L'ampleur de la crise environnementale que nous connaissons est régulièrement évoquée par les scientifiques qui nous alertent sur notre capacité à maintenir un mode vie compatible avec la sauvegarde de notre planète. Et vous avez dû le constater, la préoccupation pour la préservation de l’environnement semble plus largement portée par les plus jeunes générations, qui, à l’image de Greta Thunberg, peuvent reprocher aux acteurs politiques et institutions publiques en place leur relative inaction face aux atteintes environnementales que vous connaissez tous : le réchauffement climatique, la surexploitation de ressources naturelles, la biodiversité en danger, etc. En réalité, plus qu’une inaction, il s’agit bien souvent d’une difficulté à mener une action publique efficace et pérenne.
Cette notion d’action publique n’est pas toujours facile de cerner. Pour simplifier, on peut dire que qu’il s’agit d’une action concrète (la création d’une loi, d’une charte internationale, la mise en place d’une nouvelle taxe…) produite par une série d’interactions entre des institutions publiques et tous les acteurs publics ou privés concernés par un problème public (le gouvernement, des collectivités locales, les administrations, les groupes d'intérêt, les citoyens...). Ces interactions s’accompagnent de la mise en œuvre des politiques et de leur contrôle. L’action publique pour l’environnement peut donc prendre plein de formes différentes, comme nous allons le voir dans ce chapitre. Pour l’illustrer rapidement, il suffit d’observer l’actualité récente : la COP21 a permis de signer en 2015 l’accord international sur les changements climatiques - dit accord de Paris - ; le Pacte vert européen établi en 2019 nous a donné la feuille de route européenne en matière d'environnement ; la convention citoyenne pour le climat a rendu en 2020 son rapport au chef de l’Etat français, avec de multiples propositions d’action… Ces différents exemples montrent que l'action publique pour l'environnement se décline à différentes échelles (locale, nationale, européenne, internationale) avec des acteurs très différents. Nous verrons aussi que les outils que les pouvoirs publics peuvent mobiliser dans le cas particulier de la lutte contre le réchauffement climatique, s’ils ont bien une certaine efficacité, connaissent de nombreuses contraintes. Les questions environnementales sont donc bien à l’interface de la science politique, de la sociologie et de l’économie.
L’action publique en faveur de l’environnement est d’abord portée par différents acteurs qui ont pour rôle de documenter, construire, et trouver solutions aux atteintes environnementales. Ces acteurs participent donc tous, à leur niveau, à l’émergence des questions environnementales. On peut notamment identifier 6 types d’acteurs majeurs.
Les pouvoirs publics sont le dernier maillon, et vous voyez bien qu’ils sont en relation étroite avec les acteurs précédents ! Il faut simplement retenir qu’ils sont ceux qui vont envisager et mettre en place les actions publiques. S’y retrouvent les collectivités locales et régionales, les gouvernements nationaux et les organismes supranationaux ayant un pouvoir de décision, comme au sein de l’Union Européenne. Chacun va agir dans son champ de compétence, de la municipalité développant une smart city écologique à la Commission européenne – où siège le commissaire en charge de l'Environnement – faisant des propositions de directives ou de règlements.
Tous ces acteurs vont faire que la préservation de l’environnement va progressivement s’imposer comme une préoccupation essentielle des politiques : on dit que les acteurs, en faisant émerger les questions environnementales dans l’espace public, les transforment en « problème public ». De façon générale, un fait social, économique ou politique ne devient un problème public que s'il devient un sujet d’attention et fait l'objet d'une catégorisation particulière, c'est-à-dire dès lors qu'il est considéré comme problématique par une partie de la société. Un problème public n’existe donc pas en soi, mais résulte d’un travail collectif de construction, et de confrontation de différentes positions. C’est bien ce qui s’est passé progressivement avec la question environnementale depuis une trentaine d’année, avec trois types de mise en lumière de nature différente, portés par des acteurs différents, comme nous l’avons vu initialement.
Il y a eu en premier lieu une logique de mobilisation collective avec des groupes plus ou moins organisés sous la forme d’association, d’ONG ou de mouvements citoyens, cherchant à attirer l’attention de l’opinion publique, des médias et des acteurs politiques, en utilisant des répertoires d’action variés, comme les récentes marches pour le climat par exemple. Certains vont les qualifier « d’entrepreneurs de causes », chargé d’identifier et cadrer les problèmes environnementaux et de revendiquer la mise en place de politiques publiques. En second lieu et en lien direct avec les mobilisations collectives, une logique de médiatisation est apparue, avec le soutien d’experts comme le Giec. Enfin une logique de politisation s’est imposée : les partis politiques ont intégré les questions environnementales à leurs programmes et les décideurs publics cherchent des solutions par l’intermédiaire d’une intervention des autorités (comme nous le verrons avec l’exemple de la politique climatique dans la deuxième partie).
Il y a donc eu une sorte de mise à l’agenda politique des questions environnementales. La notion d'agenda politique désigne l'ensemble des sujets ou des problèmes qui constituent les priorités, les lignes d'action d'un gouvernement, d'un parti politique, etc., qui sont mis à l'ordre du jour et qui doivent être traités sur une période donnée par des décisions politiques. Et si l’environnement est désormais dans l’agenda politique, c’est bien parce qu’il a été construit comme un problème public, puis ensuite un objet de l’action publique. La mise à l’agenda est donc le résultat de ce travail de mobilisation, de médiatisation et d’intégration progressive dans l’espace public.
La mise à l’agenda politique des questions environnementales ne signifie pas pour autant que tous les acteurs ont les mêmes objectifs où les mêmes préoccupations, vous l’imaginez bien ! Comme pour les autres problèmes publics, la sélection et la construction des solutions sont un enjeu de conflits et un objet de coopérations entre les différents acteurs sociaux.
Les conflits en matière environnementales peuvent ainsi avoir trois causes principales. Tout d’abord, lorsqu’il y a une vision opposée ou concurrente d'un même problème public, ou lorsqu’il n’y a pas accord collectif pour considérer la question comme un problème public. Ce fut le cas avec les « climato-sceptiques » (qui ne croient pas au réchauffement climatique ou que les activités humaines en soient la cause), pour qui l'intervention des pouvoirs publics pour lutter contre le réchauffement climatique n'était pas forcément légitime et ne méritait pas de figurer à l’agenda politique. Ce conflit s’est progressivement résolu, avec la multiplication des travaux des experts prouvant la responsabilité humaine dans un réchauffement avéré. Ensuite, le conflit peut porter sur la question d’un partage des ressources environnementales (c’est sans doute le conflit le plus fréquent !). De nombreux exemples portent sur l’usage de l’eau dans le monde. Ainsi, la pratique de la fracturation hydraulique pour extraire du pétrole de schiste aux Etats-Unis a tendance à polluer les eaux fluviales et les nappes avoisinantes : les opposants à cette exploitation sont donc souvent les populations n’ayant plus accès à une eau potable de qualité (la fracturation pose bien d’autres soucis écologiques : risques sismiques, dégradations de l’air, etc.). Toujours aux Etats Unis, vous connaissez sans doute le conflit juridique entre des habitants d’Hinkley, en Californie, et la compagnie Pacific Gas and Electricity (PG&E) accusée d’avoir déversé dans l’eau du chrome de manière illégale, générant des tumeurs et des maladies génétiques : ce conflit fut porté à l’écran dans le film Erin Brockovich (du nom de l’assistance juridique devenue militante écologique qui a permis d’instruire l’affaire et de condamner lourdement l’entreprise PG&E). Enfin, le conflit peut porter sur la responsabilité des pouvoirs publics. Dans ce cas, il peut aussi se traduire de manière juridique, comme on l’a vu récemment en France : des collectifs et associations ont appelé à porter plainte contre l’Etat, qui ne prendrait pas les mesures suffisantes pour lutter contre le réchauffement climatique. Une pétition soutenant ce recours judiciaire totalise plus de 2 millions de personnes (c’est l’affaire du siècle).
Pour sortir du conflit – qui a des coûts sociaux, matériels et symboliques -, on envisage fréquemment la recherche de compromis, à défaut d’obtenir un réel consensus. Cette recherche de compromis nécessite que les différents acteurs des questions environnementales coopèrent. En particulier, les ONG négocient régulièrement avec les pouvoirs publics, mettant à disposition leur expertise pour l'élaboration et la mise en place des politiques publiques. Elles pratiquent aussi une forme de lobbying en rencontrant régulièrement des personnes de pouvoir ou des institutions publiques. Vous en connaissez sans doute un des résultats : lors de la Cop 21 à Paris en 2016, de nombreuses ONG ont pu intervenir et participer à l’élaboration de l’accord de Paris, engageant désormais 195 pays à limiter le réchauffement climatique à 1.5 degré. Cette coopération entre Etats et organisations citoyennes permet de renforcer l’effectivité des actions publiques : si l’accord de Paris n’est pas un accord juridiquement contraignant puisqu’il ne contient pas de système de sanctions contre ceux qui ne respecteraient pas les objectifs, il reste un accord politiquement contraignant, car sous le regard des associations et des citoyens…
L’action publique en faveur de l’environnement s’effectue alors à plusieurs niveaux, partant d’une forme de gouvernance mondiale pour s’incarner dans jusqu’à l’échelon le plus local des villes.
L'action publique pour l'environnement s'est toujours caractérisée en premier lieu par une forte dimension mondiale, ce qui semble assez évident : les répercussions des dégradations environnementales sont bien souvent internationales ! Lorsque des incendies touchent l’Amazonie, c’est l’ensemble de la planète qui subit la destruction de son poumon vert... L’action publique au niveau international se traduit donc d’abord par l'organisation de sommets internationaux (les Sommets de la Terre, avec une périodicité de dix ans depuis 1972 par exemple) qui tracent les grandes lignes de la coopération internationale en matière d'environnement. Cette coopération internationale se décline également par la négociation de conventions internationales plus précises, sectorielles, et donc organisées par thématiques environnementales : la Convention de Minamata sur la pollution au mercure de 2013, les différentes COP sur le climat, etc. Les décisions et recommandations prises à l’échelle internationale vont ensuite être mises en œuvre au niveau européen et national : les Etats vont fixer un cadre réglementaire plus précis pour se conformer à ces objectifs généraux. Pour autant, les pouvoirs publics nationaux gardent aussi des capacités d’initiatives importantes : on peut penser aux développements des infrastructures ferroviaires en France. Dans le cadre particulier de l’Europe, il ne faut pas oublier l’importance de l’Union Européenne qui organise une politique commune de l’environnement. Généralement, cette articulation est présentée comme une approche descendante, « du haut vers le bas » : on parle de modèle top down de l’action environnementale.
Mais il ne faut pas négliger l'échelon local et régional, particulièrement pertinent pour la mise en place de politiques de protection de l’environnement. La logique top down est en effet souvent critiquée pour son inefficacité pour 2 séries d’arguments. Il y aurait tout d’abord une sorte défaillance interne: le décalage entre la complexité des mécanismes de négociation et des résultats aléatoires ou décevants peut paraitre flagrant. La négociation mondiale reste aussi dépendante des intérêts nationaux, qui n’entretiendraient qu’un rapport finalement assez limité avec les nécessités d'une action immédiate et rapide. C’est pourquoi, les pouvoirs publics locaux ont aussi toute leur place ; d’abord, parce que les causes de certains problèmes environnementaux sont évidemment avant tout locales (l’urbanisation, la multiplication des transports, la gestion production des déchets…) ; ensuite parce que ces pouvoirs locaux ont en effet une meilleure connaissance de leurs territoires, permettant d'identifier plus finement les problèmes environnementaux, de mobiliser plus facilement les acteurs locaux (associations, entreprises...), ce qui leur permet de trouver des solutions pragmatiques rapides. On l’a vu par exemple quand de nombreuses villes ont fait le choix de modifier rapidement les modes de transport à l’occasion de la crise de la Covid : de nombreuses voies cyclables ont été tracées pour favoriser les modes de déplacements « doux » pour la planète. Ces solutions peuvent ensuite servir de modèles à suivre à l’échelon national ou international. On parle alors de logique ascendante, du bas vers le haut, ou bottom up. Il faut donc retenir que les différents niveaux de l'action publique pour l'environnement sont donc complémentaires tout en laissant place parfois à une certaine autonomie pouvant aboutir à une opposition certaine. Nous allons préciser tout cela dans la lutte contre le changement climatique.