Les conditions de la concurrence pure et parfaite supposent que l'information sur la qualité, la quantité ou les prix des biens et services échangés sur un marché est parfaitement la même pour tous : il y a, disent les économistes, transparence de l'information. Or, dans de très nombreux cas réels, cette information est imparfaite et asymétrique : un agent peut disposer d'une information particulière dont l'autre n'a pas connaissance. Cette information asymétrique est à l'origine de nouvelles défaillances de marché.
Une première défaillance de marché apparait lorsqu’il y a une situation de sélection adverse. La sélection adverse correspond à une asymétrie d'information portant sur le bien ou le service proposé sur un marché : un agent (le vendeur ou l’acheteur) dispose d’une information cachée pour l’autre agent. Cela peut concerner un produit à acheter, mais aussi par exemple les caractéristiques d’une personne à assurer pour un assureur. Les exemples de telles asymétries d’information sont nombreux : un travailleur connait mieux sa capacité d’effort que l’employeur qui pourra l’embaucher sur le marché du travail ; un vendeur de produits d’occasion sur un site en ligne connait parfaitement l’état de ses produits, au contraire des acheteurs potentiels qui n’ont qu’un descriptif partial et quelques photos pour choisir s’ils achètent ou non ; l’entreprise qui propose d’assurer de l’électroménager sur 5 ans dispose de l’information sur les probabilités de pannes de ses produits, etc. Vous le voyez, ces exemples montrent que dans la majorité des cas c’est l’offreur qui détient l’information, cependant dans quelques situations, le demandeur peut être avantagé : on peut penser au marché de l’assurance santé, où celui qui souhaite s’assurer connait mieux ses risques de maladies et les éventuelles pathologies issues de sa famille que l’assureur.
Ces asymétries d'information vont finalement conduire à mal sélectionner et évaluer le produit ou le service, et donc à commettre certaines erreurs lors du contrat. Celui qui dispose de l’information a en effet tout intérêt à la dissimuler ! Au final, en situation de sélection adverse, on peut choisir et acheter des produits de mauvaise qualité par manque d’information, on peut payer un bien ou un service trop cher, on peut acquérir des biens ou des services dont l’utilité est faible, etc. Le marché concurrentiel ne peut donc plus fonctionner efficacement : le prix n’est plus un parfait signal de la valeur du bien, puisque, pour un même prix, il est possible d’obtenir des biens de qualités différentes. Le prix ne peut plus jouer son rôle d’information.
La deuxième défaillance de marché apparait en situation d’aléa moral. L'aléa moral est différent de la sélection adverse dans le sens où lors de la signature du contrat de vente il n'y pas d'asymétrie d'informations sur la nature des biens et services échangés. L'aléa moral se produira seulement si un des participants à l’échange change de comportement après signature du contrat, lors de l’exécution du contrat : celui-ci abandonne ou s’éloigne du comportement qui était attendu par cet échange, ce qui n'était pas nécessairement prévisible au départ et ce qui n’est pas forcement contrôlable après l’échange par manque d’informations sur le comportement réel de l’exécutant du contrat.
L'aléa moral concerne notamment les marchés de l’assurance. Prenons l’exemple d’une assurance habitation contre le vol et l’incendie : l’assuré prendra-t-il autant de précautions après s’être assuré qu’il en prenait avant pour éviter vol et/ou incendie. Au contraire, se sachant protéger, ne va-t-il pas multiplier les comportements risqués, comme laisser des prises électriques défaillantes, oublier de fermer à double tour sa porte d’entrée ? L’assurance automobile est un autre exemple classique : un conducteur assuré peut être moins vigilant ou peut modifier sa conduite lorsqu’il sait que son contrat d’assurance le protège et qu’il n’aura pas à prendre ne charge financièrement les sinistres. Bien évidemment, l’existence d’un tel comportement modifie la nature de l’équilibre par rapport à celui attendu avec des agents rationnels et prévisibles. Lorsqu’il y a aléa moral, le problème est donc d’inciter l’agent qui dispose d’une information privée (le conducteur) à prendre une décision optimale pour l’individu non informé (l’assureur). C’est pourquoi les assureurs font payer des surprimes au jeunes conducteurs, c’est-à-dire ceux pour qui l’asymétrie d’information est la plus forte puisqu’ils débutent et n’ont jamais révélé leurs comportements. Ces surprimes diminuent ensuite s’il n’y a pas de sinistres, et les assureurs accordent finalement des bonus aux conducteurs n’ayant pas d’accidents pour les inciter à rester précautionneux (ou au contraire, imposent des malus aux « mauvais » conducteurs). Le problème est donc bien différent de celui rencontré dans le cas de la sélection adverse, où l’individu non informé doit sélectionner un bon partenaire ou un bon produit.
Pour montrer que l’équilibre Offre/Demande n’est plus parfait en cas d’asymétrie d’information, on utilise fréquemment l’exemple du marché des voitures d’occasion, reprenant ainsi la démonstration de G. Arkerlof dans un article de 1970, « The Market of lemons » (Lemons étant un terme permettant de désigner les voitures de mauvaise qualité, les « bagnoles »).
Nous avons vu précédemment que la sélection adverse était une situation où, en amont de l’acte d’achat, un acteur disposait d’une information que l’autre n’avait pas. C’est exactement ce que l’on retrouve sur le marché des voitures d’occasion : le vendeur connait l’état réel des éléments mécaniques de sa voiture, sait s’il l’a correctement entretenue ou pas, comment il conduit, si le véhicule a été accidenté ou non, etc. L’acheteur potentiel n’est pas en mesure de tout vérifier et sa seule information est finalement le prix du véhicule. Donc, si le véhicule parait trop cher par rapport aux quelques données visibles pour l’acheteur et par rapport à sa cote habituelle, il ne sera pas acheté. Un prix trop bas est aussi refusé : cela peut être le signe qu’il y a des défauts cachés et que le vendeur souhaite se séparer rapidement de son « lemons ». Le prix moyen des voitures d’occasion ainsi établi a cependant un inconvénient important : les vendeurs ayant de bons véhicules ne sont pas incités à les vendre puisqu’ils n’ont pas d’avantages monétaires par rapport autres vendeurs, et les possesseurs de « lemons » ont intérêt à les vendre au prix moyen, et non pas moins cher, pour cacher leurs défauts ! La proportion de véhicule de mauvaise qualité augmente donc sous l’effet du retrait de meilleures voitures. Cependant, plus la proportion de voitures de mauvaise qualité est forte sur le marché d'occasion, plus la demande baisse (les acheteurs ne sont pas totalement désinformés quand même…), ce qui entraîne finalement une baisse du prix des voitures d'occasion. Le prix faible amène les vendeurs de voitures de qualité moyenne à se retirer du marché, ce qui augmente alors la proportion de vendeurs malhonnêtes. On refait alors un nouveau tour, avec une baisse de prix sur le marché d'occasion via la baisse de la qualité moyenne, ce qui écarte les vendeurs "à peu près honnêtes"... jusqu'au moment où il n'existe finalement plus aucun marché d'occasion. Au final, seuls restent sur le marché les vendeurs avec les voitures ayant le plus de vices cachés (le marché aboutit donc à sélectionner les plus mauvais véhicules !), mais les acheteurs ont disparu.
Un défaut trop important de transparence sur un marché peut donc nuire au bon fonctionnement de celui-ci, puisque le prix d’équilibre devient impossible à déterminer, voire conduire à la disparition totale du marché.
Les agents privés peuvent tenter de limiter les effets des asymétries d’information, comme nous l’avons vu précédemment avec les assureurs appliquant le principe du bonus-malus. Les pouvoirs publics ont aussi la possibilité d’intervenir pour rétablir les conditions d’un équilibre de marché qui sera satisfaisant pour les offreurs et les demandeurs. L’intervention publique a pour objet, en général, de générer de l’information ou des obligations sur les produits échangés, de manière à renforcer l’information des consommateurs, qui sont les premiers lésés en cas d’asymétrie d’information.
Les fabricants sont ainsi soumis à des règlementations sur les normes de fabrication et d’étiquetage des produits : cela permet résoudre en partie la défaillance de marché qu’est l’asymétrie d’information entre le producteur et le consommateur. Ainsi, si ce dernier ne connaît pas la composition nutritionnelle des produits alimentaires, il ne pourra pas correctement arbitrer entre ses désirs présents et les risques de santé futurs. C’est pourquoi depuis 2016, pour mieux informer les consommateurs sur la qualité des produits, la déclaration nutritionnelle est obligatoire sur les emballages alimentaires. Sous forme de tableau, cette déclaration indique la valeur énergétique des produits, la teneur en graisse, d’acides gras saturés, de glucides, de sucres, de protéines et de sel pour 100g ou 100ml de produit, etc. D’autres normes d’information obligatoire existent pour la traçabilité des produits, leurs durées limites de consommation, etc. Notons aussi que pour vendre des véhicules d’occasion, il est obligatoire d’avoir réalisé les contrôles techniques obligatoires qui améliorent l’information de l’acheteur potentiel.
Les pouvoirs publics peuvent aussi choisir de certifier la qualité de certaines productions, à la demande des producteurs. C’est le cas des labels qui attribuent à un produit un signe d’authentification spécifique. L’idée est alors de récompenser ceux qui respectent des normes officielles de qualité. Vous avez ainsi sans doute déjà acheté des produits portant le label AB, pour les produits issus de l’agriculture biologique, des produits label rouge, signe d’une qualité supérieure, etc., et cela a signifié pour vous une certaine garantie, qui vous a incité à préférer ces produits à d’autres pour lesquels vous n’aviez pas d’information. Ces labels peuvent certifier l’origine géographique des produits, leurs conditions de production, le caractère éthique de la rémunération des producteurs, en limitant le risque de sélection adverse. Ces labels sont donc un moyen d’indiquer aux consommateurs vers quels produits ils peuvent se porter.
Les pouvoir publics ont donc un rôle de tiers de confiance, ce qui permet aux marchés de fonctionner plus facilement.