ATTENTION :
Dans toutes les sociétés, les ressources rares que sont la richesse, le savoir, le pouvoir, le prestige, etc. sont réparties de façon inégale. Cette inégale répartition des ressources et donc des positions sociales fait l’objet de débats et pose plusieurs questions centrales : quelles sont les inégalités perçues comme injustes ? Mais qu’est-ce que la justice sociale ? Lesquelles faut-il chercher à réduire ? Comment lutter contre ces inégalités qui apparaissent injustes ? L’action de l’État pour lutter contre ces inégalités n’a-t-elle pas des effets pervers ? C’est à toutes ces questions que nous essaierons de répondre.
Si tout le monde est d’accord avec l’idée qu’une société se doit de favoriser la justice sociale, les débats sont nombreux concernant la forme que peut prendre cette justice sociale. D’un point de vue sociologique, nous pourrions entendre la justice sociale, tout simplement, comme une répartition, acceptée par tous, des ressources valorisées. Précisons tout de suite que cette acceptation ne peut être que provisoire, étant donné les multiples changements que connaît une société (répartition socioprofessionnelle, répartition des revenus, etc.). En effet, la justice sociale doit être considérée plus comme un objectif que comme un état de la société ; de plus, cet objectif doit donner lieu à des débats de nature démocratique sur la répartition des ressources et son évolution. Enfin sachez que ces débats portent, pour l’essentiel, sur la conciliation de deux valeurs qui peuvent s’opposer : l’égalité et le mérite… l’égalité pouvant prendre trois formes pour l’essentiel.
La première forme d’égalité est l’égalité de droit ou devant la loi. Tout individu dans la même situation dispose des mêmes droits. Si cette forme d’égalité est rarement contestée en France, les personnes ou les situations sur qui cette égalité s’applique ont pu changer. Pendant des décennies, les femmes ne disposaient pas des mêmes droits que les hommes. Pour ne prendre que l’exemple du droit de vote en France, les femmes ne l’ont obtenu qu’un siècle environ après les hommes (1848 pour les hommes et 1944 pour les femmes). Cette forme d’égalité peut donc s’étendre prenant en compte des évolutions sociales qui n’étaient pas jusqu’alors acceptées. C’est ainsi, qu’en 2014, le parlement français a voté une loi qui autorise le mariage des coupes homosexuels mettant fin à une inégalité de droit avec les couples hétérosexuels.
La deuxième forme d’égalité des chances. Il s’agit de la possibilité réelle, l’égalité des droits étant supposée acquise, pour tous les individus d’obtenir n’importe quelle ressource ou position sociale. Plus concrètement, ce sera, par exemple, le fait qu’un enfant d’ouvrier puisse réellement accéder autant qu’un enfant de cadre à l’enseignement supérieur. Ou encore une femme autant qu’un homme à un poste de direction. Ou encore un immigré autant qu’une personne née en France à un emploi ou un logement.
Enfin la troisième forme d’égalité est l’égalité des conditions ou des situations. Cette notion renvoie à une idée toute théorique. Elle désigne le fait que les individus disposent d’une situation identique dans un domaine donné : par exemple, les individus ont tous accès à un même service (exemple de l’accès aux soins permis par la protection sociale). Ou encore les individus ont tous le même niveau de revenu. Bien sûr, dans de nombreux domaines comme celui des revenus justement, cette égalité de fait ne sera jamais réelle et observée. Par contre, des écarts par rapport à l’égalité complète pourront être mesurés ; on pourra ainsi évaluer si l’on se rapproche de l’égalité des situations.
Derrière ces conceptions de l’égalité se dessine les valeurs propres à chaque société. On peut imaginer une société dans laquelle la seule égalité des droits serait acceptée : tous les individus ont les mêmes conditions pour obtenir les ressources recherchées. La libre compétition détermine ceux qui peuvent les obtenir en fonction de leur propre mérite. On peut aussi penser qu’à leur naissance les individus ne sont pas placés dans la même situation, la libre compétition est ainsi faussée car il n’y a pas égalité des chances : la justice sociale nécessite plus que l’égalité des droits. Dans ce cadre, l’État doit agir pour que la libre compétition soit « juste » en compensant les handicaps que vivent certains individus. Mais vous voyez peut-être déjà quelles critiques peuvent être faites à cette intervention de l’État (sinon attendez la fin du chapitre pour plus de détails puisqu’on n’y reviendra !) et que l’on risque de s’éloigner d’une société fondée sur le seul mérite individuel dans l’accès aux positions sociales : comment reconnaître ces handicaps ? Qui doit le faire ? Etc.
Le deuxième débat prolonge le premier qui opposait tenant de l’égalité des droits à ceux de l’égalité des chances : comment faire en sorte que cet accès soit « juste » si l’on remarque qu’il passe par une réduction des inégalités de condition ? Mais dans ce cas-là, l’objectif de réduction de l’inégalité des chances ne passe-t-il pas au second rang par rapport à la réduction des inégalités de condition ? Ne change-t-on pas ainsi petit-à-petit de société passant d’une société méritocratique fondée sur le mérite individuel à une société de fait égalitaire ? Le mérite individuel ne risque-t-il pas de disparaître ? La liberté ne risque-t-elle pas de reculer face aux interventions multiformes de l’État ? Vous le comprenez ce débat oppose les tenants de l’égalité des chances aux tenants de l’égalité des conditions.
Quoi qu’il en soit, toute société démocratique réelle repose, pour vivre collectivement avec un sentiment de justice sociale, sur une façon particulière de résoudre ces débats entre égalité des chances, mérite individuel et égalité des conditions. Regardons maintenant comment concrètement l’État peut agir, en prenant comme base d’étude la société française.