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L'émergence du concept d'opinion publique est indissociable de l'avènement de la démocratie. En effet, elle a tout d'abord été considérée aux XVII et XVIIIème siècle comme une forme d'opinion dite « éclairée » s'exprimant au nom de la raison selon la logique du siècle des Lumières. Les intellectuels - essentiellement les « gens de lettres » (comme Voltaire) et les milieux parlementaires (parmi lesquels certains se sont opposés au Roi au XVIIIe siècle : on parlait de fronde parlementaire) – se rassemblaient souvent dans les académies, salons, clubs, cafés ; ils incarnaient l’opinion d'une élite éduquée, et pouvaient aussi s’exprimer par la plume, menant des débats contre l’intolérance (religieuse par exemple), l’injustice ou le pouvoir de l'absolutisme royal. Des remontrances étaient rédigées et adressées au Roi. Ils rendaient ainsi « publiques » (visibles et connues de tous) leurs opinions sur les affaires de la Cité. À une époque où l'opinion des foules est discréditée (Gustave le Bon évoque évoquera plus tard les « passions déréglées et versatiles des foules »), l'opinion publique ne correspond pas à l’addition des opinions individuelles du plus grand nombre mais au monopole des catégories éclairées : selon Patrick Champagne, « l’opinion publique est moins celle du public (au sens large) que celle « rendue publique », d’une élite sociale ». L'opinion du peuple ne devait toutefois pas être sous-estimée, des informateurs (appelés « mouches ») étaient parfois envoyés écouter les « bruits » circulant dans les rues sur le Roi.
Au XIXème siècle, plusieurs institutions comme l’École ou le suffrage universel et divers processus se mettent en place favorisant l’émission d’un jugement par le plus grand nombre et sa prise en considération par l’État. Ainsi, l’extension progressive (quoique chaotique) du suffrage universel depuis 1789, la scolarisation rendue progressivement obligatoire (avec notamment les lois Ferry de 1881 et 1882 pour les garçons et les filles de 6 à 13 ans), la reconnaissances des libertés individuelles (liberté de conscience, d'expression, de réunion), la libéralisation de la presse (loi de 1881), l'urbanisation ou encore la déchristianisation contribuent à favoriser la construction d’un jugement libre et éclairé du plus grand nombre. Jugements qui se font entendre lors de manifestations ou dans la presse. La notion d’opinion publique s’élargit ainsi progressivement pour devenir l’opinion de la population qui proteste et se fait entendre. Le développement des journaux relaient de plus en plus largement cette expression publique (plus de 250 quotidiens tiraient 5 millions d’exemplaires en 1890 contre seulement 4 en 1812 pour un tirage de 33 000 exemplaires) : l’opinion « mobilisée » ou « criée » est née, selon l’analyse de la sociologue Judith Lazar. Pensez au fameux « J’accuse » d’Émile Zola dans le journal L’Aurore.
Au XXème siècle, cette opinion du plus grand nombre devient « sondée », elle est appréhendée à partir des années 1930 par un nouvel instrument : le sondage. Avec lui, on estime désormais que toutes les opinions se valent, y compris celles qui ne s’expriment ni dans la rue ni dans les journaux, et qu'il est possible de saisir le point de vue des citoyens à l'occasion des élections et même en dehors de celles-ci. L'opinion publique devient ainsi la représentation d'un jugement collectif sur un sujet général : elle est l'opinion du public (du peuple ou du plus grand nombre) et l'opinion rendue publique (qui se donne à voir, est visible et connue de tous) par les instituts de sondage via les médias. Si plusieurs définitions de celle-ci ont existé au cours du temps (opinion « éclairée », « mobilisée » ou « criée », et « sondée »), les politistes considèrent encore aujourd'hui sa définition comme délicate.
Le sondage est une technique consistant à mesurer à un instant donné les opinions d'un ensemble de personnes à partir des opinions d'une partie seulement de cet ensemble. Il a connu un essor considérable dans les années 1930 sous l'impulsion de l'Institut Gallup, du nom de son fondateur George Gallup, à la fois Docteur en psychologie et spécialiste du marketing. À l’occasion de l’élection présidentielle américaine de 1936, le sondage remporte sa première victoire aux États-Unis. George Gallup prévoit la victoire de Franklin Roosevelt (55,7% des voix contre en réalité 62,5%) contre Alfred Landon avec un échantillon de quelques milliers d'individus tandis que les « votes de paille » conduits par le Literary Digest (échantillon de 2,5 millions de lecteurs du journal) annonce sa défaite.
Fort de ce succès, le sondage s'exporte ensuite en France en 1938 sous l'impulsion du sociologue Jean Stoetzel qui crée l'Institut Français de l'Opinion Publique (IFOP) et connaît son premier succès la même année à l'occasion de la ratification des accords de Munich : l’IFOP interroge les français sur ce qu’ils pensent de l’annexion des Sudètes et des accords. Sa crédibilité monte ensuite en puissance à partir des années 1960, Charles de Gaulle considéré comme large favori pour remporter dès le premier tour l'élection présidentielle de 1965 est pourtant mis en ballottage par les sondages : c’est ce qui se passera et de Gaulle sera contraint de défendre sa candidature au second tour. Par la suite, plusieurs instituts de sondage sont créés tels que la SOFRES en 1963, BVA en 1970 ou encore IPSOS en 1975 participant ainsi à l'institutionnalisation des sondages. En mettant à disposition rapidement des résultats tangibles (concrets), en produisant des informations diffusables dans les médias, et en mesurant les opinions des électeurs pour le personnel politique, le sondage devient alors un instrument incontournable de la démocratie représentative.