Comme nous l’avons vu, la Banque centrale approvisionne en liquidités, en monnaie banque centrale, les banques de second rang qui doivent faire face à des retraits de leurs clients. C’est en ce sens que la Banque centrale veille à ce que le système des paiements fonctionne bien. Or, comme ce sont les banques qui permettent de régler achats, ventes, paiement des salaires, etc., et qui créent de la monnaie scripturale, la Banque centrale doit contrôler les banques et leurs activités. Si des banques risquent la faillite (liée à une absence de rentabilité, de solvabilité ou à un besoin exceptionnel de liquidités), la Banque centrale doit tout faire pour les sauver (comme durant la crise des subprimes) ; sinon c’est tout le système de paiement qui est atteint, avec la disparition des dépôts des clients sur leurs comptes courants
On pourrait penser que la Banque centrale fabriquant ou distribuant des billets participe directement à la création monétaire. Il s’agirait cette fois de création de monnaie fiduciaire. Mais il est sans doute plus vraisemblable que les billets sont créés (et les pièces par ailleurs) lorsque les clients des banques de second rang ont besoin de monnaie manuelle et transmettent ce besoin aux banques. Il y aurait donc plutôt, dans ce cas, un changement de forme de monnaie : la monnaie sous forme de billets serait fabriquée lorsque les agents économiques ont besoin de monnaie manuelle. Ainsi, les billets (et les pièces) apparaissent comme un changement de forme de la monnaie : il n’y a pas véritablement création de monnaie, la masse monétaire n’augmentant pas.
Attention cependant ! Ce que nous présentons concerne la situation actuelle du fonctionnement des banques dans la zone euro. De plus, la Banque centrale européenne peut créer de la monnaie centrale … mais qui n’est pas de la monnaie scripturale qui circule dans l’économie réelle. Nous allons présenter maintenant de manière plus précise ces liens entre la création de monnaie scripturale et le rôle de la Banque centrale.
Dans le 3.1., nous avons rapidement montré en quoi la Banque centrale devait contrôler les banques de second rang et leur création monétaire. Un des moyens qu’elle possède est d’imposer des réserves obligatoires. Les banques de second rang ont l’obligation légale de déposer sur leur compte courant à la Banque centrale une somme équivalent à un pourcentage des dépôts qu’elles gèrent. Ce pourcentage est faible, autour de 1 % dans la zone euro. Mais il peut augmenter. S’il passait à 2 % par exemple, cela voudrait dire que des liquidités supplémentaires possédées par les banques seraient « gelées », immobilisées sur le compte courant des banques de second rang à la Banque centrale. Les banques de second rang ne pourraient plus les utiliser pour faire face à des retraits d’argent liquide.
Remarquons qu’à l’inverse, en cas de crise de liquidité comme durant la période 2008-2009, la Banque centrale diminuera le taux de réserve obligatoire pour faciliter l’activité des banques et éviter qu’elles ne soient à court de liquidités.
C’est aussi et surtout par sa politique d’open market que la Banque centrale influence au jour le jour la création de monnaie des banques de second rang. En effet, il existe au sein du marché monétaire (sur lequel se prêtent et s’empruntent de l’argent à court terme, pour une durée de moins d’un an) un marché interbancaire sur lequel les banques de second rang s’échangent des liquidités ; certaines banques ont besoin de liquidités alors que d’autres ont des liquidités en trop qu’elles veulent faire fructifier en les prêtant. Sur ce marché, la Banque centrale peut intervenir pour offrir des liquidités ou pour en demander. Plus précisément, la Banque centrale peut offrir, prêter, des liquidités sur ce marché ; elle peut aussi, comme banque des banques, en demander, pas vraiment en empruntant mais en proposant des taux d’intérêt plus élevés ce qui pousse les banques à placer leurs liquidités auprès de la Banque centrale : en effet, la Banque centrale peut rémunérer les dépôts des banques sur leurs comptes à la Banque centrale. Donc, en fonction des taux d’intérêt fixés par la Banque centrale, il y aura plus ou moins de liquidités à disposition des banques de second rang. Si les taux d’intérêt de la Banque centrale baissent, alors les banques vont pouvoir emprunter plus de liquidités et donc pourront faire face à des besoins de liquidités plus forts : elles pourront donc accorder plus de crédits et créer plus de monnaie scripturale. Si les taux d’intérêt augmentent, l’inverse se passe : les liquidités sont plus coûteuses à obtenir, à emprunter pour les banques de second rang, elles accorderont moins de crédits et créeront moins de monnaie scripturale.
Vous l’imaginez peut-être, la Banque centrale peut vouloir non seulement approvisionner les banques de second rang en liquidité de manière régulière pour assurer le bon fonctionnement du système de paiement, mais elle peut aussi vouloir agir sur l’activité économique globale et sur l’inflation : c’est ce que l’on appelle la politique monétaire.
Revenons sur les mécanismes en cause. Si la Banque centrale veut approvisionner largement en liquidité les banques de second rang afin d’assurer le bon fonctionnement du système de paiement, cela pourra se traduire par une distribution de crédits plus large. Si les ménages et les entreprises empruntent, c’est évidemment pour dépenser ces sommes. Du point de vue de l’ensemble de l’économie, l’augmentation globale de la demande qui en résulte peut avoir pour effet d’augmenter les prix. En effet, si les entreprises ne peuvent répondre immédiatement à cette augmentation de la demande par une hausse de la production, elles devront embaucher, acheter des machines, etc. Il y a donc un risque de produire de manière plus coûteuse : les prix augmenteront pour pouvoir rentabiliser la production.
Or, une augmentation générale des prix des biens et des services peut rapidement devenir cumulative, durable et importante. Dans ce cas-là, non seulement la monnaie remplit mal ces fonctions, on l’a déjà vu, mais il risque d’y avoir des pertes de pouvoir d’achat chez certains individus : salariés qui ne peuvent demander ou obtenir des hauses de salaire, retraités qui peuvent être aussi dans la même impossibilité, etc. La Banque centrale doit donc lutter contre l’inflation : c’est d’ailleurs souvent le principal objectif qu’il lui est donné par les pouvoirs publics.
Ainsi, en cas de crainte d’accélération de l‘inflation, la Banque centrale peut tout d’abord réduire la quantité de liquidités qu’elle prête ; ainsi, les banques de second rang en obtiendront moins et donc, face au risque d’illiquidité, prêteront moins, accorderont moins de crédits ce qui réduira la demande globale et le risque d’inflation. Ensuite, la Banque centrale peut augmenter le taux d’intérêt (appelé taux d’intérêt directeur) qu’elle fixe lorsqu’elle prête des liquidités aux banques ; pour ces dernières, il devient plus coûteux d’obtenir des liquidités et donc elles en emprunteront moins, en auront moins, réduiront la quantité de crédit distribués et/ou en proposeront à des taux d’intérêt plus élevés. Dès lors, comme précédemment, les crédits distribués vont se réduire, la demande globale va se réduire et les pressions inflationnistes aussi. Enfin, la Banque centrale peut augmenter le taux de réserve obligatoire : les mêmes mécanismes sont à l’œuvre, le risque d’illiquidité augmentant.
Remarquons que face à l’accélération de l’inflation dans la zone euro suite à la guerre en Ukraine, la BCE a augmenté ses taux d’intérêt directeurs pour ralentir cette augmentation de l’inflation. C’est ainsi qu’en France, le taux d’inflation qui était autour de 1 % en 2021 avait atteint les 6 % d’augmentation par an en 2022 d’après l’INSEE. L’augmentation des taux d’intérêt directeurs de la BCE passant progressivement de 0,5 % en 2022 à 4,5 % début 2024 a participé au ralentissement de l’inflation en France : d’environ 6 %, le taux d’inflation était d’environ 2,5 % mi 2024
Vous pouvez imaginer la situation inverse : une baisse cumulative des prix peut se traduire par des difficultés pour les entreprises qui, vendant à des prix plus faibles, risquent de voir leur rentabilité diminuer ce qui entrainera une baisse de l’activité. Dans ce cas, la Banque centrale essaiera de relancer l’activité. C’est ce que nous allons étudier maintenant.
Lorsque la Banque centrale baisse ses taux d’intérêt, vous le comprenez maintenant, les banques de second rang obtiendront plus de liquidités. Les risque d’illiquidité seront moindre et les banques accepteront plus de demande de prêts. Dans cette situation, la demande globale augmentera : les entreprises produiront plus pour répondre à cette hausse de leurs débouchés (si elles ont des moyens de production inutilisés, ils peuvent être mis en activité immédiatement). Il y a donc bien une hausse de la demande et une accélération de la croissance économique. Lorsque cette politique est recherchée de manière volontaire par la Banque centrale, les économistes parlent de politique de relance de la demande.
Par exemple, la crise financière de 2008 (que vous étudierez de manière détaillée en classe terminale) a eu des conséquences sur l’économie réelle, c’est-à-dire sur la croissance économique, l’emploi et le chômage. En France, en 2009, le PIB a baissé de 3 % environ entrainant une baisse de l’emploi d’un peu plus de 1 %, le taux de chômage en France métropolitaine passant de 6,9 % en début d’année 2008 à 9,1 % fin 2009. La baisse des taux d’intérêt directeurs qui « tombent » à 0 % et l’augmentation de la quantité de monnaie centrale prêtée aux banques décidées par la Banque Centrale Européenne (BCE) participent d’une politique de relance. On constate ainsi un retour de la croissance économique en France puisque le PIB augmente de 1,9 % en 2010 et de 2,2 % en 2011, induisant une augmentation de l’emploi de 0,1 % en 2010 puis de 0,8 % en 2011 et une baisse du chômage à 8,7 % au deuxième trimestre 2011.
Vous imaginez que si la Banque centrale à l’inverse augmente les taux d’intérêt, l’obtention de liquidité devient plus coûteuse pour les banques de second rang. Elles en emprunteront moins et donc réduiront leur offre de crédit : la demande globale baissera et la croissance économique ralentira. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé lorsque la BCE face à un regain d’inflation dans la deuxième partie de l’année 2011 a décidé d’augmenter ses taux d’intérêt directeurs : la croissance économique en France a ralenti (hausse de seulement 0,3 % du PIB) de même que la hausse de l’emploi (0,3 % d’augmentation en 2012 puis 0,2 % en 2013), le taux de chômage dépassant les 10 % en 2013.
Les mêmes mécanismes, dans un sens comme dans l’autre, se produiront si la Banque centrale augmente ou baisse la quantité de liquidité qu’elle offre sur le marché interbancaire ou si elle augmente ou réduit le taux de réserve obligatoire.