2. Comment comprendre le rôle des firmes dans la mondialisation ?

L’aptitude d’un pays à exporter dépend de la productivité et de la compétitivité de ses firmes. Les exportations dépendent d’une minorité de firmes souvent les plus grandes. L’internationalisation des chaînes de valeur joue un rôle fondamental dans la stratégie des firmes multinationales.

2.1. L’aptitude d’un pays à exporter dépend de la productivité et de la compétitivité de ses firmes.

2.1.1. Les exportations dépendent d’une minorité de firmes souvent les plus grandes : quelques données significatives.

Les exportations en France, comme dans les autres pays, reposent sur une minorité d’entreprises. D’après l’INSEE, en 2017, les 50 entreprises exportant le plus réalisaient 43 % du chiffre d’affaires à l’exportation et 500 en réalisaient environ 70 %. Une des caractéristiques fondamentales de ces entreprises nous est donnée par leur productivité plus importante que celles n’exportant pas comme le montre le tableau suivant qui concerne l’industrie manufacturière en France, en 2017 :

L'industrie manufacturière en France, en 2017

Industrie manufacturière

Nombre d’entreprises

Valeur ajoutée (hors taxe) par salarié (en euros)

Taux d’exportation (en %)

ETI françaises

312

74 000

18

ETI multinationales sous contrôle français

654

90 000

35

ETI multinationales sous contrôle étranger

683

106 000

45

GE multinationales sous contrôle français

57

129 000

59

GE multinationales sous contrôle étranger

22

142 000

50

Champ : France, entreprises des secteurs principalement marchands non agricoles, non financiers et non immobiliers.

Source : d’après INSEE, https://www.insee.fr/fr/statistiques/4255712?sommaire=4256020#consulter

Ainsi, par exemple, les grandes entreprises (en gros des entreprises de plus de 5 000 salariés) multinationales sous contrôle français avaient une productivité du travail de 129 000 € par salarié durant l’année 2017 et 59 % de leur chiffre d’affaires était réalisé à l’exportation ; les entreprises plus petites, les entreprises françaises de taille intermédiaire (en gros des entreprises comprenant entre 250 et 5 000 salariés), au nombre de 312, avaient une productivité du travail de 74 000 € par salarié et ne réalisaient que 18 % de leur chiffre d’affaires en exportant. Un lien existe donc entre niveau de productivité et capacité à exporter. C’est ce qu’il nous faut expliquer maintenant.

2.1.2. De la productivité des firmes à leur compétitivité.

L’idée est simple en fait : la hausse de la productivité des firmes améliore leur compétitivité, c’est-à-dire leur capacité à gagner des parts de marché, et donc celle du pays, ce qui accroit sa capacité à exporter. En effet, la hausse de la productivité entraîne une baisse du coût moyen, du coût par unité produite, puisque l’entreprise a besoin de moins de facteurs de production pour produire les mêmes quantités. Ainsi, les dépenses en travail et un capital pour une unité produite seront plus faibles. Cette baisse du coût moyen améliore donc la compétitivité en termes de coûts par rapport aux concurrents (à productivité inchangée chez les concurrents du moins) ; elles peuvent donc baisser leur prix de vente notamment à l’exportation et gagner des parts de marché à l’étranger : leur compétitivité-prix s’améliore. Toutefois, cela n’est vrai bien sûr que si, entre-temps, le coût du travail et du capital n’augmente pas d’autant annulant, pour l’entreprise, l’effet des gains de productivité sur les coûts.

Si en premier lieu, les entreprises elles-mêmes peuvent innover, améliorer l’organisation du travail pour accroitre leur productivité, l’Etat peut faire en sorte que la productivité des entreprises augmente, en améliorant le système de formation et en favorisant les innovations. Les entreprises les plus performantes internationalisent leurs chaînes de valeur pour encore plus d’efficacité. C’est ce dernier point que nous allons étudier maintenant.

2.2. La recherche de la compétitivité pousse les firmes à internationaliser leur chaîne de valeur.

2.2.1. Comment répartir ses activités dans le monde ? Une question fondamentale pour les FMN.

Pour augmenter leur productivité les firmes peuvent internationaliser leur chaîne de valeur en exploitant les avantages comparatifs de chaque pays. Les FMN vont déterminer et fragmenter leurs différentes activités source de valeur ajoutée et les localiser dans les régions, les pays dans lesquels il existe un avantage spécifique sur les différentes étapes du processus de production. Or, il se trouve que, depuis les années 1970 notamment dans le secteur électronique, la valeur ajoutée semble de plus en plus provenir des activités hors production directe : la R&D, la conception des produits d’un côté et le marketing, la vente et les services aux clients de l’autre. Les FMN des pays développés auraient donc tendance à vouloir y maintenir les activités pour lesquelles elles ont des avantages en matière de main d’œuvre très qualifiée notamment, et à délocaliser voire faire réaliser par des sous-traitants de pays en développement ou de pays émergents les activités de production moins complexes à réaliser et qu’elles peuvent donc implanter dans les pays où les coûts sont les plus faibles.

Il semble donc que les FMN essaient d’exploiter au mieux les dotations factorielles ou technologiques des différents pays pour localiser leurs activités. Mais quelles sont les grandes tendances actuellement ? Certains pays participent aux chaînes de valeurs mondiales de par leur ressources naturelles de base comme la Russie ou des pays africains mais aussi l’Australie, le Canada ; d’autres pays sont spécialisés dans des activités de production manufacturière plus ou moins simple comme le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Inde ou la Chine ; enfin, les pays les plus développés participant à ces chaînes de valeur mondiales par leurs activités d’innovation comme les États-Unis, l’Europe ou le Japon. Dès lors, il y aura une tendance, par exemple, à localiser les activités de production relativement simples dans les pays émergents comme une partie des BRIC’s et à implanter des centres de R&D aux États-Unis ou en Europe même si, dans une logique de rattrapage, de plus en plus de pays émergents, tel l’Inde, attirent ce type d’activités complexes.

2.2.2. Le constat de l’importance de l’internationalisation des chaînes de valeur.

Cette stratégie des FMN se retrouve dans l’importance du commerce intra-firme qui pourrait représenter jusqu’à 40 % des importations des États-Unis à la fin des années 1990 (d’après l’OCDE) mais beaucoup moins semble-t-il au Japon, aux alentours de 20 à 30 %. Aujourd‘hui, cette part pourrait être d’environ 50 %. Quoiqu’il en soit, il s’agit d’une part non négligeable ce qui est un premier indicateur de l’importance de la fragmentation des chaînes de valeur dans différents pays.

Une autre façon de mesurer l’internationalisation des chaînes de valeur est d’estimer la part de la valeur ajoutée sur le territoire dans les exportations d’un produit. Ainsi, en prenant l’exemple de l’automobile, on peut comparer la stratégie des entreprises françaises et des entreprises allemandes. Des études montrent qu’une part croissante de cette valeur ajoutée, entre 2000 et 2014, provient de l’Allemagne et des pays extérieurs à l’UE (comme la Chine, la Russie). À l’inverse, une part de plus en plus faible de la valeur ajoutée dans les exportations de produits automobiles provient de la France. On retrouve ici une stratégie bien connue des constructeurs français d’exploiter au maximum les chaînes de valeurs mondiales. Ainsi, Renault possède des usines ou noue des relations de sous-traitance avec des entreprises « partenaires » dans le monde entier que ce soit en Amérique latine, au Maghreb comme en Russie ou en Asie. L’Allemagne, à l’inverse, tente de garder chez elle une partie importante de sa valeur ajoutée dans l’automobile en misant sur la qualité de ses produits, tout en exploitant quand même les avantages d’anciens pays de l’Est.

D’une manière plus large, ces études mettent en évidence que la valeur ajoutée dans les exportations de l’UE de produits automobiles provient de plus en plus d’autres pays que des trois grands pays constructeurs automobiles, Allemagne (avec Mercedes, Volkswagen, etc.), France (Renault, PSA, etc.) et Italie (Fiat, etc.).

Une autre façon beaucoup plus large d’estimer l’importance l’internationalisation des chaînes de valeur est de mesurer la part des biens intermédiaires (et notamment des pièces et composants) dans le commerce international. Une part importante du commerce international est liée à ce type d’échanges : plus de la moitié du commerce mondial de produits manufacturés ! Précisons que les échanges de biens de consommation représentent un peu plus qu’un quart du commerce mondial de produits manufacturés. On voit donc l’importance de l’internationalisation des chaînes de valeur aujourd’hui.

Enfin, une dernière façon de mesurer l’importance de la mondialisation des chaînes de valeur est d’estimer la part des produits qui passent deux fois une frontière soit en amont (lorsque des intrants étrangers sont incorporés dans les exportations du pays) soit en aval (lorsque des produits exportés par un pays sont ensuite incorporés, comme consommations intermédiaires, par les pays étrangers dans des produits qu'eux-mêmes exportent). La part de ces échanges dans les échanges mondiaux est ainsi passée d’environ 37 % en 1970 à plus de 50 % en 2007, avant la crise financière.

Il convient maintenant de juger des effets de cette mondialisation qui semble basée sur des conditions d’efficacité et de rentabilité. N’y a-t-il que des effets positifs ?