À partir de ces sources statistiques, nous pouvons connaître l’importance de la culture dans l’économie française. L’objectif de toute activité économique étant de satisfaire plus ou moins directement les besoins des ménages, il faut tout d’abord regarder la part du budget des ménages consacrée aux dépenses culturelles. En 2018, selon l’INSEE, la consommation de « loisirs et culture » représentait 6 % de ce que l’on appelle la consommation effective des ménages (comprenant l’ensemble des dépenses des ménages mais aussi ce que dépense l’État pour fournir des services aux ménages, par exemple l’éducation ou bien évidemment la culture). À titre de comparaison, les achats de voiture en représentaient 2,5 %, les achats de vêtements et chaussures en représentaient 2,8 %. Les dépenses de « loisirs et culture » composent donc une part non négligeable du budget des ménages. Si nous nous centrons sur les seules consommations d’ « Arts, spectacles et activités récréatives », cette part est de 3,2 % en 2018 comme en 2019.
Du point de vue de la production, de l’offre donc, il ne peut être que vraisemblable que la production culturelle représente aussi une part relativement importance de la production totale, autrement dit du PIB. En effet, en 2019, la part de la valeur ajoutée créée dans la branche « Arts, spectacles et activités récréatives » représentait 1,5 % du PIB (et 1,27 % pour la branche « Édition, audiovisuel et diffusion »), à comparer à une part de 0,6 % du PIB pour l’automobile, par exemple, ou pour l’industrie pharmaceutique.
En matière d’emplois, et toujours en 2019, le nombre d’emplois de la branche « Arts, spectacles et activités récréatives » était de 602 600, et de 216 600 dans la branche « Édition, audiovisuel et diffusion », soit des parts respectives de 2,12 % de l’emploi total et de 0,76 %. Toutefois, comme nous le verrons plus en détail plus loin, un travailleur dans le domaine culturel peut ne pas travailler à temps plein et surtout il peut, dans une année, occuper plusieurs emplois : il ne faut donc pas assimiler le nombre d’emplois au nombre de travailleurs. L’INSEE publie des données dites en équivalent temps plein dans lequel un mi-temps compte pour un demi-emploi équivalent temps plein (ETP). Avec ce type de mesure, le nombre d’emplois ETP était de 519 300 dans la branche « Arts, spectacles et activités récréatives » et de 208 700 dans la branche « Édition, audiovisuel et diffusion », soit 1,93 % de l’emploi total en ETP dans la première branche et de 0,78 % dans la seconde.
D’après les données du ministère de la culture le nombre d’emplois dans la culture s’élevait, en 2018, à 692 630 sur 26 438 000 d’emplois en France ce qui représente une part de 2,62 % de l’emploi total.
Regardons plus précisément ce que recouvre ces presque 700 00 emplois culturels grâce aux données du ministère de la culture. Utilisons le tableau suivant :
Il existe trois pôles d’emplois particulièrement importants : le spectacle vivant (concerts, représentations théâtrales, de danse, etc.), l’audiovisuel (édition, production et distribution de films, de disques, etc., télévision, jeux vidéo notamment) et les arts visuels (design, photographie, arts plastiques). Nous remarquons aussi que dans ces emplois ne figurent pas seulement des artistes proprement dits mais aussi des journalistes, des enseignants, etc..
En bref, nous pouvons affirmer que les activités culturelles ont, en France, une place économique non négligeable en termes de consommation, de production et d’emplois.
L’importance de la production non marchande incite à réfléchir à l’intervention de l’État dans le domaine de la culture, à la politique culturelle. Nous avons d’ores et déjà vu que ce n’est pas uniquement l’État central qui agit mais aussi les collectivités territoriales. Il n’en demeure pas moins que l’État central a un rôle central (!) dans les aides apportées et dans l’orientation de la politique culturelle du pays.
Évidemment, l’acteur central de la politique culturelle est le ministère de la culture (souvent associé à la communication du fait du rôle important des médias et notamment de la télévision et de la radio dans la diffusion de différentes formes de biens culturels). Le ministère de la culture gère ainsi, en 2020, un peu moins de 4 milliards d’euros par an. Pour cela, il attribue des « crédits », c’est-à-dire des moyens, vers des actions qu’il estime importantes. Actuellement, trois grandes missions fondamentales sont mises en avant : la protection du patrimoine, l’aide à la création et la démocratisation de l’accès à la culture. Chacune d’entre elles se partagent plus ou moins un milliard d’euros. La première mission recouvre, par exemple, des subventions accordées à différents établissements publics comme le Louvre ou le musée d’Orsay (le premier a reçu 85,8 millions d’euros en 2021). La deuxième mission d’aide à la création peut être illustrée par les subventions données à l’Opéra de Paris, qui a perçu en 2021, 102,8 millions d’euros, ou celles accordées à la Comédie française et au Centre national de la danse. Enfin, la mission de démocratisation de la culture justifie, par exemple, le financement du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et de Lyon, qui ont perçu respectivement 27,1 et 14,1 millions d’euros en 2021.
Toutefois, d’autres ministères participent à la politique culturelle. Il peut s’agir du ministère des armées qui gère des musées (comme nous l’avons vu) ou, bien sûr, du ministère de l’éducation nationale qui dispense des formations artistiques au collège ou au lycée, y compris dans les filières S2TMD. Dans le premier cas, il s’agit d’une action de protection du patrimoine et dans le second cas plutôt d’une politique de démocratisation de la culture. Cette participation est loin d’être négligeable puisque les « crédits » de nature culturelle de l’ensemble de ces autres ministères représentaient environ 4,4 milliards d’euros en 2020. Précisons que la politique culturelle passe aussi par le budget global de l’État grâce notamment à des taux d’imposition, des taux de TVA notamment, plus faibles pour les produits culturels que pour d’autres produits : l’État se prive ainsi de ressources financières au bénéfice des acteurs de la culture.
En dehors de l’État central, les collectivités territoriales, c’est-à-dire les communes, les départements et les régions, développent aussi une politique culturelle propre. Les montants engagés sont loin d’être négligeables : elles représentent même plus que les dépenses du ministère de la culture. En 2016, elles s’élevaient à plus de 7 milliards d’euros. Ce sont des dépenses pour financer, par exemple, des festivals, que nous avons analysés plus haut, des théâtres municipaux ou pour favoriser le développement d’une scène locale.
Des liens peuvent exister aussi entre les différentes collectivités territoriales voire avec d’autres acteurs non marchands comme des associations. Ainsi, la ville de Saint-Étienne a lancé, en 2008, un appel d’offre pour développer la musique actuelle en mettant à disposition des locaux pour proposer des concerts, mais aussi des équipements qui permettent création, répétitions, etc. Cet équipement est géré par une association qui s’occupe de l’accueil et de la programmation notamment. L’autre exemple montre, quant à lui, que des liens peuvent se nouer entre différentes collectivités territoriales : le Musée des confluences à Lyon. Créé et géré directement par le Département à ses débuts, le Musée des confluences à Lyon a été transformé en établissement public de coopération culturelle dont sont membres le Conseil général du Rhône bien sûr, mais aussi l’École Nationale Supérieure de Lyon, la ville de Lyon et la Métropole de Lyon. Il s’agit d’un Musée d'histoire naturelle, d'anthropologie, des sociétés et des civilisations qui propose des expositions permanentes mais aussi temporaires. On voit ici une autre particularité de l’intervention culturelle de l’État : la complexité de ces interventions est liée à la diversité des acteurs, de leur statut juridique et des financements ou ressources diverses qu’ils apportent.
Illustration 1 : La Maison de la danse
Mais comment fait Dominique Hervieu ? Avec 6,53 millions d’euros, le budget 2014 est en hausse à la Maison de la Danse
Arrivée en 2011 à la tête de la Maison de la Danse de Lyon, en droite ligne du Palais de Chaillot à Paris pour succéder à Guy Darmet, la chorégraphe Dominique Hervieu n’a pas tardé à imprimer sa marque.
Elle a mis en place un vaste chantier qui se poursuit et s’accentue aujourd’hui.
On reprochait à la Maison de la Danse d’être d’abord un-beau- « garage » à spectacles ne laissant que peu de place à la création ? La nouvelle directrice a multiplié les productions et les résidences d’artistes. Au bilan, l’année dernière, pas moins de trois premières mondiales avec Emanuel Gat et Justin Peck et la compagnie des Via Katlehong. La Maison de la Danse accompagne également des compagnies régionales en tant qu’artistes associés.
L’objectif de Dominique Hervieu, en arrivant sur la grande piste de la « Maison » était d’ouvrir la danse à une nouvelle catégorie de la population et notamment aux plus jeunes. Cet autre chantier s’est traduit dans les faits avec un nombre record de spectateurs en 2013 : 170 922 ayant assisté l’année dernière à 218 représentations, contre 155 000 en 2012. Ce qui en fait la première jauge pour un théâtre en Rhône-Alpes.
De nouveaux publics s’ouvrent à la danse
Si le nombre d’abonnés (12 304 dont 25 % ont moins de trente ans) a légèrement baissé, le nombre de spectateurs occasionnels a très nettement augmenté. Objectif atteint : de nouveaux publics s’ouvrent à la danse.
Dans le prolongement de cet objectif, la nouvelle directrice s’était aussi assigné l’objectif de développer la danse comme pratique chez les jeunes et les moins jeunes, bref faire en sorte que l’agglomération lyonnaise se mette à son tour à danser.
Là aussi les choses avancent si l’on en croit le bilan 2013 avec 6 300 élèves de collèges et de lycées accueillis en soirée au milieu du public d’adultes, mais aussi des formations dispensées aux enseignants, ainsi que 400 heures d’ateliers artistiques proposées à destination des groupes scolaires. Tous types de publics compris, un total de 12 750 personnes a ainsi participé à des activités culturelles autour des représentations.
« Numeridanse », le portail Internet de la danse créé il y a plusieurs années par la Maison de la Danse fait aussi partie du projet de Dominique Hervieu. Il offre une des plus importantes vidéothèques de spectacles d’Europe et continue à prendre de l’expansion. Ce portail a affiché l’année dernière un trafic en hausse de 16 % avec près de 180 000 visites. Une nouvelle version annoncée comme « plus intuitive et conviviale » sera d’ailleurs présentée le 2 juin prochain.
Pour réussir cette politique ambitieuse de développement tous azimuts de la danse, encore fallait-il que les finances suivent : pas évident en cette période de disette budgétaire.
Des recettes en hausse de près de 8 %
Dominique Hervieu a pourtant réussi à augmenter son budget de manière importante puisqu’il passe de 6,04 millions d’euros l’année dernière à 6,53 millions cette année : un hausse de plus de 8 %.
Mais comment fait-elle ? Sa stratégie budgétaire passe par un développement des ressources propres qui représentent 57 % du budget, contre 43 % de subventions publiques (*).
Avec 2,86 millions d’euros, en hausse de plus de 200 000 euros, la billetterie a bénéficié de l’accroissement du nombre de spectateurs.
La politique affichée est un développement du partenariat privé et du mécénat. Un spécialiste, Christophe Coffrant a été chargé depuis le mois de septembre dernier, de développer ces deux pistes prometteuses.
BNP Paribas poursuit son partenariat engagé depuis plusieurs années (115 000 euros), et d’ores et déjà de nouveaux mécènes sont annoncés : on parle ainsi d’une société du CAC 40 très présente à Lyon, mais aussi d’une banque régionale.
Hausse de subvention en perspective de la future « Maison » de la Confluence
Il faut dire aussi que la Maison de la Danse a bénéficié d’un joli coup de pouce de la Ville de Lyon qui a augmenté sa subvention de 285 000 euros. Une hausse destinée à devenir pérenne. La raison tient à un rééquilibrage budgétaire au sein de la « Maison », mais cette hausse vise surtout à préparer la future grande Maison de la danse programmée à Confluence. L’ambition est d’en faire une institution dotée encore d’une plus forte aura internationale.
Or, un tel rayonnement ne pourra passer par des créations propres. Et cela à un coût, d’ores et déjà pris en compte car la création figure déjà comme on l’a vu plus haut au rang des priorité de Dominique Hervieu.
Bref, le cercle vertueux semble bien enclenché.
Reste une dernière question cependant : quelle sera la politique de la future Métropole lyonnaise à l’égard de la Maison de la Danse. Une question à 360 000 euros, niveau de l’actuelle subvention du Conseil Général du Rhône, appelé à disparaître…
(*) Ville de Lyon : 965 000 euros ; Ministère de la Culture et de la Communication + DRAC : 755 000 euros ; région Rhône-Alpes : 380 000 euros ; Conseil Général du Rhône : 360 000 euros + subventions affectées à des projets : 278 000 euros.
Source : https://www.lyon-entreprises.com/actualites/article/mais-comment-fait-d…
Illustration 2 : L’Opéra de Lyon
L’Opéra national de Lyon est une association dirigée par monsieur Serge Dorny dont les fonctions prendront fin en 2021. Richard Brunel, actuellement directeur du Centre dramatique national de Valence, lui succédera à partir du 1er septembre 2021. L’Opéra poursuit les orientations fixées par la convention-cadre multipartite 2019-2022 approuvée par délibération du Conseil n° 2018-3173 du 10 décembre 2018 et comportant des missions en termes de production, de création et d’accueil d’artistes en résidence, de diffusion et d’implication territoriale dans le domaine lyrique, chorégraphique et de concert. Appartenant au réseau des opéras nationaux, il reçoit le soutien du Ministère de la culture, de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, de la Ville de Lyon et de la Métropole.
L’Opéra de Lyon a accueilli en 2018 près de 220 000 spectateurs à l’Opéra, en hors les murs et en tournée, pour plus de 400 levers de rideau. Le taux de fréquentation, relativement stable, est satisfaisant allant de 83 % pour les concerts, 90 % pour les opéras à 97 % pour les ballets. Ces publics proviennent majoritairement de la Métropole (58 %).
La coopération, avec plus de 60 structures partenaires dans les champs de l’éducation populaire, du développement local, de l’insertion socioprofessionnelle ou encore de la santé, a permis de mettre en œuvre des actions culturelles et artistiques sur-mesure, dans et hors les murs, avec des publics variés. Plus de 30 000 personnes ont participé à ces actions (répétitions, représentations, visites et rencontres) et 11 500 élèves ont assisté à des représentations scolaires.
L’Opéra national de Lyon est le plus gros employeur de la Région dans le domaine artistique. L’effectif permanent de l’opéra est de 321 postes (104 au titre de l’association et 217 mis à disposition par la Ville de Lyon), dont 60 personnels administratifs, 100 personnels techniques et 156 personnels artistiques (orchestre, ballet, choeur). L’effectif total en équivalent temps plein (ETP) (prenant en compte les non permanents) s’élève ainsi à 440.
Les ressources financières issues du secteur privé font l’objet d’une attention constante ; ce secteur est suivi par un service spécifique, sous l’autorité du directeur général. Les recettes totales de mécénat et locations d’espaces, pour la saison 2018-2019, ont été de 801 320 €. Elles ont augmenté de 16,5 % par rapport à la saison précédente.
Sur un budget prévisionnel 2020 de 38 383 816 €, il est proposé que la Métropole reconduise sa subvention "complément de prix" à l’Opéra national de Lyon au même montant qu’en 2017, 2018 et 2019, soit 2 919 391 € TTC (2 859 344,41 € HT), représentant 7,6 % du budget. Les autres financeurs prévisionnels sont la Ville de Lyon (subvention de 7 521 448 € et mise à disposition de personnels à hauteur de 10 450 416 €), l’État (6 043 817 €) et la Région (2 859 198 €). Pour mémoire, la subvention de la Métropole avait diminué de 3 % en 2016 puis à nouveau de 3% en 2017.
Source : Délibération du Conseil de la Métropole de Lyon, 20 janvier 2020
Un autre aspect des politiques culturelles concerne la protection des travailleurs contre les incertitudes du métier (nous étudierons cet aspect dans le dernier chapitre) : ils bénéficient d’un système de protection économique et sociale spécifique. Ils sont couverts en cas de chômage par des allocations financées par leurs propres cotisations. Mais, de manière structurelle, ce système connaît un déficit comblé par les régimes d’autres salariés (notamment par l’Unedic devenu Pôle emploi). Il s’agit donc d’une aide qui n’est pas étatique mais interprofessionnelle dont les principes précis seront là aussi étudiés dans le dernier chapitre. En tout cas, ce système permet de faire vivre de nombreux salariés dans le domaine de la culture et offre ainsi une aide de nature collective, sociale, aux artistes et professionnels de la culture : l’État-providence concerne aussi la culture.
Un dernier aspect des politiques culturelles menées en France est la volonté de protéger les industries culturelles nationales de la concurrence internationale. Du point de vue culturel, Il s’agit essentiellement de contrer l’influence anglo-saxonne dans les domaines de la musique et de l’audiovisuel (cinéma, télévision) pour proposer, aux consommateurs une plus grande diversité culturelle et linguistique. Lors de différentes négociations internationales, des subventions, quotas et aides diverses ont été autorisés. C’est ainsi qu’il existe un système de taxes sur les films diffusés en France (y compris bien sûr les films étrangers, notamment hors Union européenne) qui sert à aider au financement de productions françaises. À la télévision, un quota de diffusion impose « une part de films d’expression originale française (40 %) et européens (60 %) dans le nombre total d’œuvres cinématographiques diffusées sur l'ensemble de la programmation et aux heures de grande écoute » (d’après le CSA / https://www.csa.fr). C’est ainsi qu’en 2022, 43,5 % des films diffusés à la télévision étaient des films français et 32,5 % étaient des films américains (contre 18,5 % de films européens). La musique en langue française (mais aussi de langues régionales en France) est, aussi, protégée par des quotas. Le principe de base oblige ainsi les radios privées à diffuser au moins 40 % de chansons françaises à des heures d’écoute « significatives ». Vous le voyez, la protection des créateurs, interprètes notamment français, peut prendre des voies très diverses.
Mais pour mieux comprendre les enjeux de la politique culturelle au-delà des aspects économiques et financiers, il convient de prendre un peu de recul historique.
Avant 1958, la pratique de l’État dans le domaine culturel relève plus de la gestion, de l’administration que de choix de politiques culturelles. L’État hérite en fait de monuments divers comme des églises qu’il s’efforce de gérer. Il faut dire aussi que cette époque est celle du libéralisme qui valorise le rôle du marché et juge néfaste l’intervention de l’État. Les valeurs de l’époque ne favorisent donc pas l’existence d’une politique culturelle. Dans le domaine de la culture, la protection des arts était sous la 3e République, de plus, vue comme élitiste, au service des rois et princes, (puis de la grande bourgeoisie). Dans un État qui se veut républicain et qui rejette la monarchie, il ne peut véritablement y avoir une politique culturelle ambitieuse et revendiquée. C’est avec le Front populaire, en 1936, s’appuyant sur diverses expériences privées existantes, que l’État vise une certaine démocratisation de la culture, politique qui sera reprise après la 2nde guerre mondiale.
Ce n’est qu’avec la nomination d’André Malraux au ministère de la culture qu’une politique culturelle ambitieuse est mise en avant : le début de la Vème République, sous de Gaulle, réhabilite de manière générale le rôle de l’État y compris dans le domaine culturel. André Malraux est ainsi considéré comme le premier grand ministre de la culture, poste qu’il occupera de 1959 à 1969. Les débuts de cette politique culturelle affirmée sont souvent présentés à partir du décret du 24 juillet 1959 qui énonce « Art. 1er. — Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent. » Il s’agit donc ici de diffuser et faire connaître ce que l’on appelle la culture légitime ou savante. Le deuxième axe passe d’abord par la création, dans les grandes villes, de Maisons de la culture qui sont des lieux qui permettent les représentations théâtrales, les ballets et les expositions. Il passe aussi par la naissance des Comités régionaux des Affaires culturelles, devenus les DRAC, qui doivent coordonner la politique culturelle au niveau régional. Le troisième axe représente les principes de l’action culturelle : il s’agit de faire aimer l’art et les « œuvres capitales de l’humanité et de la France ». Il ne s’agit pas de les faire comprendre, de les enseigner : l’objectif n’était donc pas pédagogique (il s’agissait aussi à l’époque d’autonomiser les services culturels de l’État du ministère de l’éducation nationale). Ajoutons aussi qu’un autre centre d’intérêt de cette politique est de favoriser la création artistique.
Finalement, trois grands objectifs résument la politique menée : démocratiser l’accès à la culture, déconcentrer l’offre culturelle pour amener la culture sur l’ensemble du territoire et faire aimer la culture et les grandes œuvres culturelles.
Depuis cette période, un deuxième ministère est devenu emblématique : le ministère de Jack Lang de 1981. Le gouvernement de l’époque avait considéré la culture comme une des priorités ce qui s’est traduit par différentes mesures en dehors de la très forte augmentation du budget du ministère de la culture (qui double entre 1981 et 1982 et passe ensuite de 2,6 milliards de francs en 1982 à 13,8 milliards en 1993 !) : le projet d’un prix unique du livre, des grands travaux concernant la culture (Musée d’Orsay, Opéra Bastille, …) et le soutien à la création artistique. S’il existe une certaine continuité avec les politiques précédentes sur certains grands travaux et le soutien à la décentralisation des actions culturelles, des actions nouvelles, une philosophie nouvelle furent développées.
En effet, à l’opposé d’une politique voulant essentiellement mettre à disposition des Français les grandes œuvres littéraires, musicales, etc., il s’agit de mettre en lumière l’existence d’une réelle culture populaire, d’un art populaire. Le décret de 1982 précise que « Le ministère chargé de la Culture a pour mission : de permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d'inventer et de créer, d'exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional ou des divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité tout entière ; de favoriser la création des œuvres de l'art et de l'esprit et de leur donner la plus vaste audience ; de contribuer au rayonnement de la culture et de l'art français dans le libre dialogue des cultures du monde ».
La politique culturelle doit donc aider les créateurs de tout type d’art, participer à la diffusion de leurs œuvres et à leur reconnaissance. Par exemple, la politique culturelle vise à promouvoir les formes d’art que constituent le hip-hop, le rap, les tags ou graffitis. À l’initiative du ministère de la culture, des expositions de tags et de graffitis ont ainsi été présentées ; en 1985, la « Ruée vers l’art » (un peu l’équivalent des journées du patrimoine lancées en 1984) a été créée avec une affiche officielle signée « Speedy Graphito ». Allant dans le sens d’une culture populaire plus festive, moins sérieuse que la culture dite légitime (voir le chapitre 1), a été créée aussi, en 1985, la fête de la musique, de même qu’en 1984 avait été ouvert le Zénith Paris-La Villette dédié au rock et aux musiques populaires. À la même époque a été lancée aussi la fête du cinéma. Par ailleurs, a été créé un musée de la BD. Vous le voyez, des différences sensibles entre les deux grands ministères sont donc évidentes. Si l’objectif du ministère Malraux pouvait se résumer en une volonté de démocratisation de la culture (sous-entendue la plus légitime), celui du ministère Lang pourrait lui être résumée par la volonté de démocratie culturelle (sous-entendue élargie aux cultures régionales, populaires, festives).
Les limites souvent reconnues à la politique du ministère Malraux sont d’abord son manque de moyens financiers pour accomplir sa tâche : démocratiser nécessite des moyens notamment pour construire des maisons de la culture. Il était prévu d’en construire une par département, seule une dizaine seront en fait ouvertes limitant ainsi la diffusion de la culture en France. Une autre critique fondamentale est bien sûr (nous l’avons vu dans le 1er chapitre) le maintien d’inégalités culturelles fortes selon les milieux sociaux. Il suffit, pour cela, de mesurer les écarts selon le milieu social en 1973, soit à la fin du ministère Malraux, dans trois domaines reconnus de la culture légitime :
Source : Olivier Donnat, Pratiques culturelles, 1973-2008, Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales, Culture Études, 2011, Ministère de la culture.
Ainsi, les cadres supérieurs et professions libérales, les plus dotés en capital économique ou culturel, sont 6,5 fois plus nombreux en proportion à être allés au théâtre durant les douze derniers mois en 1973 que les ouvriers, mais aussi 4,4 fois plus nombreux à être allés voir un concert de musique classique, et enfin 2,8 fois plus nombreux à être allés voir un spectacle de danse.
Même si l’on peut voir que, dans ces domaines (théâtre, concert de musique classique, spectacles de danse), les écarts de pratique selon les catégories sociales depuis 1981 ne se sont pas réduits, au contraire même, une autre critique a été faite à la politique menée par Jack Lang. Il lui a été reproché de considérer comme de l’art des pratiques qui n’en sont en réalité pas : les exemples du rock, de la musique actuelle, du hip-hop, des tags ou graffitis peuvent être mis en avant. De même qu’y a-t-il de commun entre une BD et les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand ? C’est donc l’affirmation de la culture légitime, sérieuse, savante contre les « cultures » populaires qui n’auraient de culture que le nom. La valorisation des cultures populaires, régionales, minoritaires aurait plus une vocation sociale qu’artistique ou culturelle détournant les moyens du ministère de ce qu’il devrait réellement faire : diffuser la vraie culture, la culture savante ou sérieuse.
Une critique opposée est également avancée. Elle met en évidence que la reconnaissance étatique de ces cultures, de ces modes d’expression créatifs minoritaires risque de les transformer voire de les pervertir, certaines d’entre elles notamment dans la musique (le rock, le punk, le rap, etc.) s’affirmant contre les valeurs et pratiques « normales » des classes moyennes et supérieures reconnues par l’État. Ces expressions créatrices ne devraient pas être séparées de la culture qu’elles portent en elles et qui est, en large partie, une contre-culture.