
Cela peut vous paraitre bien conceptuel… cela sera plus concret avec un exemple comme celui de l’enjeu de la mobilisation féministe. Le groupe mobilisé est facilement repérable et a bien sa propre identité. Le principe d’opposition ne se fait évidemment pas contre les hommes, mais contre des institutions ou un cadre juridique qui ne reconnait pas parfaitement les aspirations des féministes. Coté revendication, il y a un double objectif : faire progresser les droits des femmes, et notamment dans l’accès au travail et dans le choix de la procréation, mais aussi et surtout modifier les rapports entre les deux sexes, en vue d’atteindre une égalité totale entre hommes et femmes, sans domination des uns sur les autres. Le projet est donc bien la transformation en profondeur de la société, ce que l’on retrouve encore aujourd’hui, associé à de nouvelles formes (avec le mouvement #Metoo par exemple).
Les nouveaux enjeux de la mobilisation sont aujourd’hui très divers : on peut pointer les revendications portées par certains groupes homosexuels (accès à la reconnaissance du statut de parents par exemple, ou la demande de PMA pour toutes), les luttes en faveur des mal-logés, éventuellement les gilets jaunes depuis 2018 (avec beaucoup de précaution car on peut se demander ce qui forme son unité et son projet de société notamment). Quoi qu’il en soit, vous avez sans doute dans votre tête bien d’autres enjeux récents de mobilisations !
De plus, les luttes minoritaires, au sens de luttes portées par des minorités, se développent en France dans les années 2000. Une lutte minoritaire rassemble un groupe de personnes qui, en raison de leurs caractéristiques physiques ou culturelles, sont distinguées des autres dans la société dans laquelle ils vivent, par un traitement différentiel et inégal. Ils se considèrent donc en général comme faisant l’objet d’une discrimination collective. Dans ce cas, la mobilisation se fonde alors non sur une logique identitaire comme la défense de pratiques culturelles ou religieuses, mais en lien à une demande d’égalité de traitement et de droit. En France par exemple, l’écho rencontré par le mouvement « Black lives matter » en 2020 traduit une certaine vivacité de ces luttes minoritaires. À cette occasion, des personnalités, des associations et collectifs rassemblant des populations noires ont porté des demandes d’égalité de traitement face à la loi (en pointant les contrôles de police au faciès…), dans l’accès à l’emploi (en mentionnant les discriminations à l’embauche…), ou encore une meilleure visibilité dans l’espace médiatique. Il y a bien d’autres luttes minoritaires comme tous les mouvements de « sans » (sans papiers, sans logement, sans travail, etc.).
Avec ces nouveaux enjeux, les formes de l’action politique changent : les mobilisations diffèrent ainsi fréquemment des conflits de travail, et de leurs traditionnelles grèves et manifestations de rue. Les mouvements sociaux utilisent plus souvent les réseaux sociaux et les médias, pratiquent les pétitions, les boycotts, les sit-in, etc. On dit que les répertoires de l’action collective évoluent. La notion de répertoire est associée à un auteur, Ch Tilly, qui voulait ainsi désigner l’ensemble des modes d’action utilisés en un lieu et à un moment donné par des acteurs protestataires. Le répertoire est une sorte de métaphore inspirée du théâtre : comme les musiciens et les acteurs, celles et ceux qui se mobilisent n’inventent pas leurs modes d’action à chaque fois qu’ils se mobilisent, mais puisent dans des répertoires limités et standardisés, en se les appropriant et les modifiant à la marge. Ainsi, les occupations de lieux publics lors d’une mobilisation ne sont pas une nouveauté. Mais occuper un rond-point est original. Tout comme s’installer dans un lieu dans la durée, comme le font les occupants des ZAD (les fameuses « zones à défendre »). Un second ensemble d’évolutions concerne le recours aux médias. Les actions menées par Sea Shepherd, Greenpeace ou encore les Femen montrent la capacité d’organisations militantes à proposer des formes de mobilisation dont l’impact dans l’opinion publique est extrêmement fort, avec peu de ressources humaines mobilisées.
L’engagement politique dans les sociétés contemporaines connait donc une certaine vivacité, avec une vraie diversité et une transformation des objets de l’action collective.